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avec transport ces vers de Mahomet, où l'humanité respire:

Exterminez, grand Dieu, de la terre où nous sommes
Quiconque avec plaisir répand le sang des hommes !

Ils avoient maudit les massacres de la Saint-Barthélemi et de Cévennes, ceux de Cabrières et de Merindol, sans oublier la révocation de l'édit de Nantes. Ils avoient lancé des anathèmes contre tous les inquisiteurs espagnols, italiens, portugais. Qu'on m'explique maintenant comment ces disciples de Voltaire, nourris d'une si bonne doctrine, si humains, si tolérans, si sensibles, sont devenus tout-à-coup d'impitoyables persécuteurs, des assassins, des bourreaux; comment ils ont fait, dans l'espace d'un an, plus d'ouvrage que toutes les inquisitions de l'univers n'en avoient dû. faire depuis leur établissement. Vantez, après cet exemple, l'utilité des ouvrages philosophiques, pour étendre les lumières et pour adoucir les mœurs.

A l'époque où Mahomet fut représenté, en 1742, la France n'avoit pas un grand besoin de ce spécifique contre le fanatisme religieux. Voltaire avoit tout-àfait l'air de ces fraters de village, qui, pour guérir le mal que vous n'avez pas, vous en donnent un trèsréel qui changent le rhume en pleurésie, et la migraine en délire. L'auteur de Mahomet vouloit nous guérir du zèle religieux, par l'incrédulité et l'irréligion; il préparoit ainsi les horreurs de l'anarchie. Si nous eussions véritablement été attaqués de la maladie religieuse, il étoit trop prudent pour entreprendre une cure si périlleuse. Les fanatiques dévots sont trèsrécalcitrans à la philosophie; voilà pourquoi les philosophes, pour ne pas exposer l'honneur de leur génie

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à quelque mauvais procédé, ont la précaution de ne jamais déclamer contre le fanatisme religieux, que dans des temps d'impiété, et contre la tyrannie, que sous un roi foible et bon. On n'entend pas le moindre petit philosophe, sous Charles IX et sous Henri IV, pérorer contre nos discordes civiles; pas un seul ami de l'humanité ne réclame, sous Louis XIV, en faveur des protestans; mais sous la régence d'un prince voluptueux et sans principes, sous le règne d'un monarque égoïste, dégradé par de honteuses amours lorsque les mœurs sont corrompues, la religion méprisée, les prêtres et les moines dévoués au ridicule; c'est alors qu'il s'élève un essaim de petits aboyeurs, de déclamateurs enragés qui s'égosillent à force de hurler contre un fanatisme qui n'existe plus, pour se donner un air d'esprit fort, et couvrir leurs amplifications scolastiques d'un vernis de philosophie. Les philosophes ressemblent à ces tristes patrouilles qui n'arrivent qu'après le désordre commis, et lorsque les voleurs ont disparu.

C'étoit vraiment une dérision, une momerie grossière, et une véritable singerie, que toutes ces invectives de Voltaire contre les papes et les prêtres ; que toutes ces Homélies sur l'humanité et la tolérance, dans un temps où l'on croyoit à peine en Dieu, où chacun pensoit et vivoit à sa fantaisie. Le vieux Fleury, qui gouvernoit alors la France, la gouvernoit, de l'aveu même de Voltaire, avec douceur et politesse} il usoit quelquefois d'une sévérité nécessaire envers certains jansénistes entêtés, presqu'aussi friands de persécutions que J.-J. Rousseau. Voilà tout le mal que fit à la France ce cardinal si détesté par les philosophes après Sully, c'est le plus grand homme d'état que la nation ait eue, parce qu'il est le seul

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qui ait vu que, pour être la plus florissante nation de l'univers, il ne lui falloit que deux choses, l'économie et la paix : c'est un ministre qui me paroît bien supérieur aux Richelieu et aux Mazarin, si le mérite d'un ministre se mesure sur le bonheur du peuple, qu'il est chargé de gouverner.

Socrate est le seul philosophe qui ait eu le courage de s'élever contre la tyrannie, sous les tyrans. Dans ees jours d'esclavage et de mort, dont la mémoire est encore si récente, aucun des prédicateurs ordinaires d'humanité et de tolérance n'a fait entendre sa voix : un jeune insensé, de la troupe des persécuteurs, mais qui n'avoit pas l'ame assez forte pour supporter les conséquences de ses principes, ósa se plaindre des cruautés qu'il avoit d'abord provoquées lui-même en style de cannibale; il osa invoquer la clémenee : l'échafaud fut le prix de sa philosophie hors de saison. Mais ce qui est le comble de lå lâcheté, de la bassesse et du ridicule, c'est que sur les cadavres même des prêtres égorgés, sur les ruines des églises, une foule d'énergumènes déclamoit encore contre le fanatisme religieux.

La fable de Mahomet est d'une horreur froide et dégoûtante : ce prophète, qui, dans l'histoire, a une apparence de grandeur, n'est sur la scène qu'un vil imposteur, qu'un caffard abominable. Voltaire a eu la maladresse de le calomnier il lui fait commettre des crimes inutiles; il le fait parler en Matamore, et agir comme le dernier des scélérats. Que nous apprend ce spectacle d'un père égorgé par ses enfans, à l'instigation d'un monstre qui commande ce meurtre au nom du ciel? Que la religion mał entendue, mal interprêtée, a servi quelquefois de prétexte aux crimes qu'elle condamne; qu'on a quelquefois immolé des

que

victimes innocentes avec un fer sacré. L'histoire suffisoit pour nous en instruire; mais faut-il en conclure? Pour détruire l'abus, faut-il détruire la chose dont on peut abuser ? Qu'y gagneroit-on ? N'a-t-on pas vu sortir encore de la fange de l'impiété, des monstres plus horribles encore que ceux qu'une fausse dévotion a produits? Ce tableau des horreurs du fanatisme ne peut donc avoir aucun but utile; son unique effet est d'avilir la religion aux yeux du peuple.

Cette tragédie, nulle et même vicieuse pour le fond, n'est donc qu'un amas de déclamations et de tirades, parmi lesquelles il y en a de fières et de brillantes. Le caractère de Zopire est noble et touchant; c'est dommage qu'il soit idolâtre; non que son culte ne puisse très-bien s'accorder avec les vertus sociales, mais parce qu'une superstition si grossière lui donne quelque désavantage vis-à-vis de Mahomet, adorateur d'un seul Dieu. Voltaire lui-même convenoit que la pièce n'étoit pas susceptible d'un intérêt touchant; qu'elle s'adressoit à l'esprit plus qu'au cœur. Un de ses plus grands défauts est de présenter, au dénouement, le triomphe du crime; car aucun spectateur sensé ne peut croire aux remords que le poète prête à Mahomet. La tragédie, dit Voltaire, finit par une pantalonade; mais le Kain dit si bien : IL EST DONC DES REMORDS! On ne trouve pas toujours des acteurs comme le Kain, dont le talent puisse servir de couverture aux sottises de l'auteur.

G.

XI. année.

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LII.

MÉROPE.

VOLTAIRE avoit du coloris, mais il étoit foible dans

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le dessin et dans l'ordonnance peut-être Mérope est-elle un de ses meilleurs ouvrages, par la raison qu'il y a mis peu du sien. Tous les frais d'invention étoient faits il avoit sous les yeux la Mérope du marquis de Maffei ; il ne lui falloit que du goût pour élaguer ce qui, dans la pièce italienne, choquoit nos mœurs et nos convenances théâtrales; et cette espèce de goût qui saisit la mode du jour, ce tact de ce qui sied, étoit une des principales qualités de Voltaire.

Avant lui, Gilbert, la Chapelle, la Grange, avoient déjà traité le même sujet, et même l'Amasis de la Grange avoit obtenu un grand succès. La principale situation, indiquée dans l'Art Poétique d'Aristote, étoit déjà fort connue sur notre scène; par conséquent, Voltaire n'avoit rien à créer, rien à imaginer. Il ne s'agissoit pour réussir que de bien écrire : c'est beaucoup à la vérité; mais quand on n'a que cela à faire, il faudroit du moins s'en acquitter avec une supériorité marquée. Voltaire a mieux écrit que Gilbert, que la Chapelle, que la Grange; mais comparé à celui des grands maîtres, son style, même dans Mérope, est lâche, gonflé d'épithètes, et d'une facilité verbeuse.

Quel dommage que nous ayons perdu le Cresphonte d'Euripide! Nous verrions si c'est à juste titre qu'on loue Voltaire d'avoir composé sa pièce dans le goût

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