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lui assigner. C'est ainsi qu'on a vu, dans les temps de barbarie, des princes recevoir le droit de souveraineté sur des pays inconnus qu'on n'avoit pas encore dé

Couverts.

La Mort de César, qui succéda à Adélaïde du Guesclin, est une tragédie de collége où il y a de fort belles amplifications. ... enfin, après s'être préparé par une étude profonde des mathématiques, dans l'agréable retraite de Cirey, entre Newton et madame Duchâ telet, Voltaire enfanta son Alzire, celle de ses pièces où il a répandu avec le plus de profusion ce qu'ils appeloient alors l'esprit philosophique, ou, pour parler d'une manière aujourd'hui plus intelligible, un galimatias moral, qui ne paroît neuf que parce qu'il est étranger à la tragédie.

Le contraste des mœurs européennes et des mœurs sauvages est un heureux sujet pour un sophiste et pour un déclamateur, mais non pas pour un poète tragique, qui doit toujours être naturel et vrai. Rien n'est plus faux que ces prétendues vertus des sauvages, que des rhéteurs ignorans affectent d'opposer aux vices des hommes civilisés. L'histoire dépose contre ces paradoxes; elle nous apprend que les sauvages sont aussi dissimulés, aussi perfides, aussi traîtres que les peuples polis: ces vices sont dans le cœur humain, la société ne fait que les développer; mais le grand avantage des sauvages, c'est qu'à tous les défauts de la civilisation ils joignent une barbarie, une férocité qui les rapprochent des animaux, et qui semble particulière à la nature brute. Assurément, des vainqueurs qui tourmentent gaiement leurs prisonniers de guerre, pour leur arracher quelques plaintes, et qui les font rôtir ensuite pour s'en régaler, ne sont pas des modèles de vertus.

Lorsque Zamore dit :

Mais au défaut du fer nous avons des vertus.

il dit une sottise philosophique; car qu'est-ce que la vertu d'une homme qui veut eplever à un mari sa femme, et parce qu'elle ne veut pas le suivre, qui va assassiner le mari? L'étude des mathématiques auroit bien dû redresser l'esprit de Voltaire, et lui fournir une conception plus raisonnable que celle d'Alzire, où le bon sens est violé à chaque scène; il n'y a pas dans la pièce une situation qui ne soit impossible. Les cruautés des Espagnols dans l'Amérique appartiennent à l'épopée et à l'histoire, et nullement à la tragédie, où elles seroient trop viles et trop odieuses; elles ne peuvent fournir que des lieux coinmuns de rhétorique. Le sujet, quelque brillant qu'il paroisse, est donc mal choisi, parce que Zamore et Alzire ne peuvent être que des personnages fantastiques; ils seroient trop méprisables si on les présentoit dans leur stupidité naturelle. Quoique les Péruviens ne soient pas accusés des mêmes cruautés que les Mexicains et les hordes d'antropophages, ils sont généralement reconnus pour un peuple mou, foible, lâche, et né pour la servitude : ils n'opposèrent presqu'aucune résistance à cette poignée de brigands qui s'est présentée pour envahir leur empire.

Il résulte des observations physiques les plus exactes, que la race américaine étoit une race dégénérée, qui joignoit à l'absence presque totale des opérations de l'esprit, une foiblesse de corps, une inertie extraordinaire, une froide apathie, une singulière indifférence pour les feinmes; signes visibles d'une nature dégradée. O le plaisant projet d'un poète philosophe, qui va choisir ses personnages dans cette classe

abjecte, et qui monte son imagination pour faire un héros de celui dont la nature n'avoit pas même fait un homme! Que vois-je dans Zamore, sinon la rage insensée de la foiblesse impuissante? Ses transports, șoi-disant sublimes, ne sont que les cris d'un enfant colère qui lutte contre une force supérieure, et n'a pas même assez de raison pour sentir sa dépendance. Tout est puérile et sophistique dans un pareil caractère; c'est un nain que le poète a guindé sur des échasses, et dont la petitesse n'en est que plus ridicule. Si Zamore restoit à la place que la nature lui a marquée dans l'ordre des êtres, il en seroit un peu plus grand. Je ne connois rien de si plat, dans une tragédie, qu'un Matamore bouffi, qui s'épuise en vaines fanfaronnades, tandis que son vainqueur et son maître peut le réduire en poussière d'un geste ou d'un coup-d'œil, et qu'il n'est redevable de son existence qu'au mépris ou à la pitié de son ennemi. Lorsque Zamore, pour exhorter ses compagnons, leur dit naïvement:

Et six cents Espagnols ont détruit, sous leurs coups,
Mon pays et mon trône, et vos temples et vous!

il nous donne sans doute une bien haute idée de sa valeur aux mortels peu commune. Et quand ce grand monarque, anéanti par six cents Espagnols, vient encore, comme un capitaine de la comédie des Visionnaires, avec une poignée de misérables, pour renverser l'empire de ses vainqueurs, n'est-on pas tenté de rire de la folie d'une pareille entreprise? L'intérêt qu'inspire une conspiration, dépend des moyens qu'on a pour la faire réussir; on ne s'intéresse point à des extravagances qui n'ont qu'une audace brutale.

Qu'est-ce qu'une Alzire, dont le poète a fait une raisonneuse philosophe, qui trouve très-mauvais que Dieu ne permette pas qu'on se tue? Si elle est assez éclairée pour avoir pu comparer deux religions, et choisir la meilleure, comme elle s'en vante elle-même, comment peut-elle ignorer qu'on ne dit point à l'homme qu'on épouse, qu'on en aime un autre, ou que, dans ce cas, on ne l'épouse point? Quel mélange ridicule de foiblesse et d'énergie! Cette fille, qui se convertit et se marie par politique, se répand ensuite en bravades indiscrètes et téméraires; elle mêle les plaintes les plus efféminées aux emportemens les plus furieux; elle est tout-à-la-fois sauvage et philosophe, furieuse et prudente, fière et basse; elle insulte son époux, et vient ensuite lui demander grâce pour son amant en un mot, elle n'a point de caractère, ce n'est qu'un moule à déclamation.

G.

LI.

MAHOME T.

LORSQUE Voltaire donna Mahomet, il faisoit accroire au pape Benoît XIV, qu'il étoit animé d'un saint zèle contre le fondateur d'une secte impie; il persuadoit à la bonne compagnie de Paris, que son dessein étoit de plaider la cause de l'humanité, contre le fanatisme religieux; mais il disoit tout bas aux philosophes ses amis, il se disoit à lui-même que son unique but étoit de rendre odieuse l'église romaine, en la chargeant, sous des noms étrangers, des crimes

dont elle fut le prétexte. Il vouloit exciter tous les spectateurs à s'écrier avec Lucrèce :

Tantum religio potuit suadere malorum !
Tant la religion a pu inspirer des forfaits ».

Pour les initiés, Séïde étoit Jacques Clément ; Mahomet, le révérend père Bourgoing, prieur des Jacobins, armant contre son roi la main d'un jeune moine imbécille et forcené: c'étoit en cela que consistoit le sel de la tragédie, qui, sans cet assaisonnement, n'eût été qu'une atrocité horrible et dégoûtante. Voilà ce qui alarmoit la prudence des chefs du gouvernement, et qui suspendit les représentations de la pièce; en un mot, ce qui fit sa fortune. Personne ne se doutoit alors, et Voltaire beaucoup moins que les autres, qu'il s'élèveroit vers la fin de ce même siècle, d'autres jacobins d'une trempe tout-à-fait rare, qui, sans avoir l'honneur d'être moines, surpasseroient encore en fanatisme le père Bourgoing et Jacques Clément ; que toute la différence qu'il y auroit entre les anciens moines et les nouveaux frères, c'est que les vieux jacobins travailloient au nom du ciel et de la religion, et que les jacobins modernes travailloient au nom de la liberté et de la philosophie, tant il est vrai que les noms changent, et non pas les hommes; que les mêmes crimes reparoissent après un certain temps, comme les mêmes modes, et qu'il n'y a rien en tout cela de nouveau que les noms. Que toutes les tirades des déclamateurs sont vaines et pitoyables pour un observateur éclairé et impartial!

Ce qui est peut-être plus étrange que tout le reste, c'est que ces Jacques Clément, ces Séides de la fin du dix-huitième siècle, étoient presque tous les sectateurs, les adorateurs de Voltaire; ils avoient souvent applaudi

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