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celle de la cour de Domitien, où Tacite ramène Agricola, après une conquête qui le couvre de gloire, et qui enflamme la jalousie d'un prince envieux de tout mérite : « Jamais Agricola, dans ses lettres, » n'avoit exalté par des mots pompeux, la gloire » de ces événemens ; cependant Domitien les apprit, » selon sa coutume, la joie sur le front, l'inquiétude » dans le cœur.... Ce qu'il craignoit surtout, étoit » de voir le nom d'un citoyen éclipser le nom du prince.... Agricola, cependant, avoit remis à son >> successeur la province tranquille et soumise. Crai>> gnant l'éclat que donneroit à son arrivée l'affluence » et le rang de ceux qui viendroient à sa rencontre, » il évita même les témoignages de l'amitié, entra » la nuit dans Rome, vint la nuit au palais, selon » l'ordre qu'il avoit reçu ; puis accueilli par un » morne silence, après un froid embrassement » il se confondit dans la foule des esclaves ». Excep tusque brevi osculo et nullo sermone turbæ servientium immixtus est.

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Enfin, Tacite termine son cuvrage par une péroraison qui doit donner la plus haute idée de lui, comme orateur : Cicéron, dans ses morceaux les plus pathétiques, n'a pas poussé plus loin l'expression de la sensibilité; Tacite étoit gendre d'Agricola, et cet épanchement est aussi convenable qu'il est éloquent. Le nouveau traducteur me paroît avoir trèsbien rendu cette péroraison. Voilà comment les grands écrivains de l'antiquité composoient un ouvrage, et c'est à ce genre de mérite, qui consiste dans l'ordonnance et la marche de la composition, que Boileau me paroît avoir fait allusion, lorsqu'il a dit : « Les Français manquent de goût; il n'y a que le goût » ancien qui puisse former parmi nous des auteurs 8

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XIe. année.

» et des connoisseurs, et de bonnes traductions don>> neroient ce goût précieux à ceux qui ne seroient » pas en état de lire les originaux ». Celle dont je viens de rendre compte a tout ce qu'il faut pour remplir avantageusement les vues du législateur de notre parnasse.

Y.

XIV.

Quintilian, de l'Institution de l'Orateur, traduit par M. l'abbé GÉDOYN.

DANS la belle préface latine dont il a orné son

:

abrégé de l'Institution de l'Orateur, M. Rollin considère Quintilien comme celui de tous les rhéteurs de l'antiquité dont les écrits peuvent être le plus utiles à la jeunesse il avoue qu'aucune rhétorique n'est plus parfaite que celle d'Aristote; mais il pense que la manière abstraite et tout-à-fait philosophique dont cet auteur a traité son sujet, met son livre au-dessus. de la portée des jeunes gens, et demande des lecteurs d'un esprit mûr et d'un jugement consommé. Les dialogues de Cicéron sur l'art oratoire lui paroissent plus appropriés à la foiblesse du premier âge; mais il lui semble que la forme même de ces dialogues répand quelque obscurité sur le fond, et qu'au milieu des opinions différentes des différens interlocuteurs il est difficile de distinguer quel est l'avis de l'auteur; il observe d'ailleurs que les préceptes de l'art, répandus çà et là dans ces charmans dialogues, ne forment point un corps de doctrine, et manquent de cet ensemble particulièrement nécessaire dans les traités

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destinés à l'instruction de la jeunesse ; il trouve que l'ouvrage de Quintilien, sans avoir les inconvéniens qu'il reproche à ceux d'Aristote et de Cicéron, réunit les avantages qui recommandent les écrits de ces deux illustres rhéteurs: Aristotelicam subtilitatem ( dit-il ) sic Tulliance elegantic flosculis distinguit Fabius, ut et juventutem detinere suaviter, et exercere altissimam quoque eruditionem ac scientiam possit. « Quintilien mêle avec tant d'art les grâces et les fleurs de Cicéron à la profondeur d'Aristote, que ses écrits ont à-la-fois de quoi captiver agréablement la jeunesse, et de quoi contenter le savoir le plus consommé ».

Cependant, M. Rollin crut devoir dépouiller de beaucoup d'épines ces mêmes fleurs qu'il admire dans Quintilien; car les anciens qui, pour une foule de raisons, attachoient infiniment plus d'importance que nous à la rhétorique, l'embarrassoient d'une multitude de questions plus subtiles et plus abstraites les unes que les autres; et d'ailleurs, leurs traités renferment nécessairement un grand nombre de choses relatives au temps où ils vivoient, à la langue qu'ils parloient, et qui sont absolument étrangères à notre temps et à notre langue : Occurrunt in ejus scriptis (dit M. Rollin, en parlant de Quintilien), vel ab initio tot salebræ et asperitates, ad quas statim, velut ad scopulum, lectoris animus offendit, ut mirum non sit plerosque ab illorum lectione deterreri. « Son ouvrage offre, dès l'entrée, tant de difficultés, tant d'aspérités, qui sont comme autant d'écueils contre lesquels vient heurter, d'abord, l'esprit des lecteurs, qu'il ne faut point s'étonner si la plupart n'ont pas la force de poursuivre ». La rhétorique de Quintilien dans sa totalité, une traduction complète de cette rhétorique, ne peuvent donc pas être considérées

comme des ouvrages destinés à l'instruction de la jeunesse ; mais les maîtres ne sauroient se dispenser de les avoir dans leur bibliothèque, et les maîtres de toutes les classes, aussi bien que les professeurs de rhétorique ; car la rhétorique n'est pas la seule partie des belles-lettres dont il y soit question : l'institution de l'Orateur renferme une infinité de notions trèsutiles sur la grammaire latine, et sur le fond de la langue qu'ont parlée les anciens Romains.

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L'abrégé de M. Rollin, dont un libraire, homme de lettres, nous a donné une nouvelle édition il y deux ans, est tout ce qu'il faut, peut-être même plus qu'il ne faut pour les élèves. Je crois, en effet, qu'il seroit possible de le réduire encore à un moindre volume, en y faisant un certain nombre de suppressions qui ne porteroient que sur des endroits absolument superflus, et même sur des chapitres où l'abréviateur a conservé quelques-unes de ses aspérités dont il se plaint si éloquemment dans sa préface. On pourroit joindre à cet abrégé, ainsi réformé, une traduction qui ne seroit autre que celle de l'abbé Gédoyn, abrégée elle-même, et, si l'on vouloit, retouchée dans quelques points. Le goût particulier que je me suis toujours senti pour Quintilien, la connoissance assez approfondie que j'ai de cet auteur, et l'intérêt très-vif que l'instruction de la jeunesse n'a jamais cessé de m'inspirer, m'avoient engagé, il y a quelques années, à penser à ce travail, pour lequel j'avois déjà fait quelques notes, lorsque certaines circonstances m'en détournèrent. La traduction de l'abbé Gédoyn demanderoit, je crois, peu de corrections: malgré les reproches d'inexactitude qu'on a faits à cette version, et qu'on répète encore tous les jours sur la foi de je ne sais quelle tradition, elle me paroît généra

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lement exacte et fidèle ; elle joint de plus à ce mérite celui de la pureté et de l'élégance: je suis peut-être plus qu'un autre à portée de parler pertinemment de ce que vaut cette traduction; car, lorsque je m'occupai du travail dont je viens de dire un mot, je formai d'abord le projet de traduire moi-même les morceaux de Quintilien, dont je voulois composer l'abrégé tel que je le concevois; mais je ne tardai pas. à m'apercevoir que l'amour-propre plutôt qu'un examen réfléchi de la traduction de l'abbé Gédoyn m'avoit inspiré ce dessein: en comparant soigneusement mes essais les mieux travaillés avec cette traduction, je les trouvois presque toujours au-dessous. En effet, je crois qu'il seroit difficile, même à une plume moins foible que la mienne, non-seulement de la surpasser, mais de l'égaler : cet abbé Gédoyn étoit un homme de beaucoup de goût et un très-bon écrivain; on n'est point surpris d'apprendre qu'il sortoit de l'excellente école des jésuites.

Ses opinions en littérature étoient justes et sévères : on vante avec raison la préface qu'il a mise en tête de sa traduction de Quintilien; c'est un chef-d'œuvre de clarté et d'analyse : on n'a jamais mieux expliqué les causes de la décadence du goût chez les Romains. Cette préface renferme quelques pages qui sont d'un littérateur du premier ordre. Ceux qui ont parlé de la corruption des lettres latines n'ont fait que répéter ce qu'en avoit dit l'abbé Gédoyn, et quelques-unes de ses pensées ont servi de texte à plusieurs discours d'apparat qui n'en étoient que des gloses diffuses et brillantes. Quelques littérateurs, en recherchant les causes de la dégénération de l'art d'écrire chez les Romains, ne sont point remontés plus haut que Sénèque; il remonte avec raison, je crois, jusqu'à

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