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très supérieurs à tous ceux de ses rivaux; mais il ne les a que rarement détachés sous le titre d'épigrammes.

Rousseau n'a point de rival pour l'épigramme cynique. Esprit éminemment caustique et licencieux, il se vengea, par la crainte qu'inspiraient ses vers, des injures que lui méritait la bassesse de ses mœurs. Doué d'un grand talent de versification, et de l'art de couvrir de l'éclat des formes poétiques la stérilité de son imagination, la haine, qui l'avoit peut-être trop persécuté pendant sa vie, servit de prétexte à l'envie, pour lui faire, après sa mort, une réputation exagérée, dont le temps et l'examen commencent à faire justice.

Parmi celles des épigrammes de Rousseau dont la décence publique ne défend pas de faire mention, les deux suivantes me semblent réunir au plus haut point toutes les qualités du genre.

Le Confesseur accommodant.

Près de la mort, une vieille incrédule
Rendait un moine interdit et perclus;
Ma chère fille, une simple formule
D'acte de foi: quatre mots et rien plus.

- Je ne saurais. - Mon Dieu, dit le reclus,
Inspirez-moi! Ça, voudriez-vous être
Persuadée? Oui, je voudrais connaître,
Toucher au doigt, sentir la vérité.

- Eh bien! courage, allons, reprit le prêtre,
Offrez à Dieu votre incrédulité.

Le Théâtre du monde.

Ce monde-ci n'est qu'une œuvre comique,

Où chacun fait ses rôles différents.

Là, sur la scène, en habit dramatique,
Brillent prélats, ministres, conquérants.

Pour nous,

vil peuple, assis aux derniers rangs,

Troupe futile, et des grands rebutée,

Par nous d'en bas la pièce est écoutée :

Mais nous payons, utiles spectateurs;

Et quand la farce est mal représentée,

Pour notre argent nous sifflons les acteurs.

Aucune époque littéraire ne fut plus fertile en épigrammes que le dix-huitième siècle; La Motte et Piron, La Harpe et Marmontel, Roi, Saurin, et l'abbé Arnauld, se firent principalement remarquer dans cette petite guerre de plume. Le Brun mit fin à cette espèce d'oligarchie littéraire qui laissait flotter, entre plusieurs mains, le sceptre de l'épigramme; il s'en empara violemment, et sa longue vieillesse ne connut guère d'autre occupation et d'autre plaisir que ces jeux cruels, où sa muse a remporté le prix. Le Pindare français, après avoir passé trente ans de sa vie à composer d'admirables odes qui ne lui firent de réputation que dans sa vieillesse, vengea lui-même son beau talent si long-temps méconnu, par onze ou douze cents épigrammes dirigées presque toutes contre ses contemporains. Nul n'a porté aussi loin l'art d'acérer son vers; et le trait qu'il lance est façonné de manière à ne pouvoir sortir qu'autant qu'il traverse. Souvent sa flèche est arinée de plusieurs pointes, comme celle du sauvage caraïbe; et comme ce dernier, il s'en sert pour tirer dans les groupes. Sur les poëtes de l'Académie.

Malgré deux scènes dramatiques,
La Harpe n'est qu'un rimailleur;
Champfort polit des vers étiques;
Lemierre en forge d'helvétiques;
Saint-Lambert les fait narcotiques;
Marmontel ne plaît qu'aux railleurs ;
L'adroit et gentil émailleur
Qui brillanta les Géorgiques,
Des poëtes académiques,
Delille est encor le meilleur.

Sur M. Gin.

Sur notre Pinde académique,

Qui du vrai Pinde est peu voisin,
Notre Euripide limousin,

Marmontel, hurle du tragique;

Sedaine gache du comique;
Chabanon racle du lyrique;
Lemierre, en rime didactique,
Nous trace l'art du Pérugin;
La Harpe, dans sa poétique,
Est seul Aristote et Longin;
Guibert est Végèce en tactique ;
Eh! que sera donc M. Gin?

On remarque dans toutes les épigrammes de Le Brun une hardiesse de tours, une audace dans les associations de mots, et sur-tout un bonheur d'épithètes qui le distingue 'entre tous les poëtes.

Celle-ci brille par la force de la pensée.

Qu'en son faux zèle une prude est amère !
Damner le monde est un plaisir d'élus:

Mais le Sauveur à la femme adultère
Dit sans courroux: Allez, ne péchez plus !
Telle est du ciel la sublime indulgence;
Il plaint l'erreur, il pardonne à l'offense;
Il n'arme point ni le fer ni le feu;
La pécheresse eut sa grace accordée;
Mais qu'on suppose à la place de Dieu
Prude ou docteur, elle était lapidée.

Je me plais encore à citer l'épigramme suivante, la seule peut-être qui fasse autant d'honneur au cœur du poëte qu'à son esprit:

A un prétendu ami.

Indigne ami d'un amant des neuf sœurs,
Reprends, reprends ton éloge perfide;

Tu sais donc l'art d'emmiéler les noirceurs,

Et de sucrer le fiel des Euménides?

Dupe un moment, oui, mon cœur s'y méprit;

Il s'épancha dans le plus sot écrit ;
Mais, je le vois, ta louange diffame.
L'ingrat qui peut calomnier mon ame

N'a pas le droit de louer mon esprit.

On regarde assez généralement l'épigramme suivante comme la meilleure des six cent trois que l'éditeur des œuvres complètes de Le Brun a publiées.

Sur La Harpe.

Ce petit homme à son petit compas
Croit mesurer les élans du génie ;
Au bas du Pinde il trotte à petits pas,
Et croit franchir les sommets d'Aonie:
Au grand Corneille il a fait avancée;
Mais à vrai dire on riait aux éclats
De voir ce nain mesurer un Atlas;
Et, redoublant ses efforts de pigmée,
Burlesquement roidir ses petits bras
Pour étouffer si haute renommée.

LE QUATRAIN.

Cette petite pièce de vers, la plus courte après le distique, tire son nom des quatre vers dont elle se compose, et dont les rimes et la mesure se combinent à volonté. Pibrac s'était fait, au seizième siècle, une sorte de réputation dans ce genre. On a oublié ses quatrains, et malheureusement pour sa mémoire, on se souvient qu'il fut l'apologiste de la Saint-Barthelemy.

Cet impromptu à mademoiselle de Charolais, peinte en habit de cordelier, est un des plus jolis quatrains de Vol

taire :

Frère ange de Charolais,

Dis-nous par quelle aventure
Le cordon de saint François

Sert à Vénus de ceinture?

Voltaire a semé ses poésies légères de quatrains charmants, où l'on reconnaît toujours les étincelles de son génie.

Je puis citer sans choisir,

A mademoiselle de Guise.

Vous possédez fort inutilement

Esprit, beauté, grace, vertu, franchise:
Qu'y manque-t-il? quelqu'un qui vous le dise,
Et quelque ami dont on en dise autant.

Au bas du portrait de Leibnitz.

Il fut dans l'univers connu par ses ouvrages,
Et dans son pays même il se fit respecter;
Il éclaira les rois, il instruisit les sages;

Plus sage qu'eux, il sut douter.

Précepte.

Répandez vos bienfaits avec munificence,
Même aux moins vertueux ne les refusez pas;
Ne vous informez point de leur reconnaissance,
Il est grand, il est beau de faire des ingrats.

Ce dernier quatrain, où se trouve exprimée en si beaux vers une pensée divine, me conduit à parler des quatrains moraux. Dans un petit ouvrage intitulé la Morale de l'enfance, et que je ne balance pas à indiquer comme le livre le plus utile qui ait jamais été écrit, puisqu'il a pour objet et pour résultat de former des hommes, un noble pair de France, M. de Morel-Vindé, a mis à la portée des enfants un cours complet de morale pratique qu'il résume admira

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