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Que le vin pleuve dans Paris,

Pour voir les gens les plus aigris
Gris!

LA CHANSON ÉROTIQUE.

Dans l'ordre naturel, cette espèce de chanson doit avoir précédé toutes les autres. Quoi qu'en disent Hobes et Machiavel, les hommes ont fait l'amour avant de faire la guerre; cet impérieux besoin a dû se faire sentir le premier dans toutes les conditions de la vie. Parmi plusieurs fragments de poésie amoureuse, modulée sur la flûte des sauvages, et que les voyageurs ont recueillis, je citerai de préférence celui dont parle Montaigne.

« Couleuvre, dont les replis laissent sur l'herbe une trace brillante, tes ondulations sont souples et gracieuses comme le beau corps de ma bien-aimée; ton éclat est variable comme ses desirs. Hélas! son amour s'enfuit comme toi, lorsque tu glisses à travers les fleurs. »

Je me bornerai à rappeler ici que plusieurs odes de Catulle et d'Horace sont les premiers modèles de la chanson érotique, et qu'elles seraient encore sans rivales, si, de nos jours, Moore et Béranger n'eussent porté ce genre à sa perfection.

Parmi nous la chanson érotique a suivi et marqué le cours de nos mœurs; long-temps naïve et licencieuse, elle manquait de goût et de délicatesse; Lafare et Chaulieu l'embellirent des deux qualités qui lui manquaient : GentilBernard en adoucit quelquefois les manières délicates, jusqu'à la fadeur, et peut-être ce défaut se retrouve-t-il jusque dans la chanson suivante, de ce dernier auteur, à laquelle on a prodigué tant d'éloges.

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Le même mérite et le même défaut se font sentir dans cette chanson de Bernis, qui n'a pas été moins célèbre du temps où régnait madame de Pompadour.

Le connais-tu, ma chère Éléonore,

Ce tendre enfant qui te suit en tout lieu;
Ce faible enfant qui le serait encore,
Si tes regards n'en avaient fait un dieu?

C'est par ta voix qu'il étend son empire ;
Je ne le sens qu'en voyant tes appas.
Il est dans l'air que ta bouche respire,
Et sous les fleurs qui naissent sous tes pas.

Qui te connaît connaîtra la tendresse ;
Qui voit tes yeux en boira le poison:

Tu donnerais des sens la sagesse,

Et des desirs à la froide raison.

L'hymne à la rose, de Gentil-Bernard, qui commence par ces vers,

Vermeille rose
Que le zéphyr

Vient d'entr'ouvrir,

A peine éclose

Tu vas périr

Sans refleurir,

n'est que le chef-d'œuvre de ce genre musqué.

La grace précieuse et maniérée, l'élégante recherche que l'on remarque dans ces jolies pièces de vers, étaient les caractères communs à la poésie légère de cette époque. Je leur préfère la chanson suivante, trop peu connue, et peut-être plus digne de l'être; on y trouve l'expression vraie de la volupté, et une chaleur d'expression qui nait du sujet même.

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Si le plaisir peint son visage,

C'est ta couleur qu'elle y répand.
Puis-je te voir, à peine éclose,
Briller au matin d'un beau jour,
Sans songer à bouche de rose,
Sans avoir des pensers d'amour?

Sur une gorge enchanteresse
Si j'imprime un baiser brûlant,
Dans les vestiges que j'y laisse,
Ta couleur brille au même instant.
Quel frisson ton bouton me cause!
D'un sein j'effleure le contour;
Peut-on voir un bouton de rose,
Sans avoir des pensers d'amour?

Quelques chansons érotiques de Boufflers, de Ségur, de Laujon, de Parny, et de Longchamps, méritent également d'être offertes pour modèles; mais dans la nécessité où je suis de n'en présenter qu'un seul, mon choix doit tomber encore sur un des chefs-d'œuvre de l'Horace français.

L'abandon, le désordre, la verve, ou plutôt l'audace poétique, la double ivresse de l'amour et des Ménades, portée jusqu'au délire; en un mot, tous les caractères de la chanson érotique se trouvent au plus haut degré dans la Bacchante de Béranger; mais les foudres de Thémis ont brisé son thyrse et sa coupe, et m'obligent à prendre un autre exemple. Je le choisirai parmi plusieurs chansons où, par une alliance aussi aimable qu'inattendue, l'amour le plus tendre, et la sensibilité la plus douce, se mêlent aux pensées mélancoliques de la plus haute philosophie.

LA BONNE VIEILLE.

Vous vieillirez, ô ma belle maîtresse !
Vous vicillirez, et je ne serai plus.

Pour moi le temps semble, dans sa vitesse,
Compter deux fois les jours que j'ai perdus.
Survivez-moi ; mais que l'âge pénible
Vous trouve encor fidèle à mes leçons ;
Et bonne vieille, au coin d'un feu paisible,
De votre ami répétez les chansons.

Lorsque les yeux chercheront sous vos rides
Les traits charmants qui m'auront inspiré,
Des doux récits les jeunes gens avides
Diront: Quel fut cet ami tant pleuré ?
De mon amour peignez, s'il est possible,
L'ardeur, l'ivresse, et même les soupçons;
Et bonne vieille, au coin d'un feu paisible,
De votre ami répétez les chansons.

On vous dira: Savait-il être aimable ?
Et sans rougir, vous direz: Je l'aimais.
D'un trait méchant se montra-t-il coupable?
Avec orgueil, vous répondrez: Jamais.
Ah! dites bien qu'amoureux et sensible,
D'un luth joyeux il attendrit les sons;
Et bonne vieille, au coin d'un feu paisible,
De votre ami répétez les chansons.

Vous que j'appris à pleurer sur la France,
Dites sur-tout aux fils des nouveaux preux,
Que j'ai chanté la gloire et l'espérance
Pour consoler mon pays malheureux.
Rappelez-leur que l'aquilon terrible

De nos lauriers a détruit vingt moissons;
Et bonne vieille, au coin d'un feu paisible,
De votre ami répétez les chansons.

Objet chéri, quand mon renom futile

De vos vieux ans charmera les douleurs ;

A mon portrait, quand votre main débile,
Chaque printemps, suspendra quelques fleurs ;
Levez les yeux vers ce monde invisible
Où pour toujours nous nous réunissons;

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