S'il aime les honnêtes femmes, S'il dédaigne un frivole encens, S'il veut qu'un prélat soit chrétien, La révolution, qu'avait prédite en chanson le chevalier de Lille en 1780, éclate quelques années après. L'amour de la liberté embrase tous les cœurs, et des chants vraiment nationaux célébrent cette grande conquête. Mais bientôt la plus noble des passions s'exaltera jusqu'à la frénésie, et les fureurs populaires déshonoreront une cause si belle. L'Hymne des Marseillais, le Chant du départ, dignes de la lyre d'Alcée, enfanteront des héros; tandis que des refrains de sauvages pousseront au pillage et au meurtre une populace en délire. La république périt au milieu de ses triomphes et de ses excès; l'ascendant d'un seul homme remplace l'énergie nationale, et la servitude glorieuse qu'il impose au peuple français, fait succéder les chants de victoire aux hymnes de la liberté. La muse patriotique se réveille en gémissant au bruit de la chute du héros ; un poëte doué de la grace et de la fi nesse d'Horace, d'un esprit à-la-fois philosophique et satirique, d'une ame vive et tendre, d'un caractère qui sympathisait avec toutes les gloires, avec tous les maux de son pays, s'assied, la lyre en main, sur le tombeau des braves, et fait répéter à la France en deuil les plaintes harmonieuses qu'il exhale dans des chants sans rivaux et sans modėles. J'ai nommé Béranger; poëte national, il a créé parmi nous ce genre de chansons, et s'est fait une gloire à part dans tous les autres. Par un talent, ou plutôt par un charme qu'il a seul possédé, il a su rassembler dans des poëmes lyriques de la plus petite proportion, la grace antique et la saillie moderne, la pensée philosophique et le trait de l'épigramme, la gaieté la plus vive et la sensibilité la plus profonde, en un mot, tout ce que l'art a de plus raffiné, et tout ce que la nature a de plus aimable. M. de Béranger excelle dans la chanson politique, et je n'ai que le choix entre plusieurs chefs-d'œuvre du genre, où il a retracé le tableau du despotisme. Je m'arrête à Louis XI, et en indiquant l'air de Dezéde sur lequel cette chanson est composée (Sans un petit brin d'amour), je fais d'abord remarquer le singulier bonheur du rhythme choisi, qui se prête si bien à la double pensée du poëte. LOUIS XI. Heureux villageois, dansons! Et garçons! Unissez vos joyeux sons, Musettes Et chansons! Notre vieux roi caché dans ces tourelles, Veut essayer, au temps des fleurs nouvelles, Heureux villageois, dansons! Et garçons! Unissez vos joyeux sons, Et chansons! Quand sur nos bords on rit, on chante, on aime, Louis se retient prisonnier. Il craint les grands, et le peuple, et Dieu même ; Sur-tout il craint son héritier. Malgré nos chants, il se trouble, il frissonne, L'horloge a causé son effroi. Ainsi toujours il prend l'heure qui sonne Pour un signal de son beffroi. Heureux villageois, dansons! Et garçons! Unissez vos joyeux sons, Musettes Et chansons! Mais notre joie, hélas ! le désespère. Il fuit avec son favori. Craignons sa haine, et disons qu'en bon père Heureux villageois, dansons, Sautez, fillettes Et garçons! Uuissez vos joyeux sons, Musettes Et chansons! Je ne pense pas qu'il soit possible d'atteindre dans ce genre à un plus haut degré d'élévation, et de fondre avec plus d'habileté, dans un petit drame, rempli de mouvement et d'éclat, les souvenirs de l'histoire, la grace naturelle de la situation, et les leçons de la plus haute philosophie. LA CHANSON GUERRIÈRE. Il y a, dit Montaigne, une harmonie courageuse qui échauffe en même temps le cœur et l'oreille. Les chansons militaires ont par-tout animé les hommes aux combats. Ces vers de Tirtée, répétés par les Athéniens au bruit des lyres, avant la bataille de Marathon, méritent de trouver place ici, non seulement comme la plus ancienne, mais comme une des plus belles chansons guerrières qui existent dans aucune langue et chez aucun peuple. Qu'il est beau de mourir à son poste immobile, Et de tomber aux premiers rangs! Qu'il est beau de périr pour sa mère débile, Pour son vieux père et ses enfants! Fuyez, lâches, fuyez, résignés à l'outrage, marchons aux ennemis. Et nous, Pressons nos rangs, mourons avec courage; Il est beau d'expirer en vengeant son pays. Eh quoi! de vieux guerriers dont la tête est blanchie De l'ennemi bravent les coups. Ces héros offriraient les restes de leur vie, Nous les verrions, craignant qu'on n'insulte à leurs mânes, Et soulevant leurs bras mourants, D'une pudique main dérober. . . . . . Qui donnèrent le jour à de lâches enfants. La pruderie de notre langue permet à peine de laisser entrevoir l'énergique pensée que l'auteur grec exprime clairement dans ces deux derniers vers. pas être Citons encore ce chœur d'Alcée, qu'on ne doit surpris d'entendre appeler barbare par les poëtes lauréats de nos monarchies modernes 1. Ne confiez jamais l'espoir de vos batailles A l'airain protecteur qui défend vos murailles ; Dans les temps antérieurs à la révolution, cette poésie Je me sers de la traduction que je trouve dans l'excellent ouvrage que vient de publier M. Dupaty, sous le titre, De l'Art poétique des demoiselles. POÉSIES LÉGÈRES. 2 |