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l'Académie de Paris publia, il y a quelques années, le Manuel du Versificateur latin, ou Supplément au pelit Traité de Rollin sur la Versification latine. On pouvait espérer que ce travail ne laisserait rien à désirer: il sortait de mains habiles; le poëte avait précédé le critique, et des vers connus de tous les littérateurs déposaient en faveur du nouvel ouvrage. Cependant l'auteur a-t-il bien recueilli tous ses souvenirs sur cette matière? Nous croyons qu'il est loin de l'avoir épuisée; et, après avoir rendu hommage à la justesse des aperçus qu'il a jetés dans ce peu de pages, nous tenterons d'en offrir de nouveaux. Nous nous adressons aux élèves qui connaissent les règles de la quantité et le mécanisme du vers hexamètre, et nous avons pour but de rechercher les effets que produit la poésie latine, pour les désigner à leur admiration, et de les initier dans le secret des ressources poétiques, afin de faciliter leur travail.

Ici une objection se présente, un scrupule nous arrête. La ver sification latine mérite-t-elle ces laborieuses recherches et ces officieuses recommandations? Le temps que l'on consacre à en poser les préceptes n'est-il pas perdu, aussi bien que celui que l'on passe à les appliquer ? Tel est, je le sais, l'avis de plus d'un détracteur; car la poésie latine est en butte à de nombreuses attaques, et notre siècle surtout lui prodigue un superbe mépris. L'industrie, le commerce, les sciences exactes ont pris de nos jours un développement qui frappe tous les yeux. L'élan des esprits vers ces objets a dû les habituer aux résultats matériellement utiles, aux solutions rigoureuses, à ce qu'on appelle le positif, et les rendre peu sensibles aux arts d'imagination, dont l'utilité, tout intellectuelle, est moins facile à apprécier, et n'est pas soumise au calcul. Ils n'y voient qu'un jeu d'esprit frivole, qui pouvait séduire quand les sociétés, moins civilisées, étaient occupées de moindres intérêts, mais dont un siècle de lumières doit faire justice, et que dédaigneront également le vrai philosophe et le vrai citoyen. Le rêve de Platon, sous ce rapport du

moins, n'est pas loin de se réaliser; les poëtes seront chassés de nos sages gouvernements :

Ignavum fucos pecus a præsepibus arcen.

Toutefois n'exagérons point. Si l'ami des arts est souvent froissé par les sèches doctrines de l'industrialisme, il faut avouer que ces idées n'ont pas encore tout envahi, et que la réforme n'est pas encore opérée. Il est des gens qui sentent et honorent les beaux-arts, et qui pensent que ce qui élève l'âme en lui procurant de nobles jouissances, ce qui développe et entretient dans l'homme le sentiment du beau, qui n'est, après tout, que le sentiment du bien, se légitime assez, même au tribunal d'une philosophie qui se fonde sur l'intérêt. Il est des gens qui aiment et cultivent les arts, et ne se croient pas obligés, de par le dixneuvième siècle, de passer leur vie dans un comptoir, dans une manufacture ou dans un laboratoire.

Mais, il faut le dire, si les beaux-arts et les lettres en particulier sont encore en honneur, l'utilité de la versification latine est souvent contestée, et des hommes recommandables par leur savoir s'étonnent de la voir figurer si honorablement dans notre système d'éducation. Ils pensent que les jeunes gens auraient quelque chose de mieux à faire que d'aligner péniblement des dactyles et des spondées; qu'il vaudrait mieux les occuper d'idées que de les faire ainsi compasser des mots par une sorte de procédé mécanique; que ce travail a pour but de déguiser à leurs yeux la nullité du fond par la pompe d'une expression que l'on appelle poétique. Si tel est l'objet de la versification latine, elle justifie toutes les attaques, et nous nous rangeons du côté des censeurs. Mais on calomnie à la fois et l'Université qui la protége, et les professeurs qui l'enseignent, et les élèves qui s'y adonnent sérieusement. On ne fait que reproduire ici un sophisme bien commun de nos jours, et qui, pour avoir été tant de fois appliqué à la religion, à la philosophie, à la politique, commence à être usé, et n'échappe pas aux moins clairvoyants: il

consiste à juger une chose par quelques abus qu'elle désavoue. Nous ne pouvons nier que la versification latine ne produit pas toujours les effets qu'elle se propose. Quelques élèves, prévenus contre ce genre d'étude, beaucoup d'autres, ennemis de toute espèce de travail, se contentent de rendre à leur professeur la matière qu'il leur a donnée, après l'avoir défigurée par quelques épithètes insignifiantes, quelques synonymes ridicules. Tous leurs vœux se bornent à compléter les six pieds de l'hexamètre; ils les forment, sans réflexion, de pièces de rapport; ils font des vers pour ainsi dire comme une mosaïque. Sortis des colléges, ils se rappellent la manière dérisoire dont ils s'occupaient de ce travail, quels fruits ils en ont recueillis, et ils sont très-conséquents en voulant le proscrire. Envisageons-le sous un point de vue plus élevé, et essayons de le défendre contre les dédains de la paresse et l'erreur du préjugé.

Le but de l'instruction est de développer l'esprit. L'étude des langues est très-propre à remplir cet objet. Les langues anciennes ont été choisies de préférence, tant à cause de la beauté qui les recommande qu'à cause des nombreux trésors dont elles sont dépositaires. L'enfant qui commence cette étude a des mots, des règles à apprendre; sa mémoire surtout est mise en jeu. Peu à peu son jugement se forme; on lui donne à traduire d'une langue dans une autre. Ce travail exige de lui une parfaite intelligence du texte; il s'habitue à se rendre compte des idées d'un auteur; le besoin d'analyser pénètre insensiblement dans cette jeune tête. Jusqu'ici il.s'agit de comprendre, et non de produire : des pensées étrangères doivent être rendues avec exactitude; y ajouter, ce serait manquer au devoir d'interprète. Ce n'est qu'en Seconde, et surtout en Rhétorique, qu'on demande aux élèves, non plus seulement l'œuvre de leur jugement, mais l'œuvre de leur imagination. La versification latine, qui les prépare à ce travail, sert de lien, d'intermédiaire entre la Rhétorique et les classes inférieures. Les sujets qu'ils ont à traiter provoquent leur activité ils s'interrogent, pour trouver en eux-mêmes ce que la

matière a omis à dessein. Une épithète heureuse, une phrase incidente, un court développement, tel est d'abord le résultat de leurs modestes découvertes; mais déjà leurs essais portent l'empreinte de leur pensée. Plus tard ils trouveront des développements plus étendus; ils ajouteront de nouvelles idées; on reconnaîtra que les données de la matière ont passé par une intelligence: ici un trait de sensibilité, là des détails descriptifs en révèleront les traces. Qu'il est intéressant de voir ainsi la pensée comme jaillir d'un esprit; de le voir devenir créateur, c'est-àdire s'élever à toute la dignité de sa nature! Non, il n'est pas perdu pour lui, ce travail par lequel il pénètre les sentiments de l'homme, ou se transporte devant une scène de la nature; il n'est pas perdu pour lui, ce travail par lequel il cherche la forme qu'il donnera à ses conceptions, jusqu'à ce qu'il ait réussi à les revêtir d'une expression noble et harmonieuse. La difficulté d'écrire en vers s'ajoute d'abord à la difficulté d'inventer; mais une application constante ne tarde pas à l'aplanir, et l'on peut alors concentrer ses efforts sur le véritable objet qui en est digne. La pensée est le but; la versification n'est que le moyen. C'est l'oubli de cette vérité qui donne prise aux censures, qui justifie les reproches adressés à quelques vers remplis de riens emphatiques :

Sunt versus inopes rerum, nugæque canora.

Qu'on ne pense pas que les entraves de la quantité soient superflues, et que des compositions en prose présenteraient des résultats plus satisfaisants. Si nous reconnaissons que la pensée doit être la base de toute composition littéraire, on reconnaîtra aussi que la pensée ne vaut que par l'expression, et qu'un style dépourvu d'élégance défigure l'idée la plus heureuse, et en détruit tout l'effet. Abusant de la liberté que leur laisse la prose, les jeunes gens ne soignent pas assez l'expression: ils n'ont pas la patience de s'astreindre à une recherche souvent pénible, et ils courent d'une idée à une autre, sans apprendre à écrire. La

mesure poétique arrête cette funeste précipitation; elle les force à passer en revue un grand nombre de mots et de tournures, jusqu'à ce qu'ils aient satisfait à ce qu'elle exige; et, s'ils ne sont pas toujours maîtres de choisir ce qu'ils ont vu de mieux, du moins ils l'ont vu, et cet exercice porte ses fruits. Plus tard, quand ils écriront, soit en vers, soit en prose, soit en latin, soit en français, ils seront toujours pénétrés de la nécessité d'orner et d'ennoblir l'expression négligée qui se présente ordinairement la première.

Mais hâtons-nous de voir dans la poésie autre chose qu'une difficulté qui impose le travail, et parlons de ce charme qui séduit l'imagination. Une pensée revêtue des couleurs poétiques acquiert une puissance magique dont on ne peut ni se défendre, ni rendre compte. Se nourrir des grands modèles en ce genre, s'efforcer de les imiter, c'est ouvrir à son intelligence une source inépuisable de jouissances et de progrès: on trouve dans leur lecture des idées élevées, de nobles sentiments, qui, grâce au prestige du rhythme poétique, pénètrent encore plus avant dans de jeunes esprits. Ils admirent ces mouvements entraînants qui répondent à leur insu à l'élan naturel de leur âge et cette admiration ne sera point stérile. Ces idées grandes qui les auront frappés seront l'objet de leurs recherches, en même temps que le type de leurs jugements; ces sentiments généreux qui les auront émus les feront descendre en eux-mêmes, pour en puiser de semblables dans leur cœur. Cette harmonie enchanteresse qui les aura flattés deviendra pour eux un besoin, et ils emprunteront quelque chose de ces vives couleurs dont ils auront vu la poésie revêtir les objets.

Rollin dit que, pour sentir les poëtes latins, il faut absolument s'être exercé dans leur poésie. Je sais que bien des gens contestent cette assertion: ils prétendent que le goût suffira toujours pour apprécier ce qui est beau, et ils consentent tout au plus à apprendre ce que c'est qu'un dactyle et un spondée, et de combien de pieds se compose le vers hexamètre. Cette concession est déjà

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