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CHAPITRE XV.

DU STYLE POÉTIQUE.

Il ne faut pas croire que la poésie ne diffère de la prose que par l'obligation gênante qui lui est imposée d'avoir égard à la quantité des syllabes, et de renfermer sa pensée dans un certain nombre de pieds. Horace nous fournit un moyen infaillible de reconnaître le style poétique: il veut que l'on détruise la symétrie du vers le style qui résistera cette épreuve, et qui, en perdant le charme du rhythme, n'aura rien perdu de sa dignité, sera le vrai langage de la poésie. Il fait lui-même cet essai sur deux vers d'Ennius :

Postquam Discordia tetra

Belli ferratos postes portasque refregit;

et il remarque fort bien que, si l'on change cette construction, il restera quelque chose qui ne sera pas de la prose la pensée ne cessera pas d'être grande, majestueuse; on reconnaîtra encore disjectı membra poeta. Horace consent à se sacrifier, pour confirmer, par un aveu sincère et modeste, la loi du bon goût qu'il vient d'établir, et il ne voit dans ses Satires que de la prose soumise aux règles de la versification. Nous ne contredirons pas ce jugement:

1. Primùm ego me illorum, dederim quibus esse poetis,
Excerpam numero: neque enim concludere versum
Dixeris esse satis; neque, si quis scribat, uti nos,
Sermoni propiora, putes hunc esse poetam....
Non satis est puris versum perscribere verbis
Quem si dissolvas, quivis stomachetur eodem,
Quo personatus pacto pater. His, ego quæ nunc,
Olim quæ scripsit Lucilius, eripias si

Tempora certa modosque, et, quod prius ordine verbum est,
Posterius facias, præponens ultima primis,

Non.... invenias disjecti membra poetæ. (Sat. I, 4, 39, suiv.)

Avons-nous besoin d'excuse auprès des admirateurs d'Horace, si nous ne

elles offrent peu de poésie; mais ce genre, où doit régner une sorte d'abandon et de négligence, n'exigeait ni plus de richesse dans l'expression, ni plus de sévérité dans la facture du vers1. Quand nous voudrons retrouver le poëte, nous lirons ses Odes.

La prose parle à la raison, la poésie s'adresse à l'imagination; la première se contente d'instruire, la seconde se propose de peindre; quand l'une ne demandera que de la clarté et de la précision, l'autre exigera de l'éclat et de l'abondance. Les pensées de la poésie seront plus élevées, ses tours plus hardis, ses expressions plus nobles. Virgile nous représente la Discorde frémissant de voir la paix donnée au monde :

Claudentur Belli portæ; Furor impius intus,

Sæva sedens super arma, et centum vinctus ahenis
Post tergum nodis, fremet horridus ore cruento.

La prose oserait-elle jamais offrir un pareil tableau? Oserait-elle imiter la hardiesse de cette apostrophe:

Hinc procul addit?

Tartareas etiam sedes, alta ostia Ditis,

Et scelerum pœnas, et te, Catilina, minaci

Pendentem scopulo, Furiarumque ora trementem. V.

ou bien emprunter ces expressions figurées: Cererem

proposons pas ses vers hexamètres pour modèles? Il est bien entendu que nous parlons de poésie élevée; et dire que la versification de ses épîtres et de ses Satires ne ressemble pas à celle d'une épopée, c'est un éloge et non une critique. Pour notre pleine justification, nous transcrirons ici l'apologie faite par Port-Royal des hexamètres négligés : « Quelques-uns les més<< estiment par ignorance, parce qu'ils n'y trouvent pas la majesté et la ca«dence des Héroïques, comme dans Virgile: ne sachant pas qu'Horace les << a faits ainsi à dessein pour les rendre plus semblables à des discours de « prose, et que c'est une négligence étudiée, qui est accompagnée de tant « de grâces, et d'une si grande pureté de style, qu'elle n'est guère moins admirable en son genre que la gravité de Virgile. »

1. Voyez la note à la fin du volume.

2. Vulcanus.

corruptam undis, pour panem; infusâ pallade, pour infuso oleo?

Nous avons déjà fait connaître les différentes ressources du langage poétique. Les changements que nous avons présentés dans les chapitres précédents, comme facilitant la facture du vers, contribuent en même temps à l'élégance. En parlant du substantif, nous avons passé en revue à peu près toutes les figures de mots, dont la poésie fait un si fréquent usage. Elle évite l'expression triviale et exige de la. noblesse : le synonyme et la périphrase répondent à ce besoin; elle aime à peindre les objets physiques et à caractériser les objets moraux : l'épithète vient à son secours; et si ce léger ornement ne suffit pas pour remplir son intention, elle emploie l'apposition, l'incise, le redoublement d'idée, l'amplification. La prose a bien aussi recours à ces ornements mais elle en use avec plus de sobriété, tandis qu'il est dans l'essence de la poésie d'en être enrichie.

Nous allons encore ajouter quelques développements, pour compléter ce que nous avons à dire sur cette matière.

1o ESSE, HABERE. La pensée se présente d'abord avec des mots simples, comme esse et habere. Virgile nous apprendra à les remplacer par des mots plus élégants et qui offrent des images.

Il parle d'une espèce d'abeilles qui choquent la vue par leur difformité :

Ast aliæ turpes horrent.

Il veut peindre Apollon revêtu d'un carquois :
Tela sonant 1 humeris.

1. De même Tibulle:

Crura licèt durâ compede vincta sonent.

la caverne ensanglantée de Polyphème :

Limina.

Sanieque exspersa natarent

des naufragés au haut d'une vague:

Hi summo in fluctu pendent.

la maison retirée d'Anchise :

Secreta parentis

Anchisæ domus, arboribusque obtecta, recessit.

les champs privés de laboureurs :

Squalent abductis arva colonis.

Il parle d'un berger qui a cent jeunes brebis :
Mille meæ Siculis errant in montibus agnæ.

d'un homme qui a cent charrues:

Terram centum vertebat aratris.

d'un serpent hérissé d'écailles :

Arrectisque horret squamis.

de la Renommée, qui a cent bouches et cent oreilles :

Tot linguæ, totidem ora sonant, tot subrigit aures.

d'Égéon aux cent mains :

Jovis quum fulmina contra,

Tot paribus streperet clypeis, tot stringeret enses.

des armes dont Ênée est revêtu :

Sidereo flagrans clypeo et cœlestibus armis.

d'un temple de Vénus:

Ubi templum illi, centumque Sabæo
Ture calent aræ, sertisque recentibus halant.

On voit dans tous ces exemples les efforts constants du poëte pour ennoblir l'expression et pour mettre l'objet sous les yeux.

2o IS, HIC, ILLE. Les pronoms is, hic, ille, se présentent à chaque pas en écrivant. La poésie les admet au nominatif, et de préférence au commencement du vers : Ille autem, ille ubi, isque ubi, etc.; primus dedit ille petenti. Aux cas obliques surtout on les voit commencer le vers:

Olli subridens hominum sator atque deorum. V.
Atque illum in præceps prono rapit alveus amni. V.

On évitera de les placer dans le corps du vers, et surtout à la fin. Ovíde les emploie d'une manière prosaïque dans les passages suivants :

Qualia (murmura) fluctus
Æquorei faciunt, si quis procul audiat illos...
Non tamen eventu juvenum conterritus horum...

Ils sont ordinairement remplacés par une épithète : la phrase y gagne une image ou un sentiment nouveau. Virgile nous montre un aigle déchirant un serpent:

Illa haud minùs urget obunco

Luctantem 1 rostro.

Énée arrachant le rameau d'or qui doit lui ouvrir le chemin des enfers :

Corripit extemplo Æneas, avidusque refringit

Cunctantem.

1. Au lieu de eum (serpentem), que pourrait donner une matière.

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