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Le bœuf Hapi avait fini par devenir aux yeux des Égyptiens l'expression la plus complète de la divinité sous forme animale. Il procédait à la fois d'Osiris et de Phtah : aussi l'appelle-t-on « la seconde vie de Phtah» et «l'âme d'Osiris1». Il n'avait point de père, mais un rayon de lumière venu du ciel fécondait la génisse qui le portait et ne pouvait plus désormais avoir d'autre enfant2. Il devait être noir, porter au front une tache blanche triangulaire, sur le dos la figure d'un vautour ou d'un aigle aux ailes éployées, sur la langue l'image d'un scarabée: les poils de sa queue, étaient doubles. « Le scarabée, le vautour et toutes celles des autres marques qui tenaient à la présence et à la disposition relative des épis n'existaient pas réellement. Les prêtres, initiés aux mystères d'Apis, les connaissaient sans doute seuls et savaient y voir les symboles exigés de l'animal divin, à peu près comme les astronomes reconnaissent dans certaines dispositions d'étoiles les linéaments d'un dragon, d'une lyre et d'une ourse3. » Il vivait à Memphis dans une chapelle attenante au grand temple de Phtah et recevait de ses prêtres les honneurs divins. Il rendait des oracles aux particuliers qui venaient le consulter et pouvait remplir d'une fureur prophétique les enfants qui l'approchaient".

La durée de sa vie ne devait pas excéder un certain nombre d'années fixé par les lois religieuses: passé vingt-cinq ans, les prêtres le noyaient dans une fontaine consacrée au Soleil. Cette règle, en vigueur à l'époque Romaine, n'existait pas encore ou n'était pas rigoureusement appliquée dans les temps Pharaoniques, car deux Apis contemporains de la vingt-deuxième dynastie vécurent plus de vingtsix ans. L'Apis défunt devenait un Osiris et prenait le nom d'Osar-Hapi, d'où les Grecs ont tiré le nom de leur dieu Sarapis. Au commencement, chaque animal sacré

1. De Iside, c. 20; Strabon, 1. XVII, c. 1. 2. Hérodote, III, 28. Cf. Pomponius Mela, I, 9; Plinius, VIII, 46. - 3. Mariette, Renseignements sur les Apis, dans le Bulletin archéologique de l'Athenæum français, 1855, p. 54. 4. Pline, 1. VIII, c. 4, 6. 5. Auguste Mariette, Renseignements, t. I, p. 94-100.

HIST. ANC.

avait sa tombe isolée dans cette partie de la nécropole Memphite que les Grecs appelaient le Sérapéion. Elle se composait d'un édicule orné de bas-reliefs sous lequel on pratiquait une chambre carrée à plafond plat. Vers le milieu du règne de Ramsès II, au tombeau isolé on substitua un cimetière commun. On creusa dans la roche vive une longue galerie d'une centaine de mètres. de long, sur chaque côté de laquelle ont été successivement percées quatorze chambres assez grossières; plus tard, le nombre des galeries et des chambres s'accrut à mesure que le besoin s'en faisait sentir. La momie d'Apis une fois mise en place, les ouvriers muraient l'entrée de la chambre; mais les visiteurs ou les dévots avaient l'habitude de déposer soit dans le mur même qui barrait l'accès du caveau, soit dans les parties voisines du rocher une stèle contenant leur nom et une prière à l'Apis mort'. Ce culte, établi d'une manière définitive par le second roi de la deuxième dynastie, dura jusqu'aux derniers jours de l'Égypte. Mais alors, après la dispersion des prêtres, les tombes furent violées, puis abandonnées, et le désert s'en empara: au bout de quelques années le sable les avait recouvertes. Il était réservé à M. Mariette de les retrouver en 1851, après quatorze siècles et plus d'un oubli complet.

Telle est dans son ensemble la religion égyptienne. Nous devons reconnaître que, malgré l'étrangeté de certaines conceptions, elle ne manquait ni d'élévation ni de grandeur. Mais au cours des siècles elle s'altéra et se perdit. Dans les textes d'époque grecque et romaine, l'idée si haute de la divinité que s'étaient faite les premiers théologiens de l'Égypte perce encore par instants; on rencontre encore maints lambeaux de phrases, maintes épithètes qui prouvent que le principe de la religion n'était pas oublié. Mais le plus souvent ce n'est pas avec le Dieu infini et insaisissable des anciens jours que nous avons affaire, c'est avec un dieu de

1. Cf. pour tout ce qui a rapport au culte d'Apis, Mariette, Mémoire sur la mère d'Apis, Paris, 1856, in-4.

chair et d'os, qui vit sur la terre et s'est abaissé à n'être plus qu'un homme et qu'un roi. Ce n'est plus ce dieu dont on ne connaît ni la forme ni la substance: c'est Khnoum à Esneh, Hathor à Denderah; c'est Hor-em-akhouti (Harmakhis) patron d'Edfou, roi de la dynastie divine. Il a une cour, des ministres, une armée, une flotte. Son fils aîné, Har-hout, prince de Koush et héritier présomptif de la couronne, commande les troupes; le premier ministre Thot, dieu de son métier et inventeur des lettres, connaît sa géographie et sa rhétorique sur le bout du doigt: il est d'ailleurs historiographe de la cour et se trouve chargé, par décret royal, du soin d'enregistrer les victoires de son seigneur et de trouver pour elles des noms

sonores.

Quand le dieu fait la guerre à son voisin Typhon, il n'emploie pas contre l'ennemi les armes célestes dont on pourrait supposer qu'il dispose à son gré. Il se met en expédition avec ses archers et ses chars, descend le Nil sur sa barque, comme aurait pu faire le dernier venu des Pharaons, ordonne des marches et des contre-marches savantes, livre des batailles rangées, soumet des villes, jusqu'au moment où l'Égypte entière se prosterne devant lui et reconnaît son autorité. C'est qu'en fait les Egyptiens du temps des Ptolémées au dieu unique d'autrefois avaient substitué des dieux-rois, sur la légende desquels leur fantaisie a brodé maints détails. Que ces détails soient le plus souvent d'origine égyptienne et n'aient pas été empruntés aux nations étrangères, rien de mieux, le fait est certain. Toute cette végétation parasite de mythes et de traditions qui est venue se greffer sur l'ancien mythe et l'a presque étouffé est un produit authentique du sol national. Mais qu'on puisse légitimement s'appuyer sur ces élucubrations mystiques des bas âges pour reconstituer le système religieux des premiers Pharaons, c'est là ce que je n'admets à aucun prix. Nous devons nous borner à étudier dans les textes d'époque ptolémaïque la mythologie d'époque ptolémaïque et rien de plus. Essayer d'en induire la religion des générations antérieures serait au moins téméraire : autant pré

tendre restituer avec l'hellénisme de Julien, ou le mithraïsme, la religion des héros homériques'.

Établissement de la monarchie historique; Ména.

Dans les derniers temps de la période antéhistorique, la classe sacerdotale avait obtenu la suprématie sur les autres classes de la nation. Un homme, originaire de Théni, dans la Haute Égypte, et nommé Ména (Ménès), détruisit la domination des prêtres et fonda la monarchie égyptienne2. Elle dura quatre mille ans au moins, sous trente dynasties consécutives, de Ména jusqu'à Nectanébo. On divise d'ordinaire cet intervalle de temps, le plus long qu'ait enregistré l'histoire, en trois parties: l'Ancien Empire, de la première à la onzième dynastie; le Moyen Empire, de la onzième dynastie à l'invasion des Pasteurs; le Nouvel Em-. pire, de l'invasion des Pasteurs à la conquête persane. Cette division a l'inconvénient de ne pas tenir un compte suffisant de la marche de l'histoire. Il se produisit en effet trois grandes révolutions dans la vie historique de l'Égypte. Au début des dynasties humaines, le centre de gravité du pays est à Memphis Memphis est la capitale et le tombeau des rois, impose ses souverains au reste du pays, sert d'entrepôt au commerce et à l'industrie égyptienne. Vers la sixième dynastie, le centre de gravité se déplace et tend à descendre vers le sud. Il s'arrête d'abord à Héracléopolis dans la Moyenne Égypte (neuvième et dixième dynasties), et finit par se fixer à Thèbes avec la onzième dynastie. Dès lors c'est Thèbes qui devient la capitale réelle du pays et lui fournit ses rois à l'exception de la quatorzième dynastie Xoïte, toutes les dynasties, de la onzième à la vingt et unième, sont thébaines d'origine. Quand les Pasteurs envahissent l'Égypte, la Thébaïde devient le refuge de la nationalité égyptienne, et ses princes, après avoir lutté pendant des siècles contre les conquérants, finissent par

1. Cf. Maspero, sur la Littérature religieuse, p. 465–466. — 2. Hérodote, II, 4, 99; Diodore, I, 45.

affranchir toute la vallée du Nil au profit d'une dynastie thébaine, la dix-huitième, qui ouvre l'ère des grandes guerres étrangères. Sous la dix-neuvième dynastie, un mouvement inverse à celui qui s'était produit vers la fin de la première période reporte peu à peu le centre de gravité vers le nord du pays. Avec la vingt et unième dynastie Tanite, Thèbes cessa de tenir le rang de capitale, et les villes du Delta, Tanis, Bubaste, Mendès, Sébennytos et surtout Saïs se disputèrent le premier rang. Désormais toute la vie politique du pays se concentra dans les nomes maritimes les nomes de la Thébaïde, ruinés par les invasions éthiopiennes et assyriennes, perdirent leur influence; Thèbes tomba en ruine et ne fut plus qu'un rendez-vous de touristes curieux. Je proposerai donc de diviser l'histoire d'Égypte en trois périodes correspondant chacune à la suprématie d'une ville ou d'une portion du pays sur le pays

tout entier.

io PÉRIODE MEMPHITE (PREMIÈRE-DIXIÈME DYNASTIES). Suprématie de Memphis et des rois memphites.

2o PÉRIODE THÉBAINE (ONZIÈME-VINGTIÈME DYNASTIES). - Suprématie de Thèbes et des rois thébains. Cette période est divisée en deux parties par l'invasion des Pas

teurs:

a. Ancien Empire thébain. Onzième-seizième dynasties. b. Nouvel Empire thébain. Seizième-vingtième dynasties.

3o PÉRIODE SAÏTE (VINGT ET UNIÈME-TRENTIÈME DYNASTIES). Suprématie de Saïs et des autres villes du Delta. - Cette période est divisée en deux parties par l'invasion perse:

Première période saïte. Vingt et unième-vingtsixième dynasties.

b. Deuxième période saïte. Vingt-septième-trentième dynasties1.

1. Revue critique, 1873, t. I, p. 82-83.

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