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DES

PEUPLES DE L'ORIENT

LIVRE PREMIER.
L'ÉGYPTE JUSQU'A L'INVASION DES PASTEURS.

CHAPITRE PREMIER.

L'ÉGYPTE PRIMITIVE.

De la

Le Nil et l'Égypte. Origine des Égyptiens; les nomes. religion égyptienne. — Établissement de la monarchie historique; Ména.

Le Nil et l'Égypte.

Des hautes chaînes de montagnes neigeuses qui bordent au Sud et à l'Est le plateau de l'Afrique centrale, s'échappent une foule de torrents et de rivières qui se rejoignent bientôt et forment au fond de la vallée une série de bassins superposés, sortes de mers intérieures d'où leurs eaux désormais confondues dans un même lit s'écoulent vers le Nord. En quittant la région des grands lacs où il cache ses sources, le nouveau fleuve court à travers d'immenses savanes entrecoupées de bois et de marais. Il en sort pour incliner légèrement à l'Est, comme s'il voulait se jeter dans la mer Rouge; mais, arrêté à mi-chemin par un massif montagneux au travers duquel il ne peut passer, il se redresse et s'unit sur la gauche au Bahr-el-Azrek et au

HIST. ANC.

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Tacassi qui lui apportent les eaux de l'Abyssinie. Il se heurte bientôt après contre le plateau du Sahara et s'y creuse un lit tortueux où son cours, interrompu quatre fois par des rapides, s'étage et descend lentement vers la Méditerranée sans plus recevoir aucun affluent. C'est la partie septentrionale de cette vallée, entre la première cataracte et la mer, qui a formé de tout temps le territoire de l'Égypte.

Le premier des voyageurs qui ait visité l'Égypte, le premier du moins qui nous ait laissé le récit de son voyage, Hérodote d'Halicarnasse, a résumé l'impression que produisit sur lui cette terre des merveilles en une seule phrase souvent citée : « L'Egypte est un don du Nil1. » L'Egypte n'est qu'une bande de terre végétale tendue à travers le désert, une oasis allongée aux bords du fleuve et sans cesse pourvue par lui de l'humidité nécessaire à la végétation. Il faut l'avoir vue au moment des plus basses caux, un mois avant le solstice d'été, pour se figurer ce qu'elle deviendrait si quelque accident la privait de son fleuve nourricier. « Le Nil s'est resserré entre ses rives au point d'être réduit à la moitié de sa largeur habituelle, et ses eaux troublées, limoneuses, stagnantes, semblent à peine couler dans une direction quelconque. Des bancs plats ou des masses abruptes d'une boue noire, cuite et recuite au soleil, forment les deux berges de la rivière. Au delà, tout n'est que sable et stérilité, car c'est à peine si le khamsin, ou vent chargé de sable qui dure quarante jours, a cessé de souffler. Le trone et les branches des arbres apparaissent çà et là à travers l'atmosphère poudreuse, aveuglante, enflammée, mais les feuilles sont tellement revêtues de poussière, qu'à distance on ne peut les distinguer du sable du désert qui les environne. C'est seulement au moyen d'arrosages pénibles et laborieux qu'on parvient à entretenir quelques semblants de verdure dans les jardins du Pacha. Enfin, et c'est le premier indice qui annonce la fin de cette terrible saison, -- le vent du Nord,

1. Hérodote, II, 7

l'Étésion des Grecs, se lève et se met à souffler avec force, parfois même avec furie, pendant tout le jour, Grâce à lui le feuillage des basquets qui recouvrent la Basse Égypte est bientôt débarrassé de la poussière et reprend sa couleur verte. Les ardeurs dévorantes du soleil, alors au plus haut de sa course, sont aussi fort à propos amoindries par le vent qui règne ce mois-là et les trois suivants sur tout le pays d'Egypte,

«Bientôt un changement se produit dans le fleuve. On signale au nilomètre du Gaire une hausse d'un pouce ou deux; les eaux perdent le peu de limpidité et de fraicheur qui en faisait hier encore une boisson délicieuse. Elles prennent la teinte verte, gluante et terne de l'eau saumâtre entre les tropiques, sans que filtre au monde ait réussi jusqu'à ce jour à les séparer de la substance nauséabonde et malsaine qui cause ce changement, Le phénomène du Nil pert provient, à ce qu'on dit, des vastes nappes d'eau stagnante que le débordement annuel laisse sur les larges plaines sablonneuses du Darfour, au sud de la Nubic. Après avoir croupi six mois et plus sous le soleil des tropiques, ces eaux sont balayées par l'inondation nouvelle et rentrent dans le lit du fleuve. Il est heureux que ce phónomène dure rarement plus de trois ou quatre jours, car, si court que soit ce temps, les malheureux contraints de s'abreuver au Nil, lorsqu'il est dans cet état, éprouvent des douleurs de vessie insupportables. Aussi les habitants des villes ont-ils la prévoyance d'approvisionner d'eau leurs réservoirs et leurs citernes.

« Dès lors la rivière augmente rapidement de volume et devient trouble par degrés, Il s'écoule pourtant dix ou douze jours avant l'apparition du dernier et du plus extraordinaire phénomène que présente le Nil. J'essaierai de décrire les premières impressions qu'il me fit éprouver, C'était à la fin d'une nuit longue et accablante, à mon juger du moins; au moment où je me levai du sopha sur lequel j'avais tenté vainement de dormir à bord de notre bateau que le calme avait surpris au large de Benisoüef, ville de la Haute Égypte, le soleil montrait tout

juste le bord supérieur de son disque au-dessus de la chaîne Arabique. Je fus surpris de voir qu'à l'instant où ses rayons vinrent frapper l'eau, un reflet d'un rouge profond se produisit sur-le-champ. L'intensité de la teinte ne cessa d'augmenter avec l'intensité de la lumière : avant même que le disque se fût dégagé complétement des collines, le Nil offrait l'aspect d'une rivière de sang. Soupçonnant quelque illusion, je me levai à la hâte, et, me penchant par-dessus le bordage, ce que je vis me confirma dans ma première impression. La masse entière des eaux était opaque, d'un rouge sombre et plus semblable à du sang qu'à toute autre matière avec laquelle j'aurais pu la comparer. En même temps, je m'aperçus que la rivière avait haussé de plusieurs pouces pendant la nuit, et les Arabes vinrent m'expliquer que c'était là le Nil rouge. La rougeur et l'opacité de l'eau sont soumises à de constantes variations, tant qu'elle reste dans cette condition extraordinaire. A de certains jours, quand la crue n'a pas dépassé un pouce ou deux, les eaux redeviennent à demi transparentes, sans perdre toutefois cette teinte d'un rouge sombre dont j'ai parlé. Il n'y a point là de mélange nuisible, comme au temps du Nil vert: l'eau n'est jamais plus saine, plus délicieuse, plus rafraîchissante que pendant l'inondation. Il y a des jours où la crue est plus rapide, et, par suite, où la quantité de limon charrié dépasse, dans la Haute Égypte, la quantité entraînée par toute autre rivière à moi connue même, en plus d'une occasion, j'ai pu m'apercevoir que cette masse opposait un obstacle sensible à la rapidité du courant. Un verre d'eau que je pris alors et que je laissai reposer pour un peu de temps, fournit les résultats suivants : la partie supérieure du liquide resta parfaitement opaque et couleur de sang, tandis qu'un précipité de boue noire remplissait environ le quart du verre. Une portion considérable de ce limon est déposée avant que la crue atteigne la Moyenne et la Basse Égypte, où je n'ai jamais vu l'eau du Nil en cet état.

<< Il n'y a peut-être pas dans tout le domaine de la nature un spectacle plus gai que le spectacle présenté par la

crue du Nil. Jour après jour et nuit après nuit, son courant troublé roule et s'avance majestueusement par delà les sables altérés des immenses solitudes. Presque d'heure en heure, tandis que nous remontions lentement poussés par le vent du nord, nous entendions le fracas produit par la chute de quelque digue de boue; nous voyions, au mouvement de toute la nature animée vers le lieu où le bruit venait de retentir, que le Nil avait franchi un nouvel obstacle et que ses eaux bondissantes allaient répandre la vie et la joie au milieu d'un autre désert. Des impressions que j'ai reçues, il y en a peu dont le souvenir me laisse autant de plaisir que l'impression causée par la vue du Nil, à sa première invasion dans l'un des grands canaux de son débordement annuel. Toute la nature en crie de joie. Hommes, enfants, troupes de bœufs sauvages, gambadent dans ses eaux rafraîchissantes, les larges vagues entraînent des bancs de poissons dont l'écaille lance des éclairs d'argent, tandis que des oiseaux de toute plume s'assemblent en nuées au-dessus. Et cette fête de la nature n'est pas restreinte aux ordres les plus élevés de la création. Au moment où le sable devient humide à l'approche des eaux fécondantes, il s'anime littéralement et grouille de millions d'insectes. L'inondation gagne Memphis ou le Caire quelques jours avant le solstice d'été : elle atteint sa plus grande hauteur et commence à décliner aux environs de notre équinoxe d'automne. A peu près au moment de notre solstice d'hiver, le Nil est de nouveau rentré dans ses rives et a repris sa teinte bleu clair. Les semailles ont été faites durant cet intervalle et se terminent en même temps que finit l'inondation. Le printemps est suivi sur-le-champ par le temps de la moisson, et la récolte est rentrée d'ordinaire avant le lever du khamsin ou vent de sable. L'année d'Égypte se partage donc naturellement en trois saisons: quatre mois de semailles et de croissance, qui correspondent approximativement à nos mois de novembre, décembre, janvier et février; quatre mois de récolte, qu'on peut de même indiquer d'une manière vague en les comparant aux mois de notre calendrier

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