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exactitude à l'histoire, ne pourrissent avant d'avoir été lus. C'est par la chimie à un bout, par l'astronomie à un autre, c'est surtout par la physiologie générale que nous tenons vraiment le secret de l'être, du monde, de Dieu, comme on voudra l'appeler. Le regret de ma vie est d'avoir choisi pour mes études un genre de recherches qui ne s'imposera jamais et restera toujours à l'état d'intéressantes considérations sur une réalité à jamais disparue. Mais, pour l'exercice et le plaisir de ma pensée, je pris certainement la 10 meilleure part. A Saint-Sulpice, en effet, je fus mis en face de la Bible et des sources du christianisme; je dirai, dans le prochain récit, l'ardeur avec laquelle je me mis à cette étude, et comment, par une série de déductions critiques qui s'imposèrent à mon esprit, les bases de ma vie, telle que 15 je l'avais comprise jusque-là, furent totalement renversées.

V

LE SÉMINAIRE SAINT-SULPICE

I

La maison fondée par M. Olier, en 1645, n'était pas la grande construction quadrangulaire, à l'aspect de caserne, qui forme maintenant un côté de la place Saint-Sulpice. L'ancien séminaire du xvire et du xviie siècle couvrait toute l'étendue de la place actuelle et masquait complètement 5 la façade de Servandoni. L'emplacement du séminaire d'aujourd'hui était occupé autrefois par les jardins et par le collège de boursiers 2 qu'on appelait les robertins. Le bâtiment primitif disparut à l'époque de la Révolution. La chapelle, dont le plafond passait pour le chef-d'œuvre de 10 Lebrun,3 a été détruite, et, de toute l'ancienne maison, il ne reste qu'un tableau de Lebrun représentant la Pentecôte d'une façon qui étonnerait l'auteur des Actes des apôtres. La Vierge y est au centre et reçoit pour son compte tout l'effluve du Saint-Esprit, qui, d'elle, se répand sur les apô- 15 tres. Sauvé à la Révolution, puis compris dans la galerie du cardinal Fesch, ce tableau a été racheté par la compagnie de Saint-Sulpice; il orne aujourd'hui la chapelle du séminaire.

A part les murs et les meubles, tout est ancien à Saint- 20 Sulpice; on s'y croit complètement au xvire siècle. Le

1 French architect (1695-1766). 2" "Scholarship-holders."

8 French painter (1619-1690).
41763-1839; uncle of Napoleon.

temps et les communes défaites ont effacé bien des différences. Saint-Sulpice cumule aujourd'hui les choses autrefois les plus dissemblables; si l'on veut voir ce qui, de nos jours, rappelle le mieux Port-Royal, l'ancienne Sorbonne et, 5 en général, les institutions du vieux clergé de France, c'est là qu'il faut aller. Quand j'entrai au séminaire Saint-Sulpice, en 1843, il y avait encore quelques directeurs qui avaient vu M. Emery; il n'y en avait, je crois, que deux qui eussent des souvenirs d'avant la Révolution. M. Hugon 10 avait servi d'acolyte au sacre de M. de Talleyrand à la chapelle d'Issy, en 1788. Il paraît que, pendant la cérémonie, la tenue de l'abbé de Périgord fut des plus inconvenantes. M. Hugon racontait qu'il s'accusa, le samedi suivant, en confession, "d'avoir formé des jugements témé15 raires sur la piété d'un saint évêque." Quant au supérieur général, M. Garnier, il avait plus de quatre-vingts ans. C'était en tout un ecclésiastique de l'ancienne école. Il avait fait ses études aux robertins, puis à la Sorbonne. Il semblait en sortir, et, à l'entendre parler de "monsieur 20 Bossuet," de "monsieur Fénelon," on se serait cru devant un disciple immédiat de ces grands hommes. Ces ecclésiastiques de l'ancien régime et ceux d'aujourd'hui n'avaient de commun que le nom et le costume. Comparé aux piétistes exaltés d'Issy, M. Garnier me faisait presque l'effet 25 d'un laïque. Absence totale de démonstrations extérieures, piété sobre et toute raisonnable. Le soir, quelques-uns des jeunes allaient dans la chambre du vieux supérieur pour lui tenir compagnie pendant une heure. La conversation n'avait jamais de caractère mystique. M. Garnier racontait ses sou30 venirs, parlait de M. Émery, entrevoyait sa mort prochaine avec tristesse. Cela nous étonnait par le contraste avec les

brûlantes ardeurs de M. Pinault, de M. Gottofrey. Tout dans ces vieux prêtres était honnête, sensé, empreint d'un profond sentiment de droiture professionnelle. Ils observaient leurs règles, défendaient leurs dogmes comme un bon militaire défend le poste qui lui a été confié. Les questions 5 supérieures leur échappaient. Le goût de l'ordre et le dévouement au devoir étaient le principe de toute leur vie.

1

M. Garnier était un savant orientaliste et l'homme le plus versé de France dans l'exégèse biblique, telle qu'elle s'enseignait chez les catholiques il y a une centaine d'années. 10 La modestie sulpicienne l'empêcha de rien publier. Le résultat de ses études fut un immense ouvrage manuscrit, représentant un cours complet d'Écriture sainte, selon les idées relativement modérées qui dominaient chez les catholiques et les protestants à la fin du xvir siècle. L'esprit en 15 était fort analogue à celui de Rosenmüller,1 de Hug,1 de Jahn. Quand j'entrai à Saint-Sulpice, M. Garnier était trop vieux pour enseigner; on nous lisait ses cahiers. L'érudition était énorme, la science des langues, très solide. De temps en temps, certaines naïvetés faisaient sourire: 20 par exemple, la façon dont l'excellent supérieur résolvait les difficultés qui s'attachent à l'aventure de Sara en Égypte. On sait que, vers la date où le Pharaon conçut pour Sara cet amour qui mit Abraham dans de si grands embarras, Sara, d'après le texte, aurait été presque septuagénaire. 25 Pour lever cette difficulté, M. Garnier faisait observer qu'après tout pareille chose s'était vue, et que mademoiselle de Lenclos "2 inspira des passions, causa des duels 1 E. F. K. Rosenmüller (1768-1835); J. L. Hug (1765-1846); J. J. Jahn (1750-1816), German theologians.

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2 Ninon de Lenclos (1620-1705). For her rôle and character see SainteBeuve, Causeries du Lundi, IV., p. 170.

ΤΟ

à soixante-dix ans. M. Garnier ne s'était pas tenu au courant des derniers travaux de la nouvelle école allemande; il resta toujours dans une quiétude parfaite sur les blessures que la critique du XIXe siècle avait faites au vieux 5 système. Sa gloire est d'avoir formé en M. Le Hir un élève qui, héritier de son vaste savoir, y joignit la connaissance des travaux modernes et, avec une sincérité qu'expliquait sa foi profonde, ne dissimula rien de la largeur de la plaie.

Accablé par l'âge et absorbé par les soucis du généralat de la société, M. Garnier laissait au directeur, M. Carbon, tout le soin de la maison de Paris. M. Carbon était la bonté, la jovialité, la droiture mêmes. Il n'était pas théologien; ce n'était nullement un esprit supérieur; on pou15 vait d'abord le trouver simple, presque commun; puis on s'étonnait de découvrir sous cette humble apparence la chose du monde la moins commune, l'absolue cordialité, une maternelle condescendance, une charmante bonhomie. Je n'ai jamais vu une telle absence d'amour-propre. Il riait 20 le premier de lui-même, de ses bévues à demi intentionnelles, des plaisantes situations où le mettait sa naïveté. Comme tous les directeurs, il faisait l'oraison à son tour. Il n'y pensait pas cinq minutes d'avance; il s'embrouillait parfois dans son improvisation d'une manière si comique, 25 qu'on s'étouffait pour ne pas rire. Il s'en apercevait, et trouvait cela tout naturel. C'était lui qui lisait, au cours d'Écriture sainte, le manuscrit de M. Garnier. Il pataugeait exprès, pour nous égayer, dans les parties devenues surannées. Ce qu'il y avait de singulier, en effet, c'est qu'il 30 n'était pas très mystique. "Quel peut être, pensez-vous, le mobile de vie de M. Carbon? demandai-je un jour à un

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