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n'était admise; les Pères, les conciles et les docteurs y paraissaient les sources du christianisme. On n'y prouvait pas la divinité de Jésus-Christ par Mahomet ou par la bataille de Marengo. Ces pantalonnades théologiques, qu'on faisait 5 applaudir à Notre-Dame, à force d'aplomb et d'éloquence, n'avaient aucun succès auprès de ces sérieux chrétiens. Ils ne pensaient pas que le dogme eût besoin d'être mitigé, déguisé, costumé à la jeune France.1 Ils manquaient de critique en s'imaginant que le catholicisme des théologiens a 10 été la religion même de Jésus et des apôtres; mais ils n'inventaient pas pour les gens du monde un christianisme revu et adapté à leurs idées. Voilà pourquoi l'étude (dirai-je la réforme ?) sérieuse du christianisme viendra bien plutôt de Saint-Sulpice que de directions comme celle de M. Lacor15 daire ou de M. Gratry,2 à plus forte raison de M. Dupanloup, où tout est adouci, faussé, émoussé, où l'on présente non point le christianisme tel qu'il résulte du concile de Trente3 et du concile du Vatican, mais un christianisme désossé en quelque sorte, sans charpente, privé de ce qui est son essence. 20 Les conversions opérées par les prédications de cette sorte ne sont bonnes ni pour la religion ni pour l'esprit humain. On croit avoir fait des chrétiens: on a fait des esprits faux, des politiques manqués. Malheur au vague! mieux vaut le faux. "La vérité, comme a très bien dit Bacon, sort plutôt

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25 de l'erreur que de la confusion."

Ainsi, au milieu du pathos prétentieux qui a envahi, de

1 In 1830 the extravagant young romanticists who distinguished themselves especially by eccentricity of dress were nicknamed les Jeunes France. Gautier took this name as the title of one of his books.

2 1805-1872; member of the French Academy, etc. other things a polemical answer to the Vie de Jésus. 4 See p. 117, note 2.

He wrote amongst 8 1545-1563. 5 Always used in a bad sense in modern French.

nos jours, l'apologétique chrétienne, s'est conservée une école de solide doctrine, répudiant l'éclat, abhorrant le succès. La modestie a toujours été le don particulier de la compagnie de Saint-Sulpice. Voilà pourquoi elle ne fait aucun cas de la littérature; elle l'exclut presque, n'en veut 5 pas dans son sein. La règle des sulpiciens est de ne rien publier que sous le voile de l'anonyme et d'écrire toujours du style le plus effacé, le plus éteint. Ils voient à merveille la vanité et les inconvénients du talent, et ils s'interdisent d'en avoir. Un mot les caractérise, la médiocrité ; 10 mais c'est une médiocrité voulue, systématique. Ils font exprès d'être médiocres. "Mariage de la mort et du vide,” disait Michelet de l'alliance des jésuites et des sulpiciens. Sans doute; mais Michelet n'a pas assez vu que le vide est ici aimé pour lui-même. Il devient alors quelque chose de 15 touchant; on se défend de penser, de peur de penser mal. L'erreur littéraire paraît à ces pieux maîtres la plus dangereuse des erreurs, et c'est justement pour cela qu'ils excellent dans la vraie manière d'écrire. Il n'y a plus que Saint-Sulpice où l'on écrive comme à Port-Royal, c'est-à-dire avec cet 20 oubli total de la forme qui est la preuve de la sincérité. Pas un moment ces maîtres excellents ne songeaient que, parmi leurs élèves, dût se trouver un écrivain ou un orateur. Le principe qu'ils prêchaient le plus était de ne jamais faire parler de soi et, si l'on a quelque chose à dire, de le dire 25 simplement, comme en se cachant.

Vous en parliez bien à votre aise, chers maîtres, et avec cette complète ignorance du monde qui vous fait tant d'honMais si vous saviez à quel point le monde encourage peu la modestie, vous verriez combien la littérature aurait 30 de la peine à s'accommoder de vos principes. Que serait-il

neur.

est morte.

arrivé si M. de Chateaubriand avait été modeste? Vous aviez raison d'être sévères pour les procédés charlatanesques d'une théologie aux abois, cherchant les applaudissements par des procédés tout mondains. Mais, hélas ! votre théologie à vous, 5 qui est-ce qui en parle? Elle n'a qu'un défaut, c'est qu'elle Vos principes littéraires ressemblaient à la rhétorique de Chrysippe,1 dont Cicéron disait qu'elle était excellente pour apprendre à se taire.2 Dès qu'on parle ou qu'on écrit, on cherche fatalement le succès. L'essentiel est de n'y 10 faire aucun sacrifice, et c'est là ce que votre sérieux, votre droiture, votre honnêteté enseignaient dans la perfection.

Sans le vouloir, Saint-Sulpice, où l'on méprise la littérature, est ainsi une excellente école de style; car la règle fondamentale du style est d'avoir uniquement en vue la pensée que 15 l'on veut inculquer, et par conséquent d'avoir une pensée. Cela valait bien mieux que la rhétorique de M. Dupanloup et le gongorisme de l'école néo-catholique. Saint-Sulpice ne se préoccupe que du fond des choses. La théologie y est tout, et, si la direction des études y manque de force, c'est 20 que l'ensemble du catholicisme, surtout du catholicisme français, porte très peu aux grands travaux. Après tout, SaintSulpice a eu, de notre temps, comme théologien, M. Carrière, dont l'œuvre immense est, sur quelques points remarquablement approfondie; comme érudits, M. Gosselin et M. Faillon, 25 à qui l'on doit de si consciencieuses recherches; comme philo

1 Chrysippus (B.C. 280-207), next to Zeno, the most important of the early Stoics. He did not in any case observe the precepts of his own rhetoric, since he is reported to have composed no fewer than seven hundred and fifty treatises.

2 See Cicero, De Finibus, IV. 3.

8 Here simply "affected bad taste"; more strictly the extravagant and far-fetched diction made popular for a time in Spain by the poet Gongora (1561-1627).

logues, M. Garnier et surtout M. Le Hir, les seuls maîtres éminents que l'école catholique en France ait produits dans le champ de la critique sacrée.

Mais ce n'est point par là que ses pieux éducateurs veulent être loués. Saint-Sulpice est avant tout une école de vertu. 5 C'est principalement par la vertu que Saint-Sulpice est une chose archaïque, un fossile de deux cents ans. Beaucoup de mes jugements étonnent les gens du monde, parce qu'ils n'ont pas vu ce que j'ai vu. J'ai vu à Saint-Sulpice, associés à des idées étroites, je l'avoue, les miracles que nos races peuvent 10 produire en fait de bonté, de modestie, d'abnégation personnelle. Ce qu'il y a de vertu dans Saint-Sulpice suffirait pour gouverner un monde, et cela m'a rendu difficile pour ce que j'ai trouvé ailleurs. Je n'ai rencontré dans le siècle qu'un seul homme qui méritât d'être comparé à ceux-là, c'est M. 15 Damiron.1 Ceux qui ont connu M. Damiron ont connu un sulpicien. Les autres ne sauront jamais ce que ces vieilles écoles de silence, de sérieux et de respect renferment de trésors pour la conservation du bien dans l'humanité.

Telle était la maison où je passai quatre années au moment 20 le plus décisif de ma vie. Je m'y trouvai comme dans mon élément. Tandis que la plupart de mes condisciples, affaiblis par l'humanisme un peu fade de M. Dupanloup, ne pouvaient mordre à la scolastique, je me pris tout d'abord d'un goût singulier pour cette écorce amère ; je m'y passionnai comme 25 un ouistiti2 sur sa noix. Je revoyais mes premiers maîtres de basse Bretagne dans ces graves et bons prêtres, remplis de conviction et de la pensée du bien. Saint-Nicolas du Chardonnet et sa superficielle rhétorique n'étaient plus pour moi

1 Philosopher and professor at the Sorbonne (1794-1862).
Marmoset," a small, squirrel-like monkey.

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qu'une parenthèse de valeur douteuse. Je quittais les mots pour les choses. J'allais enfin étudier à fond, analyser dans ses derniers détails cette foi chrétienne qui, plus que jamais, me paraissait le centre de toute vérité.

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II

Ainsi que je l'ai déjà dit, les deux années de philosophie qui servent d'introduction à la théologie ne se font pas à Paris; elles se font à la maison de campagne d'Issy, située dans le village de ce nom, un peu au delà des dernières maisons de Vaugirard. La construction s'étend en longueur au 10 bas d'un vaste parc, et n'a de remarquable qu'un pavillon central qui frappe le connaisseur par la finesse et l'élégance de son style. Ce pavillon fut la résidence suburbaine de Marguerite de Valois,1 la première femme de Henri IV, depuis 1606 jusqu'à sa mort en 1615. L'intelligente et facile 15 princesse, envers qui il ne convient pas d'être plus sévère que ne le fut celui qui eut le droit de l'être le plus, s'y entoura de tous les beaux esprits du temps, et le Petit Olympe d'Issy de Michel Bouteroue* est le tableau de cette cour, à laquelle ne manqua ni la gaieté ni l'esprit.

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Je veux d'un excellent ouvrage,
Dedans un portrait racourcy,
Représenter le païsage

Du petit Olympe d'Issy,
Pourveu que la grande princesse,

La perle et fleur de l'univers,

*Paris, 1609, in-12.

1 1552-1615; divorced from Henry IV. in 1599.

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