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il faut une masse de lumière au centre; il faut de grandes masses d'ombres sur les côtés ; il faut des demi-teintes sourdes, fugitives, pas noires; il faut des figures qui contrastent; il faut dans chaque figure de la cadence dans les membres; il faut... s'aller faire foutre, quand on ne sait que cela. César a le bras droit étendu, l'autre tombant, les regards attendris et tournés vers le ciel. Il me semble, maître Vien, qu'appuyé contre le piédestal, les yeux attachés sur Alexandre, et pleins d'admiration et de regrets; ou, si vous l'aimiez mieux, la tête penchée, humiliée, pensive, et les bras admiratifs, il eût mieux dit ce qu'il avait à dire. La tête de César est donnée par mille antiques; pourquoi en avoir fait une d'imagination qui n'est pas si belle, et qui, sans l'inscription, rendrait le sujet inintelligible? Plus sur la droite et sur le devant, on voit un vieillard, la main droite posée sur le bras de César; l'autre, dans l'action d'un homme qui parle. Que fait là cette espèce de cicerone? Qui estil? que dit-il? Maître Vien, est-ce que vous n'auriez pas dû sentir que le César devait être isolé, et que ce bavard épisodique détruit tout le sublime du moment? Sur le fond, derrière ces deux figures, quelques soldats. Plus encore vers la droite, dans le lointain, autres soldats à terre vus par le dos, avec un vaisseau en rade et voiles déployées. Ces voiles déployées font bien, d'accord; mais s'il vient un coup de vent de la mer, au diable le vaisseau. A gauche, au pied de la statue, deux femmes accroupies. La plus avancée sur le devant, vue par le dos, et le visage de profil; l'autre, vue de profil, et attentive à la scène. Elle a sur ses genoux un petit enfant qui tient une rose; la première paraît lui imposer silence. Que font là ces femmes? que signifie cet épisode du petit enfant à la rose? Quelle stérilité ! quelle pauvreté! et puis cet enfant est trop mignard, trop fait, trop joli, trop petit; c'est un Enfant-Jésus. Tout à fait à gauche, sur le fond, en tournant autour du piédestal, encore des soldats. Autres défauts ou je me trompe fort, ou la main droite de César est trop petite, le pied de la femme accroupie sur le devant, informe, surtout aux orteils, vilain pied de modèle; le vêtement des cuisses de César, mince et sec comme du papier bleu. Composition de tout point insignifiante. Sujet d'expression, sujet grand, où tout est froid et petit; tableau sans aucun mérite que le technique. - Mais n'est-il pas har

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monieux et d'un pinceau spirituel ? — Je le veux. — Plus harmonieux même et plus vigoureux que le Saint Denis. - Après? - N'est-ce pas une jolie figure que César? Eh! oui, bourreau; et c'est ce dont je me plains. Cet ajustement n'est-il pas riche et bien touché? cette broderie ne fait-elle pas bien l'or? ce vieillard n'est-il pas bien drapé? sa tête n'est-elle pas belle? celles des soldats interposés, mieux encore? celle surtout qui est casquée, d'un esprit infini pour la forme et la touche? ce piédestal, de bonne forme? cette architecture, grande? ces femmes sur le devant, bien coloriées ? - Bien coloriées ! mais ne faudrait-il pas qu'elles fussent coloriées plus fièrement, puisqu'elles sont au premier rang? Voilà les propos des artistes: intarissables sur le technique qu'on trouve partout, muets sur l'idéal qu'on ne trouve nulle part. Ils font cas de la chose qu'ils ont; ils dédaignent celle qui leur manque; cela est dans l'ordre. Eh bien! gens de l'académie, c'est donc pour vous une belle chose que ce tableau? - Très-belle; et pour vous? Pour moi, ce n'est rien; c'est un morceau d'enfant, le prix d'un écolier qui veut aller à Rome, et qui le mérite.

La tête de Pompée présentée à César; César aux pieds de la statue d'Alexandre; la Leçon de Scilurus à ses enfants; trois tableaux à cogner le nez contre à ces maudits amateurs qui mettent le génie des artistes en brassières. On avait demandé à Boucher la Continence de Scipion; mais on y voulait ceci, on y voulait cela, et cela encore; on emmaillottait si bien mon homme, qu'il a refusé de travailler. Il est excellent à entendre là-dessus.

17. SAINT GRÉGOIRE, PAPE'.

Supposez, mon ami, devant ce tableau, un artiste et un homme de goût. Le beau tableau! dira le peintre. La pauvre chose! dira l'homme de lettres; et ils auront raison tous les deux.

Le Saint Grégoire est l'unique figure. Il est assis dans son fauteuil, vêtu des habits pontificaux, la tiare sur la tête, la chasuble sur le surplis. Il a devant lui un bureau soutenu par un

1. Tableau d'environ 9 pieds de haut sur 5 pieds de large, pour la sacristie de l'église Saint-Louis, à Versailles.

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ange de bronze. Il y a sur cette table plume, encre, papier, livres. On voit le saint de profil. 11 a le visage tranquille et tourné vers une gloire, qui éclaire l'angle supérieur gauche de la toile. Il y a dans cette gloire, dont la lumière tombe sur le saint, quelques têtes de chérubins.

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Il est certain que la figure est on ne peut plus naturelle et simple de position et d'expression, quoique un peu fade; qu'il règne dans cette composition un calme qui plaît; que cette main droite est bien dessinée, bien de chair, du ton de couleur le plus vrai, et sort du tableau; et que, sans cette chape qui est lourde, sans ce linge qui n'imite pas le linge, sous lequel le vent s'enfournerait inutilement pour le séparer du corps, qui n'a aucuns tons transparents, qui n'est pas soufflé comme il devrait l'être, et qu'on prendrait facilement pour une etoffe blanche épaisse; sans tout ce vêtement qui sent un peu le mannequin, celui qui s'en tient au technique et qui ne s'interroge pas sur le reste, peut être content. Belle tête, belle pâte, beau dessin, bureau soutenu par un ange de bronze bien imité et de bon goût. Tout le tableau bien colorié. - Oui, aussi bien qu'un artiste qui ne connaît pas l'art des glacis peut faire. Une figure n'acquiert de la vigueur qu'autant qu'on la reprend, cherchant continûment à l'approcher de la nature, comme font Greuze et Chardin. Mais c'est un travail long; et un dessinateur s'y résout difficilement, parce que ce technique nuit à la sévérité du dessin; raison pour laquelle le dessin, la couleur et le clairobscur vont rarement ensemble. Doyen est coloriste; mais il ignore les grands effets de lumière si son morceau avait ce mérite, ce serait un chef-d'œuvre. Monsieur l'artiste, laissons là Doyen; nous en parlerons à son tour. Venons à ce Saint Grégoire qui ne vous extasie que parce que vous n'avez pas vu un certain Saint Bruno de Rubens, qui appartient à M. Watelet. Mais moi, je l'ai vu, et je m'en souviens; et, lorsque je regarde cette gloire, dont la lumière éclaire votre Saint Grégoire, ne puisje pas vous demander que fait cette figure? quel est sur cette tête l'effet de la présence divine? Nul. Ne regarde-t-elle pas l'EspritSaint aussi froidement qu'une araignée suspendue à l'angle de son oratoire? Où est la chaleur d'âme, l'élan, le transport, l'ivresse, que l'esprit vivifiant doit produire? Un autre que moi ajoutera Pourquoi ces habits pontificaux? le saint-père est

chez lui, dans son oratoire, tout me l'annonce : il me semble que la convenance demandait un vêtement domestique; que la tiare, la crosse et la croix fussent jetées dans un coin, à la bonne heure. Carle Van-Loo s'est bien gardé de commettre cette faute dans l'esquisse où le même saint dicte ses homélies à son secrétaire 1. Mais, dit l'artiste, le tableau est pour une sacristie. Mais, répond l'homme de goût, lorsqu'on portera le tableau dans la sacristie, est-ce que le saint entrera tout seul? est-ce que son oratoire restera à la porte? L'homme de lettres aura donc raison de dire : « La pauvre chose! » et l'artiste : « La belle chose que ce tableau!» Ils auront raison tous les deux.

Le livret annonce plusieurs autres tableaux de Vien sous un même numéro. Cependant il n'y en a point, à moins qu'on ne comprenne parmi les ouvrages du mari ceux de sa femme.

LA GRENÉE.

Nimium ne crede colori.

Il me prend envie, mon ami, de vous démontrer que, sans mentir, il est cependant bien rare que nous disions la vérité. Pour cet effet, je prends l'objet le plus simple, un beau buste antique de Socrate, d'Aristide, de Marc-Aurèle ou de Trajan, et je place devant ce buste l'abbé Morellet, Marmontel et Naigeon, trois correspondants qui doivent le lendemain vous en écrire leur pensée vous aurez trois éloges très-différents; auquel vous en tiendrez-vous? Sera-ce au mot froid de l'abbé, ou à la sentence épigrammatique, à la phrase ingénieuse de l'académicien, ou à la ligne brûlante du jeune homme? Autant d'hommes, autant de jugements. Nous sommes tous diversement organisés. Nous n'avons aucun la même dose de sensibilité. Nous nous servons tous à notre manière d'un instrument vicieux en luimême, l'idiome qui rend toujours trop ou trop peu; et nous adressons les sons de cet instrument à cent auditeurs qui écoutent, entendent, pensent et sentent diversement. La nature nous départit à tous, par l'entremise des sens, une multitude de petits cartons sur lesquels elle a tracé le profil de la vérité.

1. Voir le Salon de 1765.

La découpure belle, rigoureuse et juste, serait celle qui suivrait le trait délié dans tous ses points, et qui le diviserait en deux. La découpure de l'homme d'un grand sens et d'un grand goût en approche le plus. Celle de l'enthousiaste, de l'homme sensible, de l'esprit chaud, prompt, violent, malintentionné, jaloux, blesse le trait. Son ciseau, conduit par l'ignorance ou la passion, vacille et se porte tantôt trop en dedans, tantôt trop en dehors. Celui de l'envie taille en dedans du profil une image qui ne ressemble à rien.

Or il ne s'agit pas ici, mon ami, d'un buste, d'une figure, mais d'une scène où il y a quelquefois quatre, cinq, huit, dix, vingt figures; et vous croyez que mon ciseau suivra rigoureusement le contour délié de toutes ces figures? A d'autres! Cela ne se peut. Dans un moment, l'œil est louche; dans un autre, les lames du ciseau sont émoussées, ou la main n'est pas sûre; et puis jugez d'après cela de la confiance que vous devez à mes découpures; et, que cela soit dit en passant, pour l'acquit de ma conscience et la consolation de M. La Grenée.

Commençons par ses quatre tableaux de même grandeur, représentant les quatre états: le Peuple, le Clergé, la Robe et l'Epée.

23. L'ÉPÉE, OU BELLONE PRÉSENTANT A MARS
LES RÈNES DE SES CHEVAUX1.

Qu'est-ce que cela signifie? Rien, ou pas grand'chose. On voit à gauche un petit Mars de quinze ans, dont le casque rabattu fort à propos dérobe la physionomie mesquine. Il est renversé en arrière, comme s'il avait peur de Bellone ou de ses chevaux. Il a le bras droit appuyé sur son bouclier, et l'autre porté en avant, vers les rênes qui lui sont présentées. A gauche, une grosse, lourde, massive, ignoble palefrenière de Bellone se renverse en sens contraire de Mars, en sorte que les pieds de ces deux figures prolongées venant à se rencontrer, elles formeraient un grand V consonne. Belle manière de grouper! N'eût-il pas été mieux de laisser le Mars fièrement debout, et de montrer la déesse violente s'élançant vers lui, et lui pré

1. Tableau de 4 pieds de haut sur 2 1/2 de large.

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