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gands échappés de la Conciergerie? Ils sont affreux. Ils font horreur. Quelles contorsions de corps! quelles grimaces de visages! Ils sont à la rame. Qu'on couvre le faisceau de flèches, et je défie qu'on en juge autrement. Tableau détestable de tout point, de dessin, de couleur, d'effet, de composition; pauvre, sale, mou de touche, papier barbouillé sous la presse de Gautier; ce n'est que du jaune et du gris. Aucune différence entre la couverture du lit et les chairs des enfants; les jambes des rameurs grêles à faire peur : à effacer avec la langue. Dans nos campagnes les mieux ravagées par l'intendance et la ferme, dans la plus misérable de nos provinces, la Champagne pouilleuse; là, où l'impôt et la corvée ont exercé toute leur rage; là, où le pasteur, réduit à la portion congrue, n'a pas un liard à donner à ses pauvres; à la porte de l'église ou du presbytère, sous la chaumière où le malheureux manque de pain pour vivre, et de paille pour se coucher, l'artiste aurait trouvé de meilleurs modèles.

Et vous croyez qu'on aura le front d'envoyer cela à un roi? Je vous jure que si j'étais, je ne vous dis pas le ministre, je ne vous dis pas le directeur de l'Académie, mais pur et simple agréé, je protesterais pour l'honneur de mon corps et de ma nation; et je protesterais si fortement, que M. Hallé garderait ce tableau pour faire peur à ses petits-enfants, s'il en a, et qu'il en exécuterait un autre qui répondit mieux au bon goût, aux intentions de Sa Majesté polonaise.

Son mauvais tableau de la Paix est excusable par l'ingratitude du sujet; mais que dire pour excuser le Scilurus qui prête à l'art, et qui est infiniment plus mauvais? Mon ami, ce pauvre Hallé s'en va tant qu'il peut.

VIEN.

15. SAINT DENIS PRÊCHANT LA FOI EN FRANCE'.

. Le public a été partagé entre ce tableau de Vien, et celui de Doyen, sur l'Épidémie des Ardents, destiné pour la même

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1. Tableau cintré de 21 pieds 3 pouces de haut sur 12 pieds 4 pouces de large. Pour une des chapelles de Saint-Roch, où il est encore.

église; et il est certain que ce sont deux beaux tableaux, deux grandes machines. Je vais décrire le premier; on trouvera la description de l'autre à son rang.

A droite, c'est une fabrique d'architecture, la façade d'un temple ancien, avec sa plate-forme au devant. Au-dessus de quelques marches qui conduisent à cette plate-forme, vers l'entrée du temple, on voit l'apôtre des Gaules prêchant. Debout, derrière lui, quelques-uns de ses disciples ou prosélytes; à ses pieds, en tournant de la droite de l'apòtre vers la gauche du tableau, un peu sur le fond, quatre femmes agenouillées, assises, accroupies, dont l'une pleure, la seconde écoute, la troisième médite, la quatrième regarde avec joie : celle-ci retient devant elle son enfant qu'elle embrasse du bras droit. Derrière ces femmes, debout, tout à fait sur le fond, trois vieillards, dont deux conversent et semblent n'être pas d'accord. Continuant de tourner dans le même sens, une foule d'auditeurs, hommes, femmes, enfants, assis, debout, prosternés, accroupis, agenouillés, faisant passer la même expression par toutes ses différentes nuances, depuis l'incertitude qui hésite, jusqu'à la persuasion qui admire; depuis l'attention qui pèse, jusqu'à l'étonnement qui se trouble; depuis la componction qui s'attendrit, jusqu'au repentir qui s'afflige.

Pour vous faire une idée de cette foule qui occupe le côté gauche du tableau, imaginez, vue par le dos, accroupie sur les dernières marches, une femme en admiration, les deux bras tendus vers le saint. Derrière elle, sur une marche plus basse, et un peu plus sur le fond, un homme agenouillé, écoutant, incliné et acquiesçant de la tête, des bras, des épaules et du dos. Tout à fait à gauche, deux grandes femmes debout. Celle qui est sur le devant est attentive; l'autre est groupée avec elle par son bras droit posé sur l'épaule gauche de la première; elle regarde, elle montre du doigt un de ses frères apparemment, parmi ce groupe de disciples ou de prosélytes placés debout derrière le saint. Sur un plan, entre elles et les deux figures qui occupent le devant, et qu'on voit par le dos, la tête et les épaules d'un vieillard étonné, prosterné, admirant. Le reste du corps de ce personnage est dérobé par un enfant, vu par le dos, et appartenant à l'une des deux grandes femmes qui sont debout. Derrière ces femmes, le reste des auditeurs

dont on n'aperçoit que les têtes. Au centre du tableau, sur le fond, dans le lointain, une fabrique de pierre fort élevée, avec différents personnages, hommes et femmes, appuyés sur le parapet, et regardant ce qui se passe sur le devant. Au haut, vers le ciel, sur des nuages, la Religion assise, un voile ramené sur son visage, tenant un calice à la main. Au-dessous d'elle, les ailes déployées, un grand ange qui descend avec une couronne qu'il se propose de placer sur la tête de Denis.

Voici donc le chemin de cette composition. La Religion, l'ange, le saint, les femmes qui sont à ses pieds, les auditeurs qui sont sur le fond, les deux grandes figures de femmes qui sont debout, le vieillard incliné à leurs pieds, et les deux figures, l'une d'homme, l'autre de femme, vues par le dos et placées tout à fait sur le devant; ce chemin descendant mollement et serpentant largement depuis la Religion jusqu'au fond de la composition à gauche, où il se replie pour former circulairement et à distance, autour du saint, une espèce d'enceinte qui s'interrompt à la femme placée sur le devant, les bras dirigés vers le saint, et découvre toute l'étendue intérieure de la scène ligne de liaison allant clairement, nettement, facilement, chercher les objets principaux de la composition, dont elle ne néglige que les fabriques de la droite et du fond, et les vieillards indiscrets interrompant le saint, conversant entre eux et disputant à l'écart.

Reprenons cette composition. L'apôtre est bien posé; il a le bras droit étendu, la tête un peu portée en avant; il parle. Cette tête est ferme, tranquille, simple, noble, douce, d'un caractère un peu rustique et vraiment apostolique. Voilà pour l'expression. Quant au faire, elle est bien peinte, bien empâtée; la barbe large et touchée d'humeur. La draperie ou grande aube blanche qui tombe en plis parallèles et étroits, est trèsbelle. Si elle montre moins le nu qu'on ne désirerait, c'est qu'il y a vêtement sur vêtement. La figure entière ramasse sur elle toute la force, tout l'éclat de la lumière, et appelle la première attention. Le ton général en est peut-être un peu gris et trop égal.

Le jeune homme qui est derrière le saint, sur le devant, est bien dessiné, bien peint; c'est une figure de Raphaël pour la pureté, qui est merveilleuse pour la noblesse et pour le

caractère de tête qui est divin. Il est très-fortement colorié. On prétend que sa draperie est un peu lourde: cela se peut. Les autres acolytes se soutiennent très-bien à côté de lui, et pour la forme et pour la couleur.

Les femmes, accroupies aux pieds du saint, sont livides et découpées. L'enfant, qu'une d'elles retient en l'embrassant, est de cire.

Ces deux personnages, qui conversent sur le fond, sont d'une couleur sale, mesquins de caractère, pauvres de draperie; du reste, assez bien ensemble.

Les femmes de la gauche, qui sont debout et qui font masse, ont quelque chose de gêné dans leur tête. Leur vêtement voltige à merveille sur le nu qu'il effleure.

La femme, assise sur les marches, avec les bras tendus. vers le saint, est fortement coloriée. La touche en est belle, et sa vigueur renvoie le saint à une grande distance.

La figure d'homme, agenouillée derrière cette femme, n'est ni moins belle ni moins vigoureuse; ce qui l'amène bien en devant.

On dit que ces deux dernières figures sont trop petites pour le saint, et surtout pour les figures qui sont debout à côté d'elles cela se peut.

:

On dit que la femme, aux bras tendus, a le bras droit trop court; qu'elle blute, et qu'on ne sent pas le raccourci ; cela se peut encore.

Quant au fond, il est parfaitement d'accord avec le reste; ce qui n'est ni commun ni facile.

Cette composition est vraiment le contraste de celle de Doyen. Toutes les qualités qui manquent à l'un de ces artistes, l'autre les a. Il règne ici la plus belle harmonie de couleur, une paix, un silence qui charment; c'est toute la magie secrète de l'art, sans apprêt, sans recherche, sans effort; c'est un éloge qu'on ne peut refuser à Vien; mais quand on tourne les yeux sur Doyen, qu'on voit sombre, vigoureux, bouillant et chaud, il faut s'avouer que, dans la Prédication, tout ne se fait valoir que par une faiblesse supérieurement entendue; faiblesse que la force de Doyen fait sortir, mais faiblesse harmonieuse, qui fait sortir à son tour toute la discordance de son rival. Ce sont deux grands athlètes qui font un coup fourré. Les deux com

positions sont l'une à l'autre, comme les caractères des deux hommes. Vien est large, sage comme le Dominiquin; de belles têtes, un dessin correct, de beaux pieds, de belles mains, des draperies bien jetées, des expressions simples et naturelles; rien de tourmenté, rien de recherché ni dans les détails ni dans l'ordonnance; c'est le plus beau repos. Plus on le regarde, plus on se plaît à le regarder; il tient à la fois du Dominiquin et de Le Sueur. Le groupe de femmes, qui est à gauche, est très-beau. Tous les caractères de têtes paraissent avoir été étudiés d'après le premier de ces maîtres, et le groupe des jeunes hommes, qui est à droite, et de bonne couleur, est dans le goût de Le Sueur. Vien vous enchaîne et vous laisse tout le temps de l'examiner. Doyen, d'un effet plus piquant pour l'œil, semble lui dire de se dépêcher, de peur que, l'impression d'un objet venant à détruire l'impression d'un autre, avant que d'avoir embrassé le tout, le charme ne s'évanouisse. Vien a toutes les parties qui caractérisent un grand faiseur; rien n'y est négligé; un beau fond. C'est pour de jeunes gens une source de bonnes études. Si j'étais professeur, je leur dirais : « Allez à Saint-Roch, regardez la Prédication de Denis; laissezvous-en pénétrer; mais passez vite devant le tableau des Ardents; c'est un jet sublime de tête, que vous n'êtes pas encore en état d'imiter. » Vien n'a rien fait de mieux, si ce n'est peut-être son morceau de réception. Vien, comme Térence,

Liquidus, puroque simillimus amni.

HORAT. Epistol. lib. II, epist. 11, v. 120.

Doyen, comme Lucilius,

Cum flueret lutulentus, erat quod tollere velles.

HORAT. Sermon. lib. I, sat. iv, v. 11.

C'est, si vous l'aimez mieux, Lucrèce et Virgile. Du reste, remarquez pourtant, malgré le prestige de cette harmonie de Vien, qu'il est gris, qu'il n'y a nulle variété dans ses carnations, et que les chairs de ses hommes et de ses femmes sont presque du même ton. Remarquez, à travers la plus grande intelligence de l'art, qu'il est sans idéal, sans verve, sans poésie, sans mouvement, sans incident, sans intérêt. Ceci n'est

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