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faisons la chimie de la chimie, l'algèbre de l'algèbre ; nous nous éloignons de la nature, à force de la sonder.

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Cela est bien ; il faut continuer la vie est au bout de cette dissection à outrance. Mais qu'on ne s'étonne pas de l'ardeur fiévreuse qui, après ces débauches de dialectique, n'est étanchée que 5 par les baisers1 de l'être naïf en qui la nature vit et sourit. La femme nous remet en communication avec l'éternelle source où Dieu se mire. La candeur d'une enfant qui ignore sa beauté et qui voit Dieu clair comme le jour est la grande révélation de l'idéal, de même que l'inconsciente coquet- 10 terie de la fleur est la preuve que la nature se pare en vue d'un époux.

On ne doit jamais écrire que de ce qu'on aime. L'oubli et le silence sont la punition qu'on inflige à ce qu'on a trouvé laid ou commun, dans la promenade à travers la vie. 15 Parlant d'un passé qui m'est cher, j'en ai parlé avec sympathie; je ne voudrais pas cependant que cela produisît de malentendu et que l'on me prît pour un bien grand réactionnaire. J'aime le passé, mais je porte envie à l'avenir. Il y aura eu de l'avantage à passer sur cette planète 20 le plus tard possible. Descartes serait transporté de

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1 With the thought of this passage contrast the maxim of Joubert (17541824), who had also perceived the desiccating effects of reflection and analysis: "La piété est le seul moyen d'échapper à la sécheresse que le travail de la réflexion porte inévitablement dans les sources de nos sensibilités."

2 Renan himself makes such a large use of the idea of race that we are justified in pointing out how true he is to his own Celtic origins in this idealization of woman. He says in his essay on Celtic poetry, "La femme telle que l'a conçue la chevalerie, - cet idéal de douceur et de beauté posé comme but suprême de la vie, n'est une création ni classique, ni chrétienne, ni germanique, mais bien réellement celtique." And again: "Nulle autre (race) n'a conçu avec plus de délicatesse l'idéal de la femme et n'en a été plus dominée."

3 René Descartes, mathematician and philosopher (1596-1650). Though Descartes himself deferred to established authority in religion and govern

joie s'il pouvait lire quelque chétif traité de physique et de cosmographie écrit de nos jours. Le plus simple écolier sait maintenant des vérités pour lesquelles Archimède1 eût sacrifié sa vie. Que ne donnerions-nous pas 5 pour qu'il nous fût possible de jeter un coup d'œil furtif sur tel livre qui servira aux écoles primaires dans cent ans?

Il ne faut pas, pour nos goûts personnels, peut-être pour nos préjugés, nous mettre en travers de ce que fait notre 10 temps. Il le fait sans nous, et probablement il a raison. Le monde marche vers une sorte d'américanisme, qui blesse nos idées raffinées, mais qui, une fois les crises de l'heure actuelle passées, pourra bien n'être pas plus mauvais que l'ancien régime pour la seule chose qui importe, c'est-à-dire 15 l'affranchissement et le progrès de l'esprit humain. Une société où la distinction personnelle a peu de prix, où le talent et l'esprit n'ont aucune cote officielle, où la haute fonction n'ennoblit pas, où la politique devient l'emploi des déclassés et des gens de troisième ordre, où les récompenses 20 de la vie vont de préférence à l'intrigue, à la vulgarité, au charlatanisme qui cultive l'art de la réclame, à la rouerie qui serre habilement les contours du Code pénal,2 une telle société, dis-je, ne saurait nous plaire. Nous avons été habitués à un système plus protecteur, à compter davantage sur le 25 gouvernement pour patronner ce qui est noble et bon. Mais par combien de servitudes n'avons-nous pas payé ce

ment, the Cartesian method involves an almost unbounded faith in the human reason. See also p. 197, line 24.

1 Archimedes, the celebrated mathematician of Syracuse (B.C. 287212).

2 Render freely: "Clever roguery that just keeps without the clutches of the law."

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patronage! Richelieu et Louis XIV regardaient comme un devoir de pensionner les gens de mérite du monde entier; combien ils eussent mieux fait, si le temps l'eût permis, de laisser les gens de mérite tranquilles, sans les pensionner ni les gêner! Le temps de la Restauration2 passe pour une 5 époque libérale; or, certainement, nous ne voudrions plus vivre sous un régime qui fit gauchir un génie comme Cuvier,3 étouffa en de mesquins compromis l'esprit si vif de M. Cousin, retarda la critique de cinquante ans. Les concessions qu'il fallait faire à la cour, à la société, au clergé étaient 10 pires que les petits désagréments que peut nous infliger la démocratie.

Le temps de la monarchie de Juillet fut vraiment un temps de liberté; mais la direction officielle des choses de l'esprit fut souvent superficielle, à peine supérieure aux 15 jugements d'une mesquine bourgeoisie. Quant au second . Empire, si les dix dernières années réparèrent un peu le mal qui s'était fait dans les huit premières, il ne faut pas oublier combien ce gouvernement fut fort lorsqu'il s'agit d'écraser l'esprit et faible lorsqu'il s'agit de le relever. Le 20 temps présent est sombre, et je n'augure pas bien de l'avenir prochain. Notre pauvre pays est toujours sous la menace de

1 1585-1642; prime minister from 1624.

2 1815-1830.

8 Distinguished naturalist (1769-1832). The progress of evolutionary ideas in France was retarded by his acceptance of the traditional belief in the fixity of species.

4 Victor Cousin (1792-1867). His name is associated with the "eclectic" philosophy and later with "spiritualism," an attempt at compromise between the old theology and the new rationalism. His course at the Sorbonne was suspended by the Restoration government in 1820. See also p. 90, line 2 and note. An essay on him by Renan will be found in Essais de mor. et de critique, p. 57. 5 1830-1848.

6 1852-1870.

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la rupture d'un anevrisme, et l'Europe entière est travaillée de quelque mal profond. Mais, pour nous consoler, songeons à ce que nous avons souffert. Il faudra que les temps auxquels nous sommes réservés soient bien mauvais pour 5 que nous ne puissions dire:

O passi graviora, dabit Deus his quoque finem.1

Le but du monde est le développement de l'esprit, et la première condition du développement de l'esprit, c'est sa liberté. Le plus mauvais état social, à ce point de vue, 10 c'est l'état théocratique, comme l'islamisme et l'ancien État Pontifical, où le dogme règne directement d'une manière absolue. Les pays à religion d'État exclusive comme l'Espagne ne valent pas beaucoup mieux. Les pays reconnaissant une religion de la majorité ont aussi de graves in15 convénients. Au nom des croyances réelles ou prétendues du grand nombre, l'État se croit obligé d'imposer à la pensée des exigences qu'elle ne peut accepter. La croyance ou l'opinion des uns ne saurait être une chaîne pour les autres. Tant qu'il y a eu des masses croyantes, c'est-à-dire des 20 opinions presque universellement professées dans une nation, la liberté de recherche et de discussion n'a pas été possible. Un poids colossal de stupidité a écrasé l'esprit humain. L'effroyable aventure du moyen âge, cette interruption de mille ans dans l'histoire de la civilisation, vient moins des 25 barbares que du triomphe de l'esprit dogmatique chez les

masses.

Or, c'est là un état de choses qui prend fin de notre temps, et on ne doit pas s'étonner qu'il en résulte quelque ébranle

1 "O ye who have suffered ills more dire, to these too heaven will grant an end.". Eneid I, 199.

ment. Il n'y a plus de masses croyantes; une très grande
partie du peuple n'admet plus le surnaturel, et on entrevoit
le jour où les croyances de ce genre disparaîtront dans les
foules, de la même manière que la croyance aux farfadets et
aux revenants a disparu. Même, si nous devons traverser, 5
comme cela est très probable, une réaction catholique
momentanée, on ne verra pas le peuple retourner à l'église.
La religion est irrévocablement devenue une affaire de goût
personnel. Or, les croyances ne sont dangereuses que quand
elles se présentent avec une sorte d'unanimité ou comme 10
le fait d'une majorité indéniable. Devenues individuelles,
elles sont la chose du monde la plus légitime, et l'on n'a dès
lors qu'à pratiquer envers elles le respect qu'elles n'ont pas
toujours eu pour leurs adversaires, quand elles se sentaient
appuyées.

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Assurément, il faudra du temps pour que cette liberté, qui est le but de la société humaine, s'organise chez nous comme elle est organisée en Amérique. La démocratie française a quelques principes essentiels à conquérir pour devenir un régime libéral. Il serait nécessaire avant tout que nous 20 eussions des lois sur les associations, les fondations et la faculté de tester, analogues à celles que possédent l'Amérique et l'Angleterre. Supposons ce progrès obtenu (si c'est là une utopie pour la France, ce n'en est pas une pour l'Europe, où le goût de la liberté anglaise devient chaque 25 jour dominant); nous n'aurions réellement pas grand'chose à regretter des faveurs que l'ancien régime avait pour l'esprit. Je crois bien que, si les idées démocratiques venaient à triompher définitivement, la science et l'enseignement scientifique perdraient assez vite leurs modestes dotations. Il en 30 · faudrait faire son deuil. Les fondations libres pourraient

amblers

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