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qu'il suivit aussi son protecteur dans une expédition en Gaule; c'est du moins ce que semblent indiquer les vers suivans :

Non sine me est tibi partus honos. Tarbella Pyrene
Testis, et Oceani litora Santonici.

Testis Arar, Rhodanusque celer, magnusque Garumna,
Carnuti et flavi cærula lympha Liger.

Mais il ne tarda pas à reconnaître que les travaux et les fatigues de la guerre étaient incompatibles avec la faiblesse de son tempéramment, et surtout avec le penchant irrésistible qui l'entraînait vers les plaisirs. C'était là sa vocation, c'était là qu'il brillait, qu'il triomphait, qu'il était lui-même :

Hic ego dux milesque bonus. Vos signa tubæque
Ite procul; cupidis vulnera ferte viris.

Dès-lors, tout entier à l'amour et à la poésie, mais plus amant que poète, car on sent en lisant que toutes ses inspirations viennent de l'âme, il composa ces quatre livres d'élégies qui lui assurent le premier rang parmi les poètes élégiaques de toutes les nations.

Après une vie courte, à ce qu'il paraît, mais passée au sein des plaisirs et ennoblie par la culture des lettres, Tibulle mourut, comme il l'avait désiré, à Rome, sa patrie, et dans les bras de sa mère et de sa sœur. Ovide le dit positivement dans l'élégie où il déplore la fin prématurée de son ami :

Sed tamen hoc melius, quam si Phæacia tellus
Ignotum vili supposuisset humo.

Hic certe madidos fugientis pressit ocellos

Mater; et in cineres ultima dona tulit:
Hinc soror in partem misera cum matre doloris
Venit, inornatas dilaniata comas.

(Amor., lib. 111, eleg. 9, v. 47.)

Ovide nous peint encore Délie et Némésis se disputant les derniers baisers du poète mourant, qui, ne pouvant plus leur

parler, leur presse encore la main, en signe d'éternel adieu. Qui n'envierait une si douce mort! Elle réalisait doublement les vœux de Tibulle, qui avait dit, dans sa première élégie :

Te spectem, suprema mihi quum venerit hora,
Te teneam moriens deficiente manu.
Flebis et arsuro positum me, Delia, lecto,

Tristibus et lacrymis oscula mixta dabis.
Flebis! non tua sunt duro præcordia ferro
Vincta, nec in tenero stat tibi corde silex.

Vers que M. de Guerle a imités ainsi dans ses Amours:

Un jour viendra, Thaïs, où, frappé dans tes bras,
Je paierai le tribut que l'on doit au trépas.
Fidèle à ma flamme constante;
Puissé-je alors, pour la dernière fois,
Fixer sur toi ma paupière mourante,
Presser ta main de ma main défaillante ;
Et même encore, au défaut de ma voix,
Par mon dernier soupir t'appeler mon amante!
Tu gémiras; des pleurs mouilleront tes beaux
Assise tristement sur mon lit douloureux,
Tu gémiras, ma tendre amie! etc.

yeux :

C'est surtout de Tibulle qu'on peut dire : Pectus est quod disertos facit. Mirabeau, envoyant à Sophie la traduction, d'ailleurs assez médiocre, qu'il en a faite, s'exprime ainsi : Ce délicieux Tibulle qu'il faut lire, relire, savoir par cœur, et relire encore. La Harpe n'en porte pas un jugement moins favorable. «Tibulle, dit-il, a moins de feu que Properce; mais il est plus tendre, plus délicat : c'est le poète du sentiment. Il est surtout, comme écrivain, supérieur à tous ses rivaux. Son style est d'une élégance exquise, son goût est pur, sa composition irréprochable. Il a un charme d'expression qu'aucune traduction ne peut rendre, et il ne peut être bien senti que par le cœur. Son harmonie délicieuse porte au

fond de l'âme les impressions les plus douces : c'est le livre des amans... Il a de plus ce goût pour la campagne, qui s'accorde si bien avec l'amour; car la nature est toujours plus belle quand on n'y voit qu'un seul objet. Heureux l'homme d'une imagination tendre et flexible, qui joint au goût des voluptés délicates le talent de les retracer, qui occupe ses heures de loisir à peindre ses momens d'ivresse, et arrive à la gloire en chantant ses plaisirs!

Dans son enthousiasme pour Tibulle, La Harpe a essayé de rendre en vers sa première élégie, qu'il regarde comme la meilleure de toutes. Cette imitation n'est pas sans mérite, et l'on y trouve de fort jolis vers; mais qu'il y a loin, grands dieux, de l'élégante correction de l'auteur du Lycée à la douce et rêveuse mélancolie du poète latin!

M. Charles Loyson, enlevé trop tôt aux lettres qu'il cultivait avec succès, a laissé une traduction en vers de Tibulle, et les pièces qu'on en a publiées font regretter que cet ouvrage n'ait pas encore été livré tout entier au public. M. Gaulmier a donné aussi une version poétique de Tibulle, qui renferme des passages très-heureusement rendus. On trouve encore de nombreuses imitations de Tibulle dans Parny, dans Bertin, et dans la plupart de nos poètes élégiaques.

Je ne connais de traductions en prose que celle de Mirabeau dont j'ai déjà parlé, et celle que croyait avoir faite M. de Pézay, jadis l'une des célébrités de l'Almanach des Muses, qui, d'un petit air leste et dégagé, nous dit dans sa Préface, à nous autres professeurs, que « Catulle et Tibulle ne peuvent être traduits par un pédant, et que des vers échappés au délire de l'orgie ou de l'amour, des vers écrits sur la table de Manlius et inspirés dans l'alcove de Délie, seront difficilement sentis et rendus par un professeur des Quatre-Nations. » Il faut, selon lui, pour entendre Catulle et Tibulle, un peu de l'ivresse du vin de Tokay et les caprices d'une jolie femme; ce qu'un émérite de l'Université peut fort bien ne pas savoir. « On peut cependant, ajoute-t-il, connaître la bonne compagnie, les jo

lies femmes et le bon vin, et faire une mauvaise traduction. » C'est précisément ce qui est arrivé à M. de Pézay; car le Tokay et les jolies femmes ne lui ont appris ni à comprendre Tibulle, ni à le traduire; et malgré ces études préliminaires et indispensables, selon lui, il a fait un fort mauvais ouvrage. Quant à ce qu'il dit de l'incapacité des professeurs à sentir et à rendre les beautés de ce poète, M. Valatour s'est chargé de lui donner un éclatant démenti.

HÉGUIN DE GUERLE.

TIBULLE.

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