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cherche des choses et n'y voit que des mots; il lui semble que ce qui est réellement beau et vrai, est beau et vrai partout; que ce qui est dramatique dans un roman sera dramatique sur la scène; que ce qui est lyrique dans un couplet sera lyrique dans une strophe; qu'enfin et toujours la seule distinction véritable dans les œuvres de l'esprit est celle du bon et du mauvais. La pensée est une terre vierge et féconde dont les productions veulent croître librement, et pour ainsi dire au hasard, sans se classer, sans s'aligner en plates-bandes, comme les bouquets dans un jardin classique de Le Nôtre, ou comme les fleurs du langage dans un traité de rhétorique.

Il ne faut pas croire pourtant que cette liberté doive produire le désordre; bien au contraire. Développons notre idée. Comparez un moment au jardin royal de Versailles, bien nivelé, bien taillé, bien nettoyé, bien ratissé, bien sablé ; tout plein de petites cascades, de petits bassins, de petits bosquets, de tritons de bronze folâtrant en cérémonie sur des océans pompés à grands frais dans la Seine, de faunes de marbre courtisant les dryades allégoriquement renfermées dans une multitude d'ifs coniques, de lauriers cylindriques, d'orangers sphériques, de myrtes elliptiques, et d'autres arbres dont la forme naturelle, trop triviale sans doute, a été gracieusement corrigée par la serpette du jardinier; comparez ce jardin si vanté à une forêt primitive du Nouveau-Monde, avec ses arbres géans, ses hautes herbes, sa végétation profonde, ses mille oiseaux de mille couleurs, ses larges avenues où l'ombre et la lumière ne se jouent que sur de la verdure, ses sauvages harmonies, ses grands fleuves qui charient des îles de fleurs, ses immenses cataractes qui balancent des arcs-en-ciel! Nous ne dirons pas: Où est la magnificence? où est la grandeur? où est la beauté? mais simplement: Où est l'ordre? où est le désordre? Là, des eaux captives ou détournées de leur cours, ne jaillissant que pour croupir; des dieux pétrifiés; des arbres transplantés de leur sol natal, arrachés de leur climat, privés même de leur forme, de leurs fruits, et forcés de subir les grotesques caprices de la serpe et du cordeau; partout enfin l'ordre naturel contrarié, interverti, bouleversé, détruit. Ici, au contraire, tout obéit à une loi invariable; un Dieu semble vivre en tout. Les gouttes d'eau suivent leur pente et font des fleuves qui feront des mers; les semences choisissent leur terrain et produisent

une forêt. Chaque plante, chaque arbuste, chaque arbre naît dans sa saison, croît en son lieu, produit son fruit, meurt à son temps. La ronce même y est belle. Nous le demandons encore: Où est l'ordre ?

Choisissez donc du chef-d'œuvre du jardinage ou de l'œuvre de la nature, de ce qui est beau de convention ou de ce qui est beau sans les règles, d'une littérature artificielle ou d'une poésie originale!

On nous objectera que la forêt vierge cache dans ses magnifiques solitudes mille animaux dangereux, et que les bassins marécageux du jardin Français recèlent tout au plus quelques bêtes insipides. C'est un malheur sans doute; mais à tout prendre, nous aimons mieux un crocodile qu'un crapaud; nous préférons une barbarie de Shakspeare à une ineptie de Campistron.

Ce qu'il est très-important de fixer, c'est qu'en littérature comme en politique, l'ordre se concilie merveilleusement avec la liberté; il en est même le résultat. Au reste, il faut bien se garder de confondre l'ordre avec la régularité. La régularité ne s'attache qu'à la forme extérieure ; l'ordre résulte du fond même des choses, de la disposition intelligente des élémens intimes d'un sujet. La régularité est une combinaison matérielle et purement humaine; l'ordre est pour ainsi dire divin. Ces deux qualités si diverses dans leur essence marchent fréquemment l'une sans l'autre. Une cathédrale gothique présente un ordre admirable dans sa naïve irrégularité; nos édifices Français modernes, auxquels on a si gauchement appliqué l'architecture Grecque ou Romaine, n'offrent qu'un désordre régulier. Un homme ordinaire pourra toujours faire un ouvrage régulier; il n'y a que les grands esprits qui sachent ordonner une composition. Le créateur qui voit de haut ordonne; l'imitateur qui regarde de près régularise: le premier procède selon la loi de sa nature, le dernier suivant les règles de son école. L'art est une inspiration pour l'un; il n'est qu'une science pour l'autre. En deux mots, et nous ne nous opposons pas à ce qu'on juge d'après cette observation les deux littératures dites classique et romantique, la régularité est le goût de la médiocrité, l'ordre est le goût du génie.*

De pareilles réflexions ne pouvaient manquer d'attirer de vives censures du parti opposé; aussí, pour compléter cette esquisse de la Littérature Française, nous avons cru devoir ajouter le morceau

suivant.

Réflexions sur la Littérature et les Auteurs Romantiques.

DES écrivains, avec un violent désir de gloire et dépourvus de cette obstination dans le travail qui seule en assure la conquête, ont crié que l'ancienne mine où le génie fouille depuis bientôt trois mille ans était épuisée, qu'il fallait en creuser une nouvelle, qu'il était temps d'ouvrir des routes non battues, et, s'érigeant en novateurs (chose assez étonnante!) ils ont rétrogadé vers des époques de barbarie. On est fondé, en effet, à se demander comment ce qui a été bien pendant tant des siècles, se soit trouvé tout à coup sans mérite? Quoi! l'Apollon, la Vénus de Florence, le Gladiateur, le Laocoon, le Bacchus antiques n'auront pas vieilli, et les pages des philosophes et des poëtes contemporains de ces chefs-d'œuvre, entre deux soleils seront devenues surannées! L'œuvre du Poussin, de Jean Goujon, la vie de Bruno racontée par l'admirable pinceau de Le Sueur continueront d'avoir droit à notre enthousiasme, et l'on viendra nous dire que les grands personnages placés sous nos yeux au théâtre par Corneille, Racine, Voltaire, et Chénier, n'ont plus d'accens dignes d'arriver à nos oreilles! Comme si les lois de la nature étaient renversées, comme si le cœur des rois, des pères, des mères, des épouses, des hypocrites, des ambitieux de tous rangs avaient subi une révolution qui en appelât une seconde dans la littérature destinée à exprimer les mœurs! Les formes du corps étant restées les mêmes que Phidias et Praxitèle nous les ont transmises, il serait surprenant que l'intérieur de l'homme exigeât d'autres plumes pour le décrire; ce serait à la fois proclâmer l'impuissance du génie, le ravaler au-dessous de la main de l'artiste, et lui dénier son immortalité. Alors retomberait dans l'inanité le sublime mouvement par lequel Addison, après avoir prolongé indéfiniment la durée des poëmes d'Homère et de Virgile, ne leur assigne pour terme de gloire que la dissolution du globe.

On a dit, quant au prince chef d'un gouvernement représentatif, que régner, c'était choisir : eh bien! la raison commande également à l'écrivain et à l'artiste d'apprendre à choisir, s'ils veulent obtenir des succès durables. Tous les spectacles ne sont pas faits pour être offerts aux yeux, et toutes les douleurs n'auraient pas le don de m'attendrir; mais qui ne sait qu'il est plus facile d'oser tout, de se

permettre tout et de jeter, pêle-mêle, dans un drame ou dans un roman, des figures baroques, au geste bouffon, au langage trivial, que de faire concourir à une action commune des caractères qui ne se démentent pas plus que la nature à laquelle on les aura empruntés? La terreur elle-même doit avoir ses élémens de beauté: dès qu'elle se contente de recourir à des formes hideuses, elle me repousse et offense mes regards.

Les écrivains ont créé une morale nouvelle à l'usage de la génération qui croît à nos côtés. Ce sont eux qui, désenchantant la scène, ne permettent plus à nos larmes de couler pour l'innocence en péril, ou pour l'i fortune qui n'a pas mérité les rigueurs du sort; ce sont eux qui, nous associant en public à des vœux que nous rougirions d'avouer au sein de nos familles, nous appellent au triomphe de ce qui, dans un régime bien ordonné, serait frappé justement par le glaive de la loi. Reconnaissez-le: n'est-ce pas, à bien dire, la même littérature qui, sous nos yeux, pare la doctrine d'une secte antisociale d'un éclat témérairement emprunté à la majesté de nos livres saints, et qui a donné un vernis religieux à son irréligion, une apparence de morale à son immoralité profonde?

Nous n'ignorons pas que le sentiment général repousse de pareilles profanations: mais, nous le demandons, quand elles se commettent à la face du ciel, n'est-il pas à craindre qu'elles finissent par entrer dans les mœurs? La dégénération du goût en littérature a des conséquences plus graves qu'on ne le soupçonne; elle réagira toujours d'une manière facheuse sur les habitudes domestiques et les relations civiles. Ce n'est pas impunément pour la vie intérieure qu'on salit la pensée, ou qu'on détourne le cours des sentimens honnêtes. Ainsi qu'avec de méchans guides, on se fourvoie, avec des écrivains immoraux une société a tout à perdre. Prenez-y garde, législateurs! tout le monde lit les feuilles du matin et les romans, tout le monde va au spectacle; et le sphacèle, descendu dans les classes inférieures, y devient incurable, lorsqu'à l'amour du travail et au sentiment religieux, on a substitué chez elles le besoin d'un bonheur auquel il ne leur est pas donné d'atteindre.

Ne croyez pas les écrivains eux-mêmes à l'abri des passions violentes et désordonnées dont ils se rendent les organes. Riches, ils abuseront de leur fortune; pauvres, ils jalouseront celle d'autrui. La gloire, ils la veulent

H

prompte à accourir avec toutes ses palmes, avec toutes ses auréoles, et sans aucun de ses revers. Si elle trompe leur attente, le remède est sous leur main. Prêtres du néant qu'ils ont invoqué tant de fois, après avoir conduit de trop crédules adorateurs à ses autels, ils lui doivent une dernière victime, et ils n'iront pas loin pour la chercher. A peine ils auront touché des lèvres la coupe de la vie, que, la trouvant amère, ils renverseront la liqueur. Vous l'avez vu, et les contemporains en ont frémi d'épouvante : deux jeunes présomptueux prétendaient amasser en un clin d'œil, à leur profit, ce que des années tardives accordent au travail opiniâtre; abusés dans leur espoir, ils n'ont pas voulu attendre d'un talent mûri par l'expérience une renommée promise par des flatteurs à leurs premiers essais; et pour se dérober à une obscurité qui faisait leur tourment, fermant les yeux aux rayons d'un jour pur, ils se sont précipités volontairement dans une nuit plus profonde que celle à laquelle ils regrettaient de ne pouvoir échapper.

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