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Où des rois ses aïeux sont les froides reliques.
Je cours en soupirant, et sa garde me suit;
De son généreux sang la trace nous conduit;
Les rochers en sont teints; les ronces dégouttantes
Portent de ses cheveux les dépouilles sanglantes.
J'arrive, je l'appelle, et me tendant la main,
Il ouvre un œil mourant qu'il referme soudain.
“Le ciel,” dit-il, “m'arrache une innocente vie.
Prends soin, après ma mort, de la triste Aricie...
Cher ami, si mon père un jour désabusé,
Plaint le malheur d'un fils faussement accusé,
Pour apaiser mon sang et mon ombre plaintive,
Dis-lui qu'avec douceur il traite sa captive,
Qu'il lui rende..." A ce mot, ce héros expiré
N'a laissé dans mes bras qu'un corps défiguré,
Triste objet où des Dieux triomphe la colère,
Et que méconnaîtrait l'œil même de son père. RACINE.

Clytemnestre, Agamemnon, et Iphigénie.

CLYTEMNESTRE.

Venez, venez, ma fille, on n'attend plus que vous;
Venez remercier un père qui vous aime,

Et qui veut à l'autel vous conduire lui-même.

AGAMEMNON.

Que vois-je? Quel discours! Ma fille, vous pleurez,
Et baissez devant moi vos yeux mal assurés :

Quel trouble! Mais tout pleure, et la fille et la mère.
Ah! malheureux Arcas, tu m'as traki.

IPHIGENIE.

Mon père,

Cessez de vous troubler, vous n'êtes point trahi:
Quand vous commanderez, vous serez obéi.
Ma vie est votre bien; vous voulez le reprendre :
Vos ordres, sans détours, pouvaient se faire entendre.
D'un œil aussi content, d'un cœur aussi soumis
Que j'acceptais l'époux que vous m'aviez promis,
Je saurai, s'il le faut, victime obéissante;
Tendre au fer de Calchas une tête innocente;

Et, respectant le coup par vous-même ordonné,
Vous rendre tout le sang que vous m'avez donné.
Si pourtant ce respect, si cette obéissance

Paraît digne à vos yeux d'une autre récompense;
Si d'une mère en pleurs vous plaignez les ennuis,
J'ose vous dire ici qu'en l'état ou je suis,
Peut-être assez d'honneurs environnaient ma vie,
Pour ne pas souhaiter qu'elle me fût ravie,
Ni qu'en me l'arrachant, un sévère destin,
Si près de ma naissance en eût marqué la fin.
Fille d'Agamemnon, c'est moi qui la première,
Seigneur, vous appelai de ce doux nom de père
C'est moi qui, si long-temps le plaisir de vos yeux,
Vous ai fait de ce nom remercier les dieux;
Et pour qui, tant de fois prodiguant vos caresses,
Vous n'avez point du sang dédaigné les foiblesses.
Hélas! avec plaisir je me faisais conter

Tous les noms des pays que vous allez dompter.
Et, déjà d'Ilion présageant la conquête,
D'un triomphe si beau je préparais la fête.
Je ne m'attendais pas que, pour le commencer,
Mon sang fût le premier que vous dussiez verser.
Non que la peur du coup, dont je suis menacée,
Me fasse rappeler votre bonté passée.

Ne craignez rien; mon cœur, de votre honneur jaloux,
Ne fera point rougir un père tel que vous;
Et, si je n'avais eu que ma vie à défendre,
J'aurais su renfermer un souvenir si tendre.
Mais à mon triste sort, vous le savez, seigneur,
Une mère, un amant`attachaient leur bonheur,
Un roi digne de vous a cru voir la journée
Qui devait éclairer notre illustre hyménée.
Déjà sûr de mon cœur à sa flamme promis,
Il s'estimait heureux, vous me l'aviez permis.
Il sait votre dessein, jugez de ses alarmes.
Ma mère est devant vous, et vous voyez ses larmes.
Pardonnez aux efforts que je viens de tenter,
Pour prévenir les pleurs que je leur vais coûter.

AGAMEMNON.

Ma fille, il est trop vrai. J'ignore pour quel crime
La colère des dieux demande une victime.

Mais ils vous ont nommée: un oracle cruel
Veut qu'ici votre sang coule sur un autel.
Pour défendre vos jours de leurs lois meurtrières,
Mon amour n'avait pas attendu vos prières.
Je ne vous dirai point combien j'ai résisté :
Croyez-en cet amour, par vous même attesté.
Cette nuit même encore, on a pu vous le dire,
J'avais révoqué l'ordre où l'on me fit souscrire :
Sur l'intérêt des Grecs vous l'aviez emporté ;
Je vous sacrifiais mon rang, ma sûreté.

Arcas allait du camp vous défendre l'entrée :
Les dieux n'ont pas voulu qu'il vous ait rencontrée ;
Ils ont trompé les soins d'un père infortuné,
Qui protégeait en vain ce qu'ils ont condamné.
Ne vous assurez point sur ma foible puissance :
Quel frein pourrait d'un peuple arrêter la licence,
Quand les dieux, nous livrant à son zèle indiscret,
L'affranchissent d'un joug qu'il portait à regret?
Ma fille, il faut céder: votre heure est arrivée.
Songez bien dans quel rang vous êtes élevée.
Je vous donne un conseil qu'à peine je reçoi ;
Du coup qui vous attend, vous mourrez moins que moi,
Montrez, en expirant, de qui vous êtes née ;
Faites rougir ces dieux qui vous ont condamnée.
Allez. Et que les Grecs, qui vont vous immoler,
Reconnaissent mon sang en le voyant couler.

CLYTEMNESTRE.

Vous ne démentez point une race funeste;
Oui, vous êtes le sang d'Atrée et de Thyeste :
Bourreau de votre fille, il ne vous reste enfin
Que d'en faire à sa mère un horrible festin.
Barbare! c'est donc là cet heureux sacrifice
Que vos soins préparaient avec tant d'artifice?
Quoi! l'horreur de souscrire à cet ordre inhumain,
N'a pas, en le traçant, arrêté votre main?

Pourquoi feindre à nos yeux une fausse tristesse ?
Pensez-vous par des pleurs prouver votre tendresse ?
Où sont-ils ces combats que vous avez rendus ?
Quels flots de sang pour elle avez-vous répandus!
Quel débris parle ici de votre résistance?

Quel champ couvert de morts me condamne au silence?

Voilà par quels témoins il fallait me prouvér,
Cruel, que votre amour a voulu la sauver.
Un oracle fatal ordonne qu'elle expire.
Un oracle dit-il tout ce qu'il semble dire?
Le ciel, le juste ciel par le meurtre honoré,
Du sang de l'innocence est-il donc altéré?
Si du crime d'Hélène on punit sa famille,
Faites chercher à Sparte Hermione sa fille.
Laissez à Ménélas racheter d'un tel prix-
Sa coupable moitié dont il est trop épris.
Mais vous, quelles fureurs vous rendent så victime?
Pourquoi vous imposer la peine de son crime?
Pourquoi, moi-même enfin me déchirant le flanc.
Payer sa folle amour du plus pur de mon sang?
Que dis-je? Cet objet de tant de jalousie,
Cette Hélène, qui trouble et l'Europe et l'Asie,
Vous semble-t-elle un prix digne de vos exploits ?
Combien nos fronts pour elle ont-ils rougi de fois?
Avant qu'un nœud fatal l'unît à votre frère,
Thésée avait osé l'enlever à son père.

Mais non, l'amour d'un frère, et son honneur blessé
Sont les moindres des soins, dont vous êtes pressé :
Cette soif de régner, que rien ne peut éteindre,
L'orgueil de voir vingt rois vous servir et vous craindre,
Tous les droits de l'empire en vos mains confiés,
Cruel, c'est à ces dieux que vous sacrifiez ;

Et loin de repousser le coup qu'on vous prépare,
Vous voulez vous en faire un mérite barbare.
Trop jaloux d'un pouvoir qu'on peut vous envier,
De votre propre sang vous courez le payer;
Et voulez, par ce prix, épouvanter l'audace
De quiconque vous peut disputer votre place.
Est-ce donc être père? Ah! toute ma raison
Cède à la cruauté de cette trahison.
Un prêtre environné d'une foule cruelle,
Portera sur ma fille une main criminelle !
Déchirera son sein! et, d'un œil curieux,
Dans son cœur palpitant consultera les dieux!
Et moi, qui l'amenai triomphante, adorée,
Je m'en retournerai seule et désespérée !
Je verrai les chemins encor tout parfumés
Des fleurs, dont sous ses pas on les avait semés!

Non, je ne l'aurai point amenée au supplice,
Ou vous ferez aux Grecs un double sacrifice.
Ni crainte, ni respect ne m'en peut détacher.
De mes bras tout sanglans il faudra l'arracher.
Aussi barbare époux qu'impitoyable père,
Venez, si vous l'osez, la ravir à sa mère.

Et vous, rentrez, ma fille; et du moins à mes lois
Obéissez encor pour la dernière fois.

[Autre Scène.]

Achille et Agamemnon.

ACHILLE.

RACINE.

Un bruit assez étrange est venu jusqu'à moi,
Seigneur ; je l'ai jugé trop peu digne de foi.
On dit, et sans horreur je ne puis le redire,
Qu'aujourd'hui par votre ordre Iphigénie expire;
Que vous-même, etouffant tout sentiment humain,
Vous l'allez à Calchas livrer de votre main.
On dit que, sous mon nom à l'autel appelée,
Je ne l'y conduisais que pour être immolée;
Et que, d'un faux hymen nous abusant tous deux,
Vous voulez me charger d'un emploi si honteux.
Qu'en dites-vous, seigneur? Que faut-il que j'en pense?
Ne ferez-vous pas taire un bruit qui vous offense?

AGAMEMNON.

Seigneur, je ne rends point compte de mes desseins.
Ma fille ignore encor mes ordres souverains;
Et, quand il sera temps qu'elle en soit informée,
Vous apprendrez son sort, j'en instruirai l'armée.

ACHILLE.

Ah, je sais trop le sort que vous lui réservez !

AGAMEMNON.

Pourquoi le demander, puisque vous le savez?

ACHILLE.

Pourquoi je le demande? ô ciel, le puis-je croire
Qu'on ose des fureurs avouer la plus noire !

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