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LETTRES.

A Mr. de Grignan.

A Paris, Mercredi, le 31 Juillet, 1675. C'EST à vous que je m'adresse, mon cher Comte, pour vous écrire une des plus fâcheuses pertes, qui pût arriver en France; c'est celle de Mr. de Turenne, dont je suis assurée que vous serez aussi touché et aussi désolé que nous le sommes ici. Cette nouvelle arriva Lundi à Versailles. Le roi en a été affligé, comme on doit l'être, de la perte du plus grand capitaine et du plus honnête homme du monde. Toute la cour fut en larmes. On était prêt d'aller se divertir à Fontainebleau, tout a été rompu. Jamais un homme n'a été regretté si sincèrement: tout ce quartier où il a logé, tout Paris et tout le peuple étaient dans le trouble et dans l'émotion. Chacun parlait et s'attroupait pour regretter ce héros. Je vous envoie une très bonne relation de ce qu'il a fait les derniers jours avant sa mort: après trois mois d'une conduite toute miraculeuse, et que les gens du métier ne se lassent point d'admirer, vous n'avez plus qu'à y ajouter le dernier jour de sa gloire et de sa vie. Il avait le plaisir de voir décamper l'armée des ennemis devant lui, et le 27°, qui était Samedi, il alla sur une petite hauteur pour observer leur marche; son dessein êtait de donner sur l'arrière-garde, et il mandait au roi à midi que dans cette pensée il avait envoyé dire à Brisac qu'on fît les prières de quarante heures. Il mande la mort du jeune d'Hocquincourt et qu'il enverra un courier apprendre au roi la suite de cette entreprise. Il cachète cette lettre, et l'envoye à deux heures; il va sur cette petite colline avec dix ou huit personnes; on tire de loin à l'aventure un malheureux coup de canon, qui le coupe par le milieu du corps; et vous pouvez penser les cris et les pleurs de cette armée. Le courier part à l'instant; il arriva Lundi, comme je vous ai dit; de sorte, qu'à une

heure l'une de l'autre, le roi eut une lettre de Mr. de Turenne et la nouvelle de sa mort. Il est arrivé depuis un gentilhomme de Mr. de Turenne, qui dit que les armées sont assez près l'une de l'autre, que Mr. de Lorges commande à la place de son oncle et que rien ne peut être comparable à la violente affliction de toute cette armée.— Dès le lendemain de cette nouvelle Mr. Louvois proposa au roi de réparer cette perte et au lieu d'un général en faire huit (c'est y gagner.) ...... Voilà, Mr. le Comte, tout ce que nous savons jusqu'à l'heure qu'il est. En recompense d'une très aimable lettre, je vous en écris une qui vous donnera du déplaisir: j'en suis en vérité aussi fâchée que vous. Nous avons passé tout l'hiver à entendre conter les divines perfections de ce Héros: jamais un homme n'a été si près d'être parfait: et plus on le connoissait, plus on l'aimait, plus on le regrette. Adieu, Monsieur et Madame, je vous embrasse mille fois. Je vous plains de n'avoir personne à qui parler de cette grande nouvelle. Il est naturel de communiquer tout ce qu'on pense là-dessus. Si vous êtes fâchés, vous êtes comme nous sommes ici. MADAME DE SÉVIGNÉ.

Lettre de Madame du Boccage.

De Londres, le 15 Avril, 1750.

La bienveillance dont on nous honore ici, ma chère sœur, nous en rend le séjour fort agréable. Hier je déjeûnais chez milady Shaub: le prince de Galles y vint sous un autre nom; j'étais avertie, et lui donnai le plaisir de me croire trompée. Il me fit la grâce de me questionner obligeamment sur différens objets; de me demander mes ouvrages; j'avais aperçu qu'il est fort instruit de la littérature Française. Je me suis rendue ce matin à la cour de la princesse. Les bontés de son altesse royale m'auraient rassurée, si on pouvait l'être vis-à-vis de deux cents spectateurs. Que nos têtes sont faibles! Hier un fils de roi déguisé ne m'intimidait point, aujourd'hui il en badinait avec moi et m'en imposait: je vois que ce ne sont pas les rois qu'on craint, mais la foule qui les environne. La salle des spectacles est belle. Dans leurs tragédies, la déclamation nous paraît chantée: ils rendent les rôles subalternes, plus naturellement que les Français. Chez eux, un artisan, une soubrette en ont réellement les propos et l'habit. Ils

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se plaisent dans les petites pièces, à mettre sur la scène un Français ridicule. D'abord sa poudre excessive, ses tabatières, montres, boîtes à mouche toujours en main, ses révérences sans nombre, nous parurent une caricature; peu à peu nous aperçûmes avec chagrin qu'elle n'a encore que trop de ressemblance. Nos actrices l'emportent sur les étrangères, dans les rôles nobles et dans la manière de se mettre. Il est ici des spectacles dont nous n'avons nulle idée je ne vous parle point des courses de chevaux, des combats de coqs et de gladiateurs: je laisse aux hommes à décrire ces terribles plaisirs et m'arrête sur des objets plus rians, tels que les jardins de Vauxhall et de Ranelagh, que présentent les bords charmans de la Tamise. Là le matin pour un shelling, un entrepreneur fournit musique, pain, beurre, lait, café, thé, chocolat; le soir illumination, concert, et tout ce qu'on peut désirer en le payant au-delà du shelling. Chaque jour des personnes de tout âge, de tout rang, dans un joli négligé et rarement parées, y viennent de toutes parts charmer leurs ennuis: ce qui y parait un phénomène aux yeux Français, est l'ordre, le silence, au milieu de la multitude.

Vous connaissez les rumeurs que nos cochers font, quand ils s'accrochent; ces rencontres nous sont arrivées dans les plus petites rues de Londres, avec des chariots énormes ; là chacun descend de son siége, porte les roues, les dégage avec des peines incroyables, sans prononcer une parole inutile.

Le Brun au Comte de Turpin.

J'ALLAIS finir ici ma lettre; mais, en dépit de paresse, il me prend un remords. Je ne peux guère me dispenser honnêtement de vous dire deux mots de cette Provence si vantée, et que je désirais tant de voir. Si je voulais un peu mentir, comme mes confrères les voyageurs, j'en ferais une peinture délicieuse. C'était sans doute, jadis, le plus beau climat du monde; mais depuis huit jours que je l'habite, il pleut, il grêle, il gèle, il vente avec une constance admirable.

C'est le séjour d'Éole et non pas du printemps.

De vingt personnes, il y en a dix-neuf et demie d'enrhumées. Chacun y tousse à la ronde, grâce au seigneur Mistral' qui expédie deux ou trois de ses cliens par jour.

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Croiriez-vous que, dans ce climat si chaud, on a pris mes habits de printemps pour l'habillement d'un zéphyr petitmaître, qui voudrait insulter aux fourrures de l'hiver? On y porte le velours plain jusqu'au mois de Juin on dit pour raison, qu'il n'existe à Marseille d'autre saison que le froid hiver et l'aride été mais pour notre doux printemps et notre féconde automne, ils n'y furent connus, de l'avis général, que du temps des fables. Tout y est extrême; le vent n'y souffle point, il y mugit, il y tonne; le soleil n'y échauffe point, il y brûle. Il est vrai que, pour me consoler, chacun dit qu'apparemment quelque génie malfaisant aura donné un tour d'épaule à l'axe du monde. Au moyen de cette petite secousse, la Provence est tantôt sous la ligne, et tantôt sous la zône glaciale. Au reste, Marseille est si magnifique, qu'on n'y marche que sur des pointes de diamans. De peur de broyer une matière si précieuse, on se garde d'y permettre les voitures. On y est si prodigue, qu'on y jette tout par les fenêtres.... Le commerce est si grand, qu'on y peut recevoir la peste des quatre parties du monde à la fois; cependant elle n'y passe qu'en contrebande.

Trois à quatre mille galériens, les fers aux pieds, et les mains dans vos poches, si vous n'y preniez garde, forment un spectacle enchanteur. En vérité tout dégénère. L'hôtelde-ville est encore remarquable par un beau pont de vieilles planches qui passe industrieusement d'une fenêtre à l'autre, pour joindre, par leur second étage, deux bâtimens que la rue sépare, ce qui forme, dans un monument public, un ensemble admirable. Les promenades seraient charmantes, si on les laissait faire'; mais la place seule existe, et le bon plaisir de la cour n'est pas que messieurs les Provençaux se promènent. La nature même est aussi de l'avis de S. M.; car, par une prévoyance extrême, elle ne donne, au peu d'arbres de ce climat aride, que de petites feuilles très-étroites; mais on a la ressource du parasol pour se promener à l'aise sur de jolies montagnes pelées qui embrassent amoureusement le doux climat de la Provence.

Ce léger inconvénient est compensé par une foule d'aromates qui répandent une odeur de sacristie à entêter vingt lieues à la ronde. La Provence n'est, en effet, qu'une gueuse parfumée. Il faut convenir encore que la plupart de ces beaux arbres qui ne donnent point d'ombre dans

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l'été conservent leur verdure dans l'hiver, ce qui est trèsutile, comme on sait. On se dédommage de tout cela par des promenades sur mer; ces parties sont délicieuses. Douze amis s'embarquent avec un excellent dîner; dix ou onze vomissent jusqu'au sang avant d'arriver au lieu du festin, et le douzième mange et boit, s'il peut, à la santé des autres; puis on s'en revient à la rosée du soir, lestes, contens, et surtout bien purgés. On recommence si l'on veut le lendemain; c'est une chaîne d'heureux jours.

LE BRUN.

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