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vous, je ne puis rien vous rendre de ce que je vous dois; c'est pour cela que je voudrais prier toute ma vie pour mon bienfaiteur.

Prier pour

Et où cela?

moi! fit Emmanuel de plus en plus étonné.

- Dans quelque saint monastère, qui me paraît bien mieux être la place d'un pauvre orphelin comme moi, que celle que j'occuperais dans une cour brillante comme va devenir la vôtre.

- Ma mère, ma pauvre mère! murmura Emmanuel, toi qui l'aimais tant, que dirais-tu, si tu entendais cela?

En face de ce Dieu qui nous écoute, dit Leone en posant avec solennité sa main sur le bras du jeune prince, en face de ce Dieu qui nous écoute, elle dirait que j'ai raison.

Il y avait une telle vérité d'accent, une telle conviction, sinon de cœur, du moins de conscience, dans la réponse de Leone, qu'Emmanuel en fut ébranlé.

Leone, dit-il, fais ce que tu voudras, mon enfant, tu es libre. J'ai essayé d'enchaîner ton cœur, mais je n'ai jamais eu l'intention d'enchaîner ton corps. Cependant, je te demande de ne point hâter ta résolution; prends huit jours, prends...

Oh! dit Leone, si je ne pars pas au moment où Dieu me donne la force de vous quitter, Emmanuel, je ne partirai jamais plus, et, je vous le dis, continua l'enfant en éclatant en sanglots, il faut que je parte!

Partir!... Mais pourquoi, pourquoi partir?

A cette interrogation, Leone ne répondit que par un de ces inflexibles silences, comme il en avait déjà gardé dans deux occasions: la première fois, quand, au village d'Oleggio, la duchesse l'avait interrogé sur ses parents et sur sa naissance; la seconde fois, quand, à Gênes, Emmanuel avait voulu savoir pourquoi il refusait le diamant de Charles-Quint. Cependant il allait insister, lorsqu'il entendit dans l'église un pas étranger.

C'était un des serviteurs de son père, qui accourait lui dire que le duc Charles avait besoin de le voir à l'instant même. On venait de recevoir d'importantes nouvelles de France. Tu vois, Leone, dit Emmanuel à l'enfant, il faut que je te quitte; ce soir, je te reverrai, et, si tu persistes dans ta

résolution, Leone, eh bien, tu seras libre, mon enfant : tu me quitteras demain, ou même ce soir, si tu crois ne pas devoir rester plus longtemps près de moi.

Leone ne répondit pas; il retomba à genoux avec un profond gémissement; on eût dit que son cœur se brisait.

Emmanuel s'éloigna; mais, avant de quitter l'église, il ne put s'empêcher de retourner deux ou trois fois la tête, pour savoir si l'enfant avait autant de peine à le sentir s'éloigner qu'il en avait à s'éloigner lui-même.

Leone resta seul, pria encore une heure; puis, plus calme, il rentra chez lui. En l'absence d'Emmanuel, sa résolution, chancelante tant que le jeune prince était là, lui revenait conduite par cet ange au cœur de glace que l'on appelle la raison.

Mais, une fois dans sa chambre, cette idée qu'Emmanuel allait apparaître d'un moment à l'autre pour faire une dernière tentative sur lui, troubla l'enfant.

A chaque bruit qu'il entendait dans les escaliers, il tressaillait; les pas qui résonnaient dans le corridor semblaient, en passant devant sa porte, marcher sur son cœur.

Deux heures s'écoulèrent; un pas se fit entendre. Oh! cette fois, Leone n'eut plus de doute, il avait reconnu ce pas. La porte s'ouvrit ; Emmanuel parut.

Il était triste, et, cependant, dans son regard filtrait un rayon de joie mal éteint par cette tristesse.

Eh bien, Leone, demanda-t-il après avoir refermé la porte, as-tu réfléchi?

Monseigneur, répondit Leone, lorsque vous m'avez quitté, mes réflexions étaient déjà faites.

De sorte que tu persistes à me quitter?

Leone n'eut pas la force de répondre; il se contenta de faire avec la tête un signe affirmatif.

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Et cela, continua Emmanuel avec un sourire mélancolique, et cela surtout parce que je vais être un grand prince, et avoir une cour brillante?

Leone inclina de nouveau la tête.

Eh bien, dit Emmanuel avec une certaine amertume, sur ce point, Leone, rassure-toi! Je suis aujourd'hui plus misérable que je ne l'ai jamais été.

Leone releva la tête, et Emmanuel put voir dans ses beaux yeux l'étonnement briller à travers les larmes.

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Le second fils du roi de France, le duc d'Orléans, es mort, dit Emmanuel; de sorte que le traité de Crespy est rompu.

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Et... et?... demanda Leone interrogeant Emmanuel avec tous les muscles de son visage.

-Et, reprit Emmanuel, comme l'empereur Charles-Quint, mon oncle, ne donne pas le duché de Milan à mon cousin François Ier, mon cousin François Ier ne rend pas les États à mon père.

Mais, demanda Leone avec un inexprimable sentiment d'angoisse, le mariage avec la fille du roi Ferdinand, ce mariage proposé par l'empereur lui-même... ce mariage a toujours lieu?

- Eh! mon pauvre Leone, dit le jeune homme, celui que l'empereur Charles-Qnint voulait faire épouser à sa nièce, c'était le comte de Bresse, le prince de Piémont, le duc de Savoie; c'était un mari couronné, enfin, mais non pas le pauvre Emmanuel-Philibert, qui n'a plus, de tous ses États, que la ville de Nice, la vallée d'Aoste et trois ou quatre bicoques éparses dans la Savoie et le Piémont.

Oh! s'écria Leone avec un sentiment de joie qu'il lui fut impossible d'étouffer.

Mais, presque aussitôt, ressaisissant cette puissance sur lui-même qui menaçait de lui échapper:

N'importe! dit-il, cela ne doit rien changer à ce qui a été arrêté, monseigneur.

Ainsi, demanda Emmanuel, plus triste et plus sombre à cette résolution de l'enfant qu'il ne l'avait été à la nouvelle de la perte de ses États, tu me quittes toujours, Leone?

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Comme il le fallait hier, il le faut encore aujourd'hui, Emmanuel.

-Hier, Leone, j'étais riche, j'étais puissant, j'avais une couronne ducale sur la tête; aujourd'hui, je suis pauvre, je suis dépouillé, et n'ai plus qu'une épée à la main. En me quittant hier, Leone, tu n'étais que cruel: en me quittant aujourd'hui, tu es ingrat!... Adieu, Leone!

- Ingrat? s'écria Leone. Oh! mon Dieu, vous l'entendez, il dit que je suis ingrat!

Puis, comme, l'oeil sombre et les sourcils froncés, le jeune prince s'apprêtait à sortir de la chambre:

Oh! Emmanuel, Emmanuel! s'écria Leone, ne me quitte pas ainsi, j'en mourrais!

Emmanuel se retourna et vit l'enfant, les bras étendus vers lui: il était pâle, chancelant, près de s'évanouir.

Il s'élança, le soutint dans ses bras, et, emporté par un premier mouvement dont il lui était impossible de se rendre compte, il appuya ses lèvres sur les lèvres de Leone. Leone jeta un crì aussi douloureux que si un fer rouge l'eût touché, se renversa en arrière et s'évanouit.

L'agrafe de son pourpoint serrait sa gorge: Emmanuel l'ouvrit; puis, comme l'enfant étouffait dans sa fraise empesée, il déchira la fraise, et, pour lui donner de l'air, fit sauter en même temps tous les boutons de sa veste.

Mais, alors, ce fut lui qui à son tour jeta un cri, non pas de douleur, mais de surprise, mais d'étonnement, mais de joie.

Leone était une femme !

En revenant à lui, Leone n'existait plus; seulement, Leona était la maîtresse d'Emmanuel-Philibert.

Dès lors, il ne fut plus question, pour la pauvre enfant, de se séparer de son amant, à qui, sans un mot d'explication, tout était expliqué, tristesse, solitude, désir de fuite. En s'apercevant qu'elle aimait Emmanuel-Philibert, Leona avait voulu se séparer de lui; mais, du moment où le jeune homme lui eut pris son amour, Leona lui donna sa vie.

Pour tous, le page continua d'être un jeune homme, et s'appela Leone.

Pour Emmanuel-Philibert seulement, Leone fut une belle jeune fille, et s'appela Leona.

Comme prince, Emmanuel-Philibert avait perdu la Bresse, le Piémont et la Savoie, à l'exception de Nice, de la vallée d'Aoste et de la ville de Verceil.

Mais, comme homme, il n'avait rien perdu, puisque Dieu lui donnait Scianca-Ferro et Leona, c'est-à-dire les deux plus magnifiques présents que, dans sa libéralité céleste, Dieu puisse faire à l'un de ses élus:

Le dévouement et l'amour!

X

LES TROIS MESSAGES.

Disons, maintenant, en peu de lignes, ce qui s'était passé pendant la période de temps écoulée entre cette époque et celle où nous sommes arrivés.

Emmanuel-Philibert avait dit à Leone qu'il ne lui restait plus que son épée.

La ligue des protestants d'Allemagne, soulevée par JeanFrédéric, l'électeur de Saxe, qui s'inquiétait des empiètements successifs de l'Empire, avait, en éclatant, donné au jeune prince une occasion d'offrir cette épée à Charles-Quint. Cette fois, celui-ci l'accepta.

Le prétexte saisi par les princes protestants fut que, tant que vivait l'empereur, Ferdinand, son frère, ne pouvait être roi des Romains.

La ligue se forma dans la petite ville de Smalkalde, située dans le comté de Hennecery, et appartenant au landgrave de Hesse de là le nom de ligue de Smalkalde, qu'elle prit, et sous lequel elle est connue.

Henri VIII avait eu scrupule, et s'était abstenu; François ler, au contraire, y était entré de tout cœur.

La chose datait de loin : elle datait du 22 décembre 1530, jour de la première réunion.

Soliman, lui aussi, était dans cette ligue. De fait, il y avait prêté son secours en venant mettre le siége devant Messine, en 1532.

Mais Charles-Quint avait marché contre lui avec une armée de quatre-vingt-dix mille fantassins et de trente mille chevaux, et l'avait forcé à lever le siége.

Puis, la peste aidant, il avait détruit l'armée de François Ier en Italie; de sorte que, d'un côté, était intervenu le traité de Cambrai, le 5 août 1529, et, de l'autre, le traité de Nuremberg, le 23 juillet 1532, qui avaient pour quelques instants rendu la paix à l'Europe.

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