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au péril de sa vie. Les deux frères s'attaquèrent avec acharnement, car il y avait longtemps qu'ils se haïssaient. Vous entrâtes alors, et, croyant que vos fils se battaient pour la possession de cette femme: « La plus belle femme du monde, dites-vous, ne vaut pas la goutte de sang qui sort des veines d'un soldat. Bas les armes, enfants! je vais vous mettre d'accord... » Alors, à votre voix, les deux frères abaissèrent leurs épées; vous passâtes entre eux; tous deux vous suivaient du regard, car ils ne savaient ce que vous vouliez faire. Vous vous approchâtes de la femme garrottée et renversée sur le lit, et, avant que ni l'un ni l'autre de vos fils eût eu le temps de s'opposer à cette action infâme, vous tirâtes votre dague et la lui enfonçâtes dans la poitrine... Ne dites pas que cela ne s'est point passé ainsi; ne dites pas que cela n'est point vrai : votre dague est encore humide et vos mains sont encore sanglantes. Vous êtes un assassin; rendez-moi votre épée, comte de Waldeck!

- Cela est facile à dire, monseigneur, répondit le comte; mais un Waldeck ne vous rendrait pas son épée, tout prince couronné ou découronné que vous êtes, quand il serait seul contre vous sept; à plus forte raison quand il a son fils à sa droite et quarante soldats derrière lui.

Alors, dit Emmanuel avec une légère altération dans la voix, si vous ne voulez pas me la rendre de bonne volonté, c'est à moi de vous la prendre de force.

Et, faisant faire un bond à son cheval, il se trouva côte à côte du comte de Waldeck.

Celui-ci, serré de trop près pour tirer son épée, porta la main à ses fontes; mais, avant qu'il eût détaché le bouton qui les fermait, Emmanuel-Philibert avait plongé la main dans la sienne, ouverte d'avance, et en avait tiré un pistolet tout armé.

Le mouvement fut si rapide, que ni le bâtard de Waldeck, ni l'écuyer, ni le page du duc, ni le comte de Waldeck luimême, ne purent le prévenir. Emmanuel-Philibert, d'une main calme et sûre comme celle de la justice, lâcha le coup à bout portant, brûlant le visage du comte avec la poudre et lui faisant sauter la cervelle avec la balle.

Le comte eut à peine le temps de jeter un cri; il ouvrit les bras, se renversa lentement sur la croupe de son cheval,

comme un athlète qu'un lutteur invisible fait plier en arrière, perdit l'étrier du pied gauche, puis du pied droit, et roula lourdement à terre.

Le justicier avait fait justice; le comte était tué sur le coup. Pendant tout le temps qu'avait duré cette scène, le bâtard de Waldeck, entièrement couvert de son armure de fer, était resté debout et immobile comme une statue équestre; mais, en entendant le coup de pistolet, mais, en voyant tomber son père, il poussa un cri de rage qui s'échappa en grinçant à travers la visière de son casque.

Puis, s'adressant aux reîtres stupéfaits et terrifiés :

A moi, compagnons! s'écria-t-il en allemand; cet homme n'est pas des nôtres... A mort! à mort, le duc Emmanuel!

Mais les reîtres, pour toute réponse, secouèrent la tête en signe de négation.

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Ah! s'écria le jeune homme se laissant emporter de plus en plus à sa colère; ah! vous ne m'écoutez pas! Ah! vous refusez de venger celui qui vous aimait comme ses enfants, qui vous chargeait d'or, qui vous gorgeait de butin!... Eh bien, ce sera donc moi qui le vengerai, puisque vous êtes des ingrats et des lâches!

Et il tira son épée pour s'élancer sur le duc; mais deux reîtres sautèrent au chanfrein de son cheval, saisissant la bride chacun d'un côté du mors, tandis qu'un troisième l'étreignait entre ses bras.

Le jeune homme se débattait furieux, accablant d'injures ceux qui le tenaient enchaîné.

Le duc regardait ce spectacle avec une certaine pitié il comprenait le désespoir de ce fils qui venait de voir tomber son père à ses pieds.

Altesse, dirent les reîtres, qu'ordonnez-vous de cet homme, et que faut-il faire de lui?

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Le laisser libre, dit le duc. M'ayant menacé, si je l'arrêtais, il pourrait croire que j'ai peur.

Les reîtres arrachèrent l'épée des mains du bâtard, et le laissèrent libre.

Le jeune homme fit bondir son cheval, qui, d'un seul élan, franchit la distance qui le séparait d'Emmanuel-Philibert.

Celui-ci l'attendait la main posée sur la crosse de son second pistolet.

-Emmanuel-Philibert, duc de Savoie, prince de Piémont, cria le bâtard de Waldeck en étendant la main vers lui en signe de menace, tu comprends, n'est-ce pas, que, de moi à toi, c'est, à compter d'aujourd'hui, une haine mortelle?... Emmanuel-Philibert, tu as tué mon père! (Il abaissa la visière de son casque.) Regarde bien mon visage, et, chaque fois que tu le reverras, soit la nuit, soit le jour, soit dans une fête, soit dans un combat, malheur! malheur à toi, Emmanuel-Philibert!

Et, faisant volter son cheval, il partit au galop en secouant la main, comme pour jeter encore une malédiction contre le duc, et en lui criant une dernière fois : « Malheur! >>

Misérable! s'écria l'écuyer d'Emmanuel en piquant son cheval pour s'élancer à sa poursuite.

Mais le duc, faisant de la main un signe impératif :

Pas un pas de plus, Scianca-Ferro! dit-il; je te le défends!

Puis, se retournant vers son page, qui, pâle comme la mort, semblait prêt à perdre les arçons :

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Qu'est-ce que cela, Leone? dit-il en s'approchant de lui et en lui tendant la main. En vérité, en vous voyant ainsi, blême et tremblant, on vous prendrait pour une femme! Oh! mon bien-aimé duc, murmura le page, redites-moi que vous n'êtes pas blessé, ou je meurs...

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Enfant! dit le duc, est-ce que je ne suis pas sous la main de Dieu?

Alors, s'adressant aux reîtres :

Mes amis, dit-il en leur montrant le cadavre du comte de Waldeck, procurez une sépulture chrétienne à cet homme, et que la justice que je viens d'exercer sur lui vous soit une preuve qu'à mes yeux, comme à ceux du Seigneur, il n'y a ni grands ni petits.

Et, faisant un signe de la tête à Scianca-Ferro et à Leone, il reprit avec eux le chemin du camp, sans que son visage eût gardé d'autre trace de l'événement terrible qui venait de se passer, que la ride habituelle qui semblait, un peu plus profondément que de coutume, creuser sur son front le sillon de la pensée.

VII

HISTOIRE ET ROMAN.

Tandis que les aventuriers, témoins invisibles de la catastrophe que nous venons de raconter, tout en jetant un regard mélancolique sur les ruines fumantes du château du Parcq, regagnent leur grotte, où ils vont mettre la dernière main à l'acte de société, devenu inutile pour le présent, mais qui ne peut manquer de porter dans l'avenir, au profit de l'association naissante, les fruits les plus merveilleux; tandis que les reîtres, obéissant à l'ordre donné, ou plutôt à la recommandation faite de procurer à leur ancien chef une sépulture chrétienne, vont creuser, dans un coin du cimetière d'Hesdin, la fosse de celui qui, ayant reçu la punition de son crime sur la terre, repose maintenant dans l'espérance de la miséricorde divine; tandis qu'enfin EmmanuelPhilibert regagne sa tente entre son écuyer Scianca-Ferro et son page Leone; abandonnant tout ce qui n'a été jusqu'ici que prologue, mise en scène, et personnages secondaires de notre drame, pour l'action réelle et les personnages principaux qui viennent, enfin, de se produire, hasardons, afin de donner au lecteur une plus ample connaissance de leur caractère et de leur situation morale et politique, une excursion à la fois historique pour les uns et romanesque pour les autres, dans le domaine du passé, splendide royaume du poëte et de l'historien, qu'aucune révolution ne peut leur enlever.

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Troisième fils de Charles III dit le Bon et de Béatrix de Portugal, Emmanuel-Philibert naquit au château de Chambéry, le 8 juillet 1528.

celui

Il reçut ce double nom d'Emmanuel-Philibert, d'Emmanuel en considération de son aïeul maternel Emmanuel, roi de Portugal, et celui de Philibert, en vertu d'un vœu que son père avait fait à Saint-Philibert de Tournus,

- Il naquit à quatre heures après-midi, et apparut si faible aux portes de cette vie, que la respiration de l'enfant ne fut soutenue que par le souffle qu'introduisit dans ses poumons une des femmes de sa mère, et que, jusqu'à l'âge de trois ans, il demeura la tête inclinée sur sa poitrine, et sans pouvoir se soutenir sur les jambes. Aussi, quand l'horoscope que l'on tirait, alors, à la naissance de tout fils de prince eût annoncé que celui qui venait de naître serait un grand guerrier, et ferait resplendir la maison de Savoie d'un lustre supérieur à celui qu'avait attiré sur elle, soit Pierre surnommé le Petit Charlemagne, soit Amédée V dit le Grand, soit Amédée VI vulgairement appelé le comte Vert, sa mère ne put s'empêcher de verser des larmes, et son père, prince pieux et résigné, de dire en secouant la tête, avec l'expression du doute, au mathématicien qui lui faisait cette prédiction:

--

Dieu vous entende, mon ami!

Emmanuel-Philibert était neveu de Charles V, par sa mère Béatrix de Portugal, la plus belle et la plus accomplie des princesses de son temps, et cousin de François Ier, par sa tante Louise de Savoie, sous l'oreiller de laquelle le connétable de Bourbon prétendait avoir laissé le cordon du Saint-Esprit que François Ier lui faisait redemander.

C'était aussi sa tante, cette spirituelle Marguerite d'Autriche qui laissa un recueil de chansons manuscrites que l'on peut voir encore aujourd'hui à la bibliothèque nationale de France, et qui, assaillie par une tempête au moment où elle se rendit en Espagne, pour épouser l'infant fils de Ferdinand et d'Isabelle, après avoir été fiancée au dauphin de France et au roi d'Angleterre, faisait sur elle-même, croyant qu'elle allait mourir, cette curieuse épitaphe:

Pleurez, Amours! pleurez Margot la belle,
Qui fut trois fois promise, et qui mourut pucelle.

Quant à Emmanuel-Philibert, il était, comme nous l'avons dit, si débile, que, malgré la prédiction de l'astrologue qui faisait de lui un puissant homme de guerre, son père le destina à l'Église. Aussi, à l'âge de trois ans, fut-il envoyé à Bologne, pour baiser les pieds du pape Clément VII, qui

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