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Nous disons de l'ancienne France, car un instant l'Artois a été réuni au patrimoine de nos rois par Philippe-Auguste, le vainqueur de Saint-Jean-d'Acre et de Bouvines; mais, entré, en 1180, dans la maison de France, donné, en 1237, par saint Louis, à Robert, son frère cadet, il s'égara, aux mains de trois femmes, Mahaud, Jeanne 1re et Jeanne II, dans trois maisons différentes. Puis, avec Marguerite, sœur de Jeanne I et fille de Jeanne Ire, il passa au comte Louis de Mâle, dont la fille le fit entrer, en même temps que les comtés de Flandres et de Nevers, dans la maison des ducs de Bourgogne. Enfin, Charles le Téméraire mort, Marie de Bourgogne, dernière héritière du nom gigantesque et des biens immenses de son père, alla, le jour où elle épousa Maximilien, fils de l'empereur Frédéric III, réunir nom et richesses au domaine de la maison d'Autriche, lesquels s'y engloutirent comme un fleuve qui se perd dans l'Océan.

C'était là une grande perte pour la France, car l'Artois était une belle et riche province. Aussi, depuis trois ans, avec des chances capricieuses et des fortunes diverses, Henri II et Charles-Quint luttaient-ils corps à corps, pied à pied, front contre front, Charles-Quint pour la conserver, Henri II pour la reprendre.

Pendant cette guerre acharnée, où le fils retrouvait le vieil ennemi de son père, et, com me son père, devait avoir son Marignan et son Pavie, chacun avait rencontré ses bons et ses mauvais jours, ses victoires et ses défaites. La France avait vu l'armée en désordre de Charles-Quint lever le siége de Metz, et avait pris Marienbourg, Bouvines et Dinant; l'Empire, de son côté, avait emporté d'assaut Thérouanne et Hesdin, et, furieux de sa défaite de Metz, avait brûlé l'une et rasé l'autre.

Nous avons comparé Metz à Marignan, et nous n'exagérons pas. Une armée de cinquante mille hommes d'infanterie, de quatorze mille chevaux, décimée par le froid, par la maladie, et, disons-le aussi, par le courage du duc François de Guise et de la garnison française, s'évanouit comme une vapeur, disparut comme une fumée, laissant, pour toute trace de son existence, dix mille morts, deux mille tentes et cent vingt pièces de canon!

La démoralisation était telle, que les fuyards n'essayaient

pas même de se défendre. Charles de Bourbon poursuivait un corps de cavalerie espagnole; le capitaine qui commandait ce corps s'arrête et va droit au chef ennemi :

- Prince, duc ou simple gentilhomme lui dit-il, qui que tu sois enfin, si tu combats pour la gloire, cherche une autre occasion; car, aujourd'hui, tu égorgerais des hommes trop faibles, non-seulement pour te résister, mais encore pour prendre la fuite.

Charles de Bourbon remit son épée au fourreau, ordonna à ses hommes d'en faire autant; et le capitaine espagnol et sa troupe continuèrent leur retraite sans être davantage inquiétés par eux.

Charles-Quint avait été loin d'imiter cette clémence. Thérouanne prise, il avait ordonné que la ville fût livrée au pillage, raséejus qu'en ses fondements; qu'on détruisît, nonseulement les édifices profanes, mais encore les églises, les monastères et les hôpitaux; qu'on n'y laissât, enfin, aucun vestige de muraille; et, de peur qu'il n'y restât pierre sur pierre, il requit les habitants de la Flandre et de l'Artois pour en disperser les débris.

L'appel de destruction avait été entendu. Les populations de l'Artois et de la Flandre, auxquelles la garnison de Thérouanne causait de grands dommages, étaient accourues armées de pioches, de marteaux, de hoyaux et de pics, et la ville avait disparu comme Sagonte sous les pieds d'Annibal, comme Carthage au souffle de Scipion.

Il en était arrivé d'Hesdin comme de Thérouanne.

Mais, sur ces entrefaites, Emmanuel-Philibert avait été nommé commandant en chef des troupes de l'Empire dans les Pays-Bas, et, s'il n'avait pu sauver Thérouanne, il avait, du moins, obtenu de rebâtir Hesdin.

Il avait accompli en quelques mois ce travail immense, et une nouvelle ville venait de s'élever comme par enchantement à un quart de lieue de l'ancienne. Cette nouvelle ville, située au milieu des marais du Mesnil, sur la rivière de la Canche, était si bien fortifiée, qu'elle faisait encore, cent cinquante ans après, l'admiration de Vauban, quoique pendant le cours de ces cent cinquante ans, le système de fortifications eût entièrement changé.

Son fondateur l'avait appelée Hesdin-Fert; c'est-à-dire

que, pour forcer la ville nouvelle à se souvenir de son origine, il avait joint à son nom ces quatre lettres : F. E. R. T. données avec la croix blanche par l'empereur d'Allemagne, après le siége de Rhodes, à Amédée le Grand, treizième comte de Savoie, et qui signifient: Fortitudo ejus Rhodum tenuit, c'est-à-dire : Son courage a sauvé Rhodes.

Mais ce n'était pas le seul miracle qu'eût opéré la promotion du jeune général auquel Charles-Quint venait de confier la conduite de son armée. Grâce à la discipline rigide qu'il avait su établir, le malheureux pays qui, depuis quatre ans, était le théâtre de la guerre commençait à respirer; les ordres les plus sévères avaient été donnés par lui pour empêcher le pillage et même la maraude; tout chef contrevenant était désarmé et mis, sous sa tente, en vue de toute l'armée, à des arrêts plus ou moins longs; tout soldat pris en flagrant délit était pendu.

Il en résultait que, comme l'hiver de 1554 à 1555 avait à peu près fait cesser les hostilités de part et d'autre, les habitants de l'Artois venaient de passer quatre ou cinq mois qui, comparativement aux trois années écoulées entre le siége de Metz et la reconstruction d'Hesdin, leur avaient paru un échantillon de l'âge d'or.

Il y avait bien encore de temps en temps, par-ci par-là, quelque château incendié, quelque ferme pillée, quelque maison dévalisée, soit par les Français, qui tenaient Abbeville, Doulens et Montreuil-sur-Mer, et qui hasardaient des excursions sur le territoire ennemi, soit par les pillards incorrigibles, reîtres, lansquenets et bohèmes, que l'armée impériale traînait à sa suite; mais Emmanuel-Philibert faisait si bonne chasse aux Français, et si rude justice aux impériaux, que ces catastrophes devenaient de jour en jour plus rares.

Voilà donc où l'on en était dans la province d'Artois, et particulièrement dans les environs d'Hesdin-Fert, le jour où s'ouvre notre récit, c'est-à-dire le 5 mai 1555.

Mais, après avoir donné à nos lecteurs un aperçu de l'état moral et politique du pays, il nous reste, pour compléter le tableau, à leur donner une idée de son aspect matériel, aspect qui a totalement changé depuis cette époque, grâce aux envahissements de l'industrie et aux améliorations de la culture.

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Disons donc, afin d'arriver à ce résultat difficile que nous nous proposons, et qui a pour but de reproduire un passé presque évanoui, disons donc ce que, pendant cette journée du 5 mai 1555, vers deux heures de l'après-midi, eût vu un homme qui, monté sur la plus haute tour d'Hesdin, et le dos tourné à la mer, eût embrassé l'horizon s'étendant en demicercle sous son regard, depuis l'extrémité septentrionale de cette petite chaîne de collines derrière laquelle se cache Béthune, jusqu'aux derniers mamelons méridionaux de cette même chaîne au pied desquels s'élève Doulens.

Il eût eu d'abord, en face de lui, s'avançant en pointe vers les rives de la Canche, l'épaisse et sombre forêt de SaintPol-sur-Ternoise, dont le vaste tapis vert, jeté ainsi qu'un manteau sur l'épaule des collines, allait, au bas du versant opposé, tremper sa lisière aux sources de la Scarpe, qui est à l'Escaut ce que la Saône est au Rhône, ce que la Moselle est au Rhin.

A la droite de cette forêt, et, par conséquent, à la gauche de l'observateur que nous supposons placé sur la plus haute tour d'Hesdin-Fert, au fond de la plaine, sous l'abri de ces mêmes collines qui ferment l'horizon, les bourgs d'Enchin et de Fruges, perdus au milieu des fumées bleuâtres de leurs cheminées, fumées qui les enveloppent comme une vapeur transparente, comme un voile diaphane, indiquaient que les frileux habitants de ces provinces septentrionales n'avaient point encore, malgré l'apparition des premiers jours de printemps, dit un adieu réel au feu, ce joyeux et fidèle ami des jours d'hiver.

En avant de ces deux villages, et semblable à une sentinelle qui se serait hasardée à sortir de la forêt, mais qui, mal rassurée encore, n'aurait pas voulu complétement abandonner sa lisière, s'élevait une jolie petite habitation, moitié ferme, moitié château, appelée le Parcq.

On voyait, pareil à un ruban doré flottant sur la robe verte de la plaine, le chemin qui, partant, unique d'abord, de la porte de la ferme, se séparait bientôt en deux branches, dont l'une venait droit à Hesdin, et dont l'autre, contournant la forêt, dénonçait les relations établies entre les habitants du Parcq et les villages de Frévent, d'Auxy-le-Château et de Nouvion en Ponthieu.

La plaine qui s'étendait de ces trois bourgs à Hesdin formait le bassin opposé à celui que nous venons de décrire, c'est-à-dire qu'elle était située à la gauche du bassin de la forêt de Saint-Pol, et, par conséquent, à la droite du'spectateur fictif qui nous sert de cicerone, ou plutôt de pivot.

C'était la partie la plus remarquable du paysage, non point par les accidents naturels du terrain, mais, au contraire, par la circonstance fortuite qui l'animait en ce moment.

En effet, tandis que la plaine opposée n'était couverte que de verdissantes moissons, celle-ci était presque entièrement cachée par le camp de l'empereur Charles-Quint.

Ce camp, entouré de fossés et garni de palissades, renfermait toute une ville, non pas de maisons, mais de tentes.

Au centre de ces tentes, comme Notre-Dame de Paris dans la Cité, comme le château des Papes au milieu d'Avignon, comme un vaisseau à trois ponts parmi les vagues moutonneuses de l'Océan, surgissait le pavillon impérial de Charles-Quint, aux quatre angles duquel flottaient quatre étendards dont un seul suffisait d'habitude à l'ambition humaine l'étendard de l'Empire, l'étendard de l'Espagne, l'étendard de Rome et l'étendard de la Lombardie; car il avait été couronné quatre fois, ce conquérant, ce vaillant, ce victorieux, comme on l'appelait : à Tolède, de la couronne de diamants, comme roi d'Espagne et des Indes; à Aix-laChapelle, de la couronne d'argent, comme empereur d'Allemagne; enfin, à Bologne, de la couronne d'or, comme roi des Romains, et de la couronne de fer, comme roi des Lombards. Et, lorsqu'on essayait de s'opposer à cette volonté qu'il avait de se faire couronner à Bologne, au lieu d'aller, selon la coutume, se faire couronner à Rome et à Milan; lorsqu'on lui objectait le bref du pape Étienne, qui ne veut pas que la couronne d'or quitte le Vatican, et le décret de l'empereur Charlemagne, qui défend que la couronne de fer sorte de Monza, il répondit hautainement, ce vainqueur de François Ier, de Soliman et de Luther, qu'il était accoutumé, non pas à courir après les couronnes, mais à ce que les couronnes courussent après lui.

Et notez bien que ces quatre étendards étaient surmontés de son étendard, à lui, lequel présentait les colonnes d'Hercule, non plus comme les bornes de l'ancien monde, mais

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