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le duc de Savoie, elle en avait éprouvé un désespoir réel, désespoir d'enfant auquel personne n'avait fait attention, et qui, longtemps nourri de ses larmes, s'était changé en une douce mélancolie, entretenue par ce vague espoir qui n'abandonne jamais les cœurs tendres et croyants.

Vingt ans s'étaient écoulés depuis cette époque, et, tantôt sous un prétexte, tantôt sous un autre, la princesse Marguerite avait refusé tous les partis qui s'étaient offerts à elle.

En attendant que les hasards du sort ou les décrets de la Providence secondassent ses désirs secrets, elle avait grandi, avait avancé en âge, et était devenue une charmante princesse pleine de grâce, d'aménité et de miséricorde, avec de beaux cheveux blonds couleur d'épis dorés, des yeux châtains, le nez un peu fort, les lèvres grosses, et la peau d'un beau blanc de lait teinté de rose.

De l'autre côté du roi, nous l'avons dit, était Diane de Poitiers, comtesse de Brézé, fille de ce sieur de Saint-Vallier qui, complice du connétable de Bourbon, avait été condamné à être décapité en Grève, et qui, déjà sur l'échafaud, agenouillé sous l'épée du bourreau, avait obtenu pour grâce si toutefois la chose peut s'appeler une grâce mutation de sa peine en une prison perpétuelle « composée de quatre murailles de pierres maçonnées dessus et dessous, auxquelles il ne devait y avoir qu'une petite fenêtre par où on lui administrerait son boire et son manger. »

la com

Tout était mystère et merveille chez Diane, qui, née en 1499, avait, à l'époque où nous sommes arrivés, cinquantehuit ans, et qui, par sa jeunesse apparente et sa beauté réelle, effaçait les plus belles et les plus jeunes princesses de la cour; si bien que le roi l'aimait avant toutes et pardessus toutes.

Voici ce que l'on disait de mystérieux et de merveilleux sur cette belle Diane, qui avait été faite duchesse de Valentinois en 1548, par le roi Henri II:

D'abord, elle descendait, assurait-on, de la fée Mélusine, et l'amour que le roi lui portait, et cette beauté singulière qu'elle avait conservée, étaient un effet de cette descendance. Diane de Saint-Vallier avait hérité de son aïeule, la grande magicienne, le double secret, secret rare et magique, d'être toujours belle et toujours aimée.

Cette beauté éternelle, Diane la devait, disait-on, à des bouillons composés d'or potable. On sait le rôle que

jouait, l'or potable dans toutes les préparations chimiques du moyen âge.

Cet amour sans fin, elle le devait à une bague magique que le roi avait reçue d'elle, et qui avait la vertu de la faire aimer du roi, tant que celui-ci la porterait.

Ce dernier bruit surtout avait pris une grande créance, car madame de Nemours racontait à qui voulait l'entendre l'anecdote que nous allons raconter à notre tour.

Le roi étant tombé malade, la reine Catherine de Médicis avait dit à madame de Nemours:

Ma chère duchesse, le roi a pour vous une grande affection; allez le voir dans sa chambre, seyez-vous près de son lit, et, tout en causant avec lui, tâchez de lui tirer du troisième doigt de la main gauche la bague qu'il y porte, et qui est un talisman que lui a donné madame de Valentinois pour se faire aimer de lui.

Or, personne à la cour n'avait en profonde affection madame de Valentinois, non pas qu'elle fût méchante, mais les jeunes ne l'aimaient pas parce que, comme nous l'avons dit, elle s'obstinait à rester jeune, et les vieilles la détestaient parce qu'elle ne voulait pas devenir vieille. Madame de Nemours se chargea donc volontiers de la commission, et, ayant pénétré dans la chambre du roi, et s'étant assise près du lit, elle était parvenue, tout en jouant, à tirer du doigt de Henri la bague, dont lui-même ne connaissait point la vertu; mais à peine la bague était-elle hors du doigt du malade, que celui-ci avait prié madame de Nemours de siffler son valet de chambre. On sait que, jusqu'à madame de Maintenon, qui inventa les sonnettes, le sifflet d'or ou d'argent était, pour les rois, les princes et les grands seigneurs, la manière d'appeler leurs gens. Le malade avait donc prié madame de Nemours de siffler son valet de chambre, lequel, étant incontinent entré, reçut du roi l'ordre de fermer sa porte à tout le monde.

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· Même à madame de Valentinois ? demanda le valet de chambre étonné.

· A madame de Valentinois comme aux autres, répondit aigrement le roi; l'ordre n'admet pas d'exception.

Un quart d'heure après, madame de Valentinois s'était présentée à la porte du roi, et la porte lui avait été refusée.

Elle était revenue au bout d'une heure même refus; enfin, au bout de deux heures, et, cette fois, malgré un troisième refus, elle avait forcé la porte, était entrée, avait marché droit au roi, lui avait pris la main, s'était aperçue que la bague lui manquait, avait obtenu l'aveu de ce qui s'était passé, et, séance tenante, avait exigé de Henri qu'il fît redemander sa bague à madame de Nemours. L'ordre du roi de rendre le précieux bijou était si péremptoire, que madame de Nemours, qui ne l'avait point encore remis à la reine Catherine, dans l'appréhension de ce qui arrivait, avait renvoyé la bague. Une fois l'anneau au doigt du roi, la fée avait repris tout son pouvoir, qui, du reste, depuis ce jour, n'avait fait qu'aller croissant.

et

Malgré les graves autorités qui rapportent l'histoire, notez qu'il ne s'agit pas moins, pour les bouillons d'or potable, que du témoignage de Brantôme, et, pour l'affaire de l'anneau, que des attestations de M. de Thou et de Nicolas Pasquier, nous sommes tenté de croire qu'aucune magie n'existait dans ce miracle de la belle Diane de Poitiers, que, cent ans plus tard, devait renouveler Ninon de Lenclos; et nous sommes disposé à accepter, comme sa seule et véritable magie, la recette qu'elle donnait elle-même à qui la lui demandait, c'est-à-dire, quelque temps qu'il fit, et même dans les plus grands froids, un bain d'eau de puits. En outre, tous les matins, la duchesse se levait avec le jour, faisait une promenade de deux heures à cheval, et revenait se remettre au lit, où elle restait jusqu'à midi à lire ou à causer avec ses femmes.

Ce n'était pas le tout chaque chose était matière à discussion chez la belle Diane, et les plus graves historiens semblent, à son propos, avoir oublié cette première condition de l'histoire, qui est d'avoir toujours la preuve debout derrière l'accusation.

Mézeray raconte, et nous ne sommes pas fâché de prendre Mézeray en défaut, Mézeray raconte que François Ier n'aurait accordé la grâce de Jean de Poitiers, père de Diane, qu'après avoir pris de sa fille ce qu'elle avait de plus précieux: or, cela se passait en 1523; Diane, née en 1499,

avait vingt-quatre ans, et, depuis dix ans, était mariée à Louis de Brézé! Nous ne disons pas que François 1er, fort coutumier du fait, n'ait point imposé certaines conditions à la belle Diane; mais ce n'était pas, comme le dit Mézeray, à une jeune fille de quatorze ans qu'il imposait ces conditions, et, à moins de bien fort calomnier ce pauvre M. de Brézé, à qui sa veuve fit élever ce magnifique tombeau que l'on admire encore à Rouen, on ne peut raisonnablement pas supposer qu'il ait laissé le roi prendre à la femme de vingt-quatre ans ce que la jeune fille de quatorze avait eu de plus précieux.

Tout ce que nous venons de dire, au reste, n'a pour but qu'une chose c'est de prouver à nos belles lectrices que mieux vaut l'histoire écrite par les romanciers que l'histoire écrite par les historiens, d'abord parce qu'elle est plus vraie, et ensuite parce qu'elle est plus amusante.

En somme, à cette époque, veuve depuis vingt-six ans de son mari, maîtresse du roi Henri II depuis vingt et un ans, Diane, malgré ses cinquante-huit ans bien comptés, avait le teint le plus uni et le plus beau que l'on pût voir, de beaux cheveux bouclés du plus beau noir, une taille admirablement prise, un cou et une gorge sans défauts.

C'était au moins l'avis du vieux connétable de Montmorency, qui, bien qu'âgé lui-même de soixante-quatre ans, prétendait jouir auprès de la belle duchesse de priviléges tout particuliers, qui eussent rendu le roi fort jaloux, s'il n'était pas bien convenu que ce sont toujours les gens intéressés à savoir les premiers une chose qui ne la savent jamais que les derniers, et qui quelquefois même ne la savent pas du tout.

Qu'on nous pardonne cette longue digression historicocritique; mais, si une femme de cette cour si gracieuse, si lettrée et si galante en méritait la peine, c'était assurément celle qui avait fait porter ses couleurs de veuve, le blanc et le noir, à son royal amant, et qui lui avait, grâce à son beau nom païen de Diane, inspiré l'idée de prendre pour armes un croissant avec cette devise: Donec totum impleat orbem!

Nous avons dit que, derrière le roi Henri II, ayant à sa droite madame Marguerite de France, et à sa gauche la du

chesse de Valentinois, venait le dauphin François, ayant, lui, à sa droite sa sœur Élisabeth, et à sa gauche sa fiancée Marie Stuart.

Le dauphin avait quatorze ans ; Élisabeth, treize; Marie Stuart, treize; quarante ans à eux trois.

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Le dauphin était un enfant faible et maladif, au teint pâle, aux cheveux châtains, aux yeux atones et sans expression bien déterminée, excepté lorsqu'ils regardaient la jeune Marie Stuart; car alors ils s'animaient et prenaient une expression de désir qui faisait de l'enfant un jeune homme. Au reste, peu enclin aux exercices violents qu'affectionnait le roi son père, il semblait en proie à une langueur incessante dont les médecins cherchaient inutilement la cause, que, guidés par les pamphlets du temps, ils eussent trouvée peutêtre dans le chapitre des Douze Césars, où Suétone raconte les promenades en litière de Néron avec sa mère Agrippine. Toutefois, hâtons-nous de dire que, en sa double qualité d'étrangère et de catholique, Catherine de Médicis était fort détestée, et qu'il ne faudrait pas croire sans examen à tout ce que disaient d'elle les pasquins, les noëls et les satires du temps, presque tous sortis des presses calvinistes. La mort prématurée des jeunes princes François et Charles, auxquels leur mère préférait Henri, ne contribua pas peu à donner créance à tous ces méchants bruits qui ont traversé les siècles, et sont arrivés jusqu'à nous revêtus d'une authenticité presque historique.

La princesse Élisabeth, quoiqu'elle eût un an de moins que le dauphin, était bien plus une jeune fille qu'il n'était un jeune homme. Sa naissance avait été à la fois une joie privée et un bonheur public; car, au moment même où elle vit le jour, la paix se signait entre le roi François 1er et le roi Henri VIII. Ainsi celle qui devait, en se mariant, apporter la paix avec l'Espagne, apportait, en naissant, la paix avec l'Angleterre. Du reste, son père Henri II la tenait en si grande estime de beauté et de caractère, que, ayant marié avant elle sa sœur cadette, madame Claude, au duc de Lorraine, il répondit à quelqu'un qui lui remontrait le tort que ce mariage faisait à son aînée: « Ma fille Élisabeth n'est point de celles qui se contentent d'avoir un duché pour dot; il lui faut, à elle, un royaume, et qui ne soit pas des moin

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