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de l'hérésie de l'Anglais, qui ne peut pas se contenter d'un De profundis ordinaire, il débite, comme nous l'avons dit, force Pater et force Ave, laissant ses compagnons s'occuper pour lui des intérêts temporels qui se débattent en ce moment. Son compte réglé avec le ciel, il redescendra sur la terre, fera ses observations à Procope, et signera les renvois et les mots rayés nuls que pourra nécessiter sa tardive intervention à l'acte que l'on rédige.

Celui qui est appuyé des deux mains sur la table, et qui, tout au contraire de Lactance, suit, avec une attention soutenue, chaque trait de la plume de Procope, se nomme Maldent. Il est né à Noyon, d'un père manceau et d'une mère picarde. Il a eu une jeunesse folle et prodigue; arrivé à son âge mûr, il veut réparer le temps perdu, et soigne ses affaires. Il lui est arrivé une foule d'aventures qu'il raconte avec une naïveté qui ne manque pas de charme; mais, il faut le dire, cette naïveté disparaît complétement, lorsqu'il attaque avec Procope quelque question de droit. Alors, ils réalisent la légende des deux Gaspard, dont ils sont peut-être les héros, l'un manceau, l'autre normand. Au reste, Maldent donne et reçoit bravement le coup d'épée, et, quoiqu'il soit loin d'avoir la force d'Heinrich ou de Frantz Scharfenstein, le courage d'Yvonnet, l'impétuosité de Malemort, c'est, au besoin, un compagnon sur lequel on peut compter, et qui, le cas échéant, ne laissera point un ami dans l'embarras.

Le rémouleur qui aiguise sa dague, et qui en éprouve la pointe sur le bout de son ongle s'appelle Pilletrousse. C'est le routier pur sang. Il a tour à tour servi les Espagnols et les Anglais. Mais les Anglais marchandent trop, et les Espagnols ne payent pas assez; il s'est donc décidé à travailler pour son compte. Pilletrousse rôde sur les grands chemins; la nuit surtout, les grands chemins sont remplis de pillards de toutes les nations: Pilletrousse pille les pillards; seulement, il respecte les Français, ses quasi-compatriotes; Pilletrousse est Provençal ; - Pilletrousse a même du cœur: s'ils sont pauvres, il les aide; s'ils sont faibles, il les protége; s'ils sont malades, ils les soigne; mais, s'il rencontre un vrai compatriote, c'est-à-dire un homme qui soit né entre le mont Viso et les bouches du Rhône, entre le Comtat et Fréjus, celui-là peut disposer de Pilletrousse corps et âme,

sang et argent, tron de laire ! c'est encore Pilletrousse qui semble être l'obligé.

Enfin, le neuvième et dernier, celui qui est adossé à la muraille, qui tient ses bras ballants, et qui lève les yeux en l'air, s'appelle Fracasso. C'est, comme nous l'avons dit, un poëte et un rêveur; bien loin de ressembler à Yvonnet, auquel l'obscurité répugne, il aime ces belles nuits éclairées par les seules étoiles; il aime les rives escarpées des fleuves; il aime les plages sonores de la mer. Malheureusement, forcé de suivre l'armée française où elle va, car, quoique Italien, il a voué son épée à la cause de Henri 11, — il n'est pas libre d'errer selon son inclination; mais qu'importe! pour le poëte, tout est inspiration; pour le rêveur, tout est matière à rêverie; seulement, le propre des rêveurs et des poëtes, c'est la distraction, et la distraction est fatale dans la carrière adoptée par Fracasso. Ainsi, souvent, au milieu de la mêlée, Fracasso s'arrête tout à coup pour écouter un clairon qui sonne, pour regarder un nuage qui passe, pour admirer un beau fait d'armes qui s'accomplit. Alors l'ennemi qui se trouve en face de Fracasso profite de cette distraction pour lui porter tout à son aise quelque coup terrible qui tire le rêveur de sa rêverie, le poëte de son extase. Mais malheur à cet ennemi, si, malgré la facilité qui lui en a été donnée, il a mal pris ses mesures, et n'a pas du coup étourdi Fracasso! Fracasso prendra sa revanche, non pas pour se venger du coup qu'il aura reçu, mais pour punir l'importun qui l'a fait descendre du septième ciel, où il planait emporté par les ailes diaprées de la fantaisie et de l'imagination.

Et, maintenant qu'à la manière de l'aveugle divin, nous avons fait l'énumération de nos aventuriers, dont quelques-uns ne doivent pas être tout à fait inconnus à ceux de nos amis qui ont lu Ascanio et les Deux Dianes, disons quel hasard les a réunis dans cette grotte, et quel est l'acte mystérieux à la redaction duquel ils donnent tous les soins.

III

OU LE LECTEUR FAIT PLUS AMPLE CONNAISSANCE AVEC LES HÉROS QUE NOUS VENONS DE LUI PRÉSENTER.

Dans la matinée de ce même jour, 5 mai 1555, une petite troupe composée de quatre hommes lesquels semblaient faire partie de la garnison de Doulens — avait quitté cette ville en se glissant hors de la porte d'Arras, aussitôt que cette porte avait été, nous ne dirons pas ouverte, mais seulement entr'ouverte.

Ces quatre hommes, enveloppés de grands manteaux qui pouvaient servir aussi bien à cacher leurs armes qu'à les garantir de la bise du matin, avaient suivi, avec toutes sortes de précautions, les bords de la petite rivière d'Authie, qu'ils avaient remontée jusqu'à sa source. De là, ils avaient gagné la chaîne des collines dont déjà plusieurs fois nous avons parlé, avaient suivi, toujours avec les mêmes précautions, son versant occidental, et, après deux heures de marche, étaient enfin arrivés à la lisière de la forêt de Saint-Pol-sur-Ternoise. Là, l'un d'eux, qui paraissait plus familier que les autres avec les localités, avait pris la direction de la petite troupe, et, tantôt s'orientant sur un arbre plus feuillu ou plus dénué de branches que les autres, tantôt se reconnaissant à un rocher ou à une flaque d'eau, il était arrivé, sans trop d'hésitation, à l'entrée de cette grotte où nous-mêmes avons conduit nos lecteurs, au commencement du chapitre précédent.

Alors, il avait fait signe à ses compagnons d'attendre un instant, avait regardé, avec une certaine inquiétude, quelques herbes qui lui paraissaient nouvellement froissées, quelques branches qui lui semblaient fraîchement rompues; il s'était mis à plat ventre, et, en rampant comme eût fait une couleuvre, il avait disparu dans l'intérieur.

Bientôt ses camarades, qui étaient restés à l'extérieur, avaient entendu retentir sa voix; mais l'accent de cette voix n'avait rien d'inquiétant. Il interrogeait les profondeurs de

la grotte, et, comme les profondeurs de la grotte ne lui répondirent que par la solitude et le silence, comme il n'avait entendu, malgré son triple appel, que le triple écho de sa propre voix, il ne tarda pas à reparaître au dehors en faisant signe à ses compagnons qu'ils pouvaient le suivre.

Les trois compagnons le suivirent, et, après quelques difficultés facilement vaincues, se trouvèrent dans l'intérieur du souterrain.

Ah! murmura celui qui leur avait si habilement servi de guide en faisant entendre une aspiration de joie, tandem ad terminum eamus !

- Ce qui veut dire ?... demanda l'un des trois aventuriers, avec un accent picard des plus prononcés.

Ce qui veut dire, mon cher Maldent, que nous approchons, ou plutôt que nous sommes tout approchés du terme de notre expédition.

- Bardon, monsié Brogobe, dit un autre aventurier, mais che n'afre bas pien gombris... Et doi, Heinrich?

-Moi n'afre bas pien gombris non blus.

Et pourquoi diable voulez-vous comprendre? répondit Procope, car le lecteur a déjà deviné que c'était notre légiste que Frantz Scharfenstein enveloppait, dans son accent tudesque, sous le pseudonyme de Brogobe; pourvu que Maldent et moi comprenions, n'est-ce pas tout ce qu'il faut? - la, répondirent philosophiquement les deux Scharfenstein, c'êdre dout ze qu'il vaut.

Ainsi donc, dit Procope, asseyons-nous, mangeons un morceau, buvons un coup pour faire passer le temps, et, tout en mangeant ce morceau, tout en buvant ce coup, je vous expliquerai mon plan.

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-la! ia dit Frantz Scharfenstein, manchons un morzeau, pufons un goup, et, bantant ze demps, il nous esbliguera zon blan.

Les aventuriers regardèrent autour d'eux, et, grâce à l'habitude que leurs yeux commençaient à avoir de l'obscurité, moins grande, d'ailleurs, à l'entrée de la grotte que dans ses profondeurs, ils aperçurent trois pierres qu'ils rapprochérent l'une de l'autre, afin de pouvoir causer plus confidentiellement.

Comme on n'en trouvait pas une quatrième, Henri Schar

fenstein offrit galamment la sienne à Procope, qui était sans siége; mais Procope le remercia avec la même courtoisie, étendit son manteau à terre, et se coucha dessus.

Puis on tira, des bissacs que portaient les deux géants, du pain, de la viande froide, du vin; on posa le tout au milieu du demi-cercle dont les trois aventuriers assis faisaient l'arc, et dont Procope couché faisait la corde; après quoi, l'on se mit à attaquer le déjeuner improvisé avec un acharnement qui prouvait que la promenade matinale qu'on venait de faire n'avait pas été sans produire son effet sur l'appétit des convives.

Pendant dix minutes, à peu près, on n'entendit que le bruit des mâchoires, broyant, avec une régularité qui eût fait honneur à des mécaniques, le pain, la chair et même les os des volailles empruntées aux fermes voisines, et qui composaient la partie délicate du déjeuner.

Maldent fut le premier qui retrouva la parole.

Tu disais donc, mon cher Procope, qu'en mangeant un morceau, tu nous expliquerais ton plan... Le morceau est plus qu'à moitié mangé, pour mon compte, du moins. Commence donc ton exposition. J'écoute.

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la! dit Frantz la bouche pleine, nous égoudons.

Eh bien?

Eh bien, voici la chose... Ecce res judicanda, comme on dit au palais.

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- Silence, les Scharfenstein! fit Maldent.

Moi n'afre bas tit un zeul mot, répondit Frantz.

Ni moi non blus, dit Heinrich.

Ah! j'avais cru entendre...

Et moi aussi, dit Procope.

Bon! quelque renard que nous aurons dérangé dans son terrier... Va, Procope! va!

- Eh bien, je répète donc, voici la chose: il existe, à un quart de lieue d'ici, une jolie petite ferme...

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- Tu nous avais promis un château! observa Maldent.

Oh! mon Dieu! que tu es méticuleux! dit Procope. Eh bien, soit, je me reprends... Il existe, à un quart de lieue d'ici, un joli petit château.

Verme ou jâdeau, dit Heinrich Scharfenstein, beu imborde, bourfu gu'il y ait de la pudin à y faire!

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