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à la fois un rêveur et un poëte. Que cherche-t-il en ce moment? Est-ce la solution de quelque problème comme ceux que viennent de résoudre Christophe Colomb et Galilée ? Est-ce la forme d'un de ces tercets comme les faisait Dante, ou de l'un de ces huitains comme les chantait Tasse? C'est ce que pourrait seul nous dire le démon qui veille en lui, et qui s'occupe si peu de la matière, · absorbé qu'il est dans la contemplation des choses abstraites, qu'il laisse aller en lambeaux toute la portion des vêtements du digne poëte qui n'est pas de fer, de cuivre ou d'acier.

Voilà les portraits esquissés tant bien que mal. Mettons les noms au-dessous de chacun d'eux.

Celui qui tient la plume se nomme Procope; il est Normand de naissance, presque juriste par l'éducation; il larde sa conversation d'axiomes tirés du droit romain, et d'aphorismes empruntés aux Capitulaires de Charlemagne. Du moment où l'on a passé un écrit avec lui, on doit s'attendre à un procès. Il est vrai que, si l'on se contente de sa parole, sa parole est d'or; seulement, il n'est pas toujours d'accord avec la moralité, comme le vulgaire l'entend, dans sa manière de la tenir. Nous n'en citerons qu'un exemple, et c'est celui qui l'avait jeté dans la vie d'aventures où nous le rencontrons. Un noble seigneur de la cour de François Ier était venu, un jour, lui proposer une affaire, à lui et à trois de ses compagnons; il savait que le trésorier royal devait, le soir même, apporter de l'Arsenal au Louvre mille écus d'or; cette affaire était d'arrêter le trésorier au coin de la rue Saint-Paul, de lui prendre les mille écus d'or, et de les partager ainsi : cinq cents au grand seigneur, qui attendrait, place Royale, que le coup fût fait, et qui, en sa qualité de grand seigneur, demandait la moitié de la somme; l'autre moitié entre Procope et ses trois compagnons, qui auraient ainsi chacun cent vingt-cinq écus. La parole fut engagée de part et d'autre, et la chose fut faite comme il avait été convenu; seulement, quand le trésorier fut convenablement dévalisé, meurtri et jeté à la rivière, les trois compagnons de Procope hasardèrent cette proposition, de tirer vers Notre-Dame, au lieu de gagner la place Royale, et de garder les mille écus d'or, au lieu d'en remettre cinq cents au grand seigneur. Mais Procope leur rappela la parole engagée.

Messieurs, dit-il gravement, vous oubliez que ce serait manquer à notre traité, que ce serait frustrer un client!... Il faut de la loyauté avant tout. Nous remettrons au duc (le grand seigneur était un duc) les cinq cents écus d'or qui lui reviennent, et depuis le premier jusqu'au dernier. Mais, continua-t-il, s'apercevant que la proposition excitait quelques murmures, distinguimus: quand il les aura empochés et qu'il nous aura reconnus pour d'honnêtes gens, rien n'empêche que nous n'allions nous embusquer au cimetière Saint-Jean, où j'ai la certitude qu'il doit passer; c'est un lieu désert et tout à fait propice aux embuscades. Nous ferons du duc ce que nous avons fait du trésorier, et, le cimetière Saint-Jean n'étant pas très-éloigné de la Seine, on pourra les retrouver demain tous les deux dans les filets de SaintCloud. Ainsi, au lieu de cent vingt-cinq écus, nous en aurons deux cent cinquante chacun, desquels deux cent cinquante écus nous pourrons jouir et disposer sans remords, ayant tenu fidèlement notre parole vis-à-vis de ce bon duc! La proposition acceptée avec enthousiasme, il fut fait ainsi qu'il avait été dit. Par malheur, dans leur empressement à le jeter à la rivière, les quatre associés ne s'aperçurent pas que le duc respirait encore; la fraîcheur de l'eau lui rendit des forces, et, au lieu d'aller jusqu'à Saint-Cloud, comme l'espérait Procope, il aborda au quai de Gèvres, poussa jusqu'au Châtelet, et donna au prévôt de Paris, qui, à cette époque, se nommait M. d'Estourville, un signalement si exact des quatre bandits, que, dès le lendemain, ceux-ci jugèrent à propos de quitter Paris, de peur d'un procès où, malgré la connaissance approfondie que Procope avait du droit, ils eussent bien pu laisser la chose à laquelle, si philosophe qu'on soit, on tient toujours peu ou prou, c'est-àdire l'existence.

Nos quatre gaillards avaient donc quitté Paris, tirant chacun vers un des quatre points cardinaux. Le nord était échu à Procope. De là vient que nous avons le bonheur de le retrouver tenant la plume dans la grotte de Saint-Pol-surTernoise, rédigeant, par le choix de ses nouveaux compagnons, qui avaient rendu cet hommage à son mérite, l'acte important dont nous aurons à nous occuper tout à l'heure. Celui qui éclaire Procope se nomme Heinrich Schar

feinstein. Cet indigne sectateur de Luther que les mauvais procédés de Charles-Quint à l'endroit des huguenots ont poussé dans les rangs de l'armée française avec son neveu Frantz Scharfeinstein, qui fait, en ce moment, sentinelle au dehors. Ce sont deux colosses que l'on dirait animés par une même âme et mus d'un seul esprit. Beaucoup prétendent que ce seul esprit n'est pas suffisant pour deux corps de six pieds chacun; mais eux ne sont pas de cet avis, et trouvent que tout est bien comme il est. Dans la vie ordinaire, ils daignent rarement avoir recours à un auxiliaire quelconque, soit homme, soit instrument, soit machine, pour arriver au but qu'ils se proposent. Si ce but est de mouvoir une masse quelconque, au lieu de chercher, comme nos savants modernes, par quels moyens dynamiques Cléopâtre fit transporter ses vaisseaux de la Méditerranée dans la mer Rouge, ou à l'aide de quels engins Titus souleva les blocs gigantesques du cirque de Flavien, ils entourent bravement de leurs quatre bras l'objet qu'il faut déplacer, ils nouent la chaîne infrangible de leurs doigts d'acier, ils font un effort simultané avec cette régularité qui distingue tous leurs mouvements, et l'objet quitte la place qu'il avait pour celle qu'il doit avoir. S'il s'agit d'escalader quelque muraille ou d'atteindre à quelque fenêtre, au lieu de traîner, ainsi que le font leurs compagnons, une lourde échelle qui embarrasse leur marche, quand l'expédition réussit, ou qu'il faut abandonner comme pièce de conviction, quand l'entreprise échoue, ils vont, les mains vides, à l'endroit où ils ont affaire. L'un d'eux, peu importe lequel, s'appuie à la muraille, l'autre monte sur ses épaules, et, au besoin, dans ses mains élevées au-dessus de la tête. Avec l'aide de ses propres bras, le second atteint ainsi une hauteur de dix-huit à vingt pieds, hauteur presque toujours suffisante pour gagner la crête d'un mur ou le balcon d'une fenêtre. Dans le combat, c'est toujours le même système d'association physique : ils marchent côte à côte et d'un pas égal; seulement, l'un frappe, et l'autre dépouille; quand celui qui frappe est las de frapper, il se contente de passer l'épée, la masse ou la hache à son compagnon, en disant ces seuls mots ; « A ton tour! » Alors, les rôles changent : c'est celui qui frappait qui dépouille, et celui qui dépouillait

qui frappe. Au reste, leur façon de frapper, à tous deux, est connue et fort estimée; mais, nous l'avons dit, en gé néral, on fait plus d'estime de leurs bras que de leur cerveau, de leurs forces que de leur intelligence. Voilà pourquoi l'un a été chargé de faire la sentinelle au dehors, et l'autre le chancelier au dedans.

Quant au jeune homme aux moustaches noires et aux cheveux bouclés, qui frise ses moustaches et qui peigne ses cheveux, il a nom Yvonnet; il est Parisien de naissance et Français de cœur. Aux avantages physiques que nous avons déjà signalés en lui, il faut ajouter des mains et des pieds de femme. Dans la paix, il se plaint sans cesse. Comme le sybarite antique, le pli d'une rose le blesse; il est paresseux s'il faut marcher; il a des vertiges, s'il faut monter; il a des vapeurs, s'il faut penser. Impressionnable et nerveux comme une jeune fille, sa sensibilité exige les plus grands ménagements. Le jour, il exècre les araignées, il a horreur des crapauds, ils se trouve mal à la vue d'une souris. Pour qu'il s'aventure au milieu des ténèbres, qui lui sont antipathiques, il faut qu'une grande passion le pousse hors de luimême. Au reste, rendons-lui cette justice, il a toujours quelque grande passion; mais presque toujours, si c'est la nuit que le rendez-vous lui est donné, il arrive près de sa maîtresse tout effaré et tout tremblant, et il a besoin, pour se remettre, d'autant de paroles rassurantes, de caresses empressées et de soins attentifs que Héro en prodiguait à Léandre, lorsque celui-ci entrait dans sa tour tout ruisselant de l'eau des Dardanelles! Il est vrai que, dès qu'il entend la trompette; il est vrai que, dès qu'il respire la poudre; it est vrai que, dès qu'il voit passer les étendards, Yvonnet n'est plus le même homme; il s'opère en lui une transformation complète : plus de paresse, plus de vertiges, plus de vapeurs! La jeune fille devient un soldat féroce, frappant d'estoc et de taille, un véritable lion aux griffes de fer et aux dents d'acier. Lui qui hésitait à monter un escalier pour arriver à la chambre à coucher d'une jolie femme, il grimpe à une échelle, s'accroche à une corde, se suspend à un fil pour arriver le premier sur la muraille. Le combat fini, il lave avec le plus grand soin ses mains et son visage, change de linge et d'habits; puis, peu à peu, redevient le jeune

homme que nous voyons en ce moment, frisant sa moustache, peignant ses cheveux et secouant du bout des doigts la poussière impertinente qui s'attache à ses vêtements.

Celui qui panse la blessure qu'il a reçue au biceps du bras gauche s'appelle Malemort. C'est un caractère sombre et mélancolique qui n'a qu'une passion, qu'un amour, qu'une joie la guerre ! passion malheureuse, amour mal récompensé, joie courte et funeste; car à peine a-t-il goûté au carnage du bout des lèvres, que, grâce à cette ardeur aveugle et furieuse avec laquelle il se jette dans la mêlée, et au peu de soin qu'il prend, en frappant les autres, de ne pas être frappé lui-même, il attrape quelque effroyable coup de pique, quelque terrible mousquetade qui le couche sur le carreau, où il gémit lamentablement, non pas du mal que lui cause sa blessure, mais de ia douleur qu'il éprouve de voir les autres continuer la fête sans lui. Par bonheur, il a la chair prompte à la cicatrice, et les os faciles au raccommodage. A I'heure qu'il est, il compte vingt-cinq blessures, trois de plus que César! et il espère bien, si la guerre continue, en recevoir encore vingt-cinq autres avant celle qui doit inévitablement mettre fin à cette carrière de gloire et de douleurs.

Le maigre personnage qui prie dans un coin, et qui dit son chapelet à genoux, s'appelle Lactance. C'est un catholique ardent qui souffre avec peine le voisinage des deux Scharfenstein, dont il craint toujours que l'hérésie ne le souille. Obligé, par la profession qu'il exerce, à se battre contre ses frères en Jésus-Christ, et à les tuer le plus possible, il n'est pas d'austérités qu'il ne s'impose pour faire équilibre à cette cruelle nécessité. L'espèce de robe de drap dont il est revêtu en ce moment, et qu'il porte, sans gilet ni chemise, directement sur la peau, est doublée d'une cotte de mailles, si toutefois la cotte de mailles n'est pas l'étoffe, et le drap la doublure. Quoi qu'il en soit, au combat, il porte la cotte de mailles en dehors, et elle devient une cuirasse; le combat terminé, il porte la cotte de mailles en dedans, et elle devient un cilice. C'est, au reste, une satisfaction que l'être tué par lui; celui qui trépasse de la main de ce saint nomme est sûr, au moins, de ne pas manquer de prières. Dans le dernier engagement, il a tué deux Espagnols et un Anglais, et, comme il est en retard avec eux, surtout à cause

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