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au pied des autels. Longtemps il céla son crime; longtemps, par mille impostures, il abusa d'un faux espoir une amante désolée. Mais, une nuit, apparut en songe à Didon l'ombre de son époux privé de sépulture: le visage couvert d'une affreuse paleur, il lui montre l'autel sanglant, son sein percé d'un glaive, et dévoile le crime secret commis dans le palais. Il conseille, loin de la patrie, une fuite rapide, et, pour la rendre plus facile, il découvre de vieux trésors confiés à la terre, amas ignoré d'argent et d'or. Dans son effroi, Didon prépare tout pour le départ, et cherche des compagnons. Près d'elle se rassemblent ceux qu'excite la haine contre le tyran, et ceux que la crainte décide. Le hasard leur offre des vaisseaux prêts à mettre à la voile : ils s'en emparent, et les chargent d'or. Les richesses de l'avare Pygmalion sont emportées sur les mers: c'est une femme qui tout ordonné et tout conduit. Ils arrivent aux lieux où vous allez voir s'élever les remparts de la nouvelle Carthage. C'est là qu'ils ont acheté autant d'espace que les lanières d'un cuir de taureau pouvaient en embrasser : ce qui a fait donner à la ville le nom de Byrsa. Mais vous enfin, qui êtes-vous? de quels bords êtesvous partis? où se dirigent vos pas? » A ces questions, Énée soupire, et du fond de sa poitrine tire ces paroles :

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« O déesse, si je remontais à la source de nos malheurs, ct que vous eussiez le loisir d'en écouter l'histoire, avant la fin de ce récit, Vesper aurait fermé l'Olympe et les portes du jour.

« Partis de l'antique Troie, (si par hasard le nom de Troie est venu jusqu'à vos oreilles), nous avons erré longtemps de mers en mers, et la tempête enfin nous a jetés sur les côtes de la Libye.

« Je suis le pieux Énée, qui emporte avec moi, sur mes vaisseaux, les dieux de Troie enlevés à ses vainqueurs. La renommée a porté mon nom jusqu'aux astres. Je cherche l'Italie, berceau de mes aïeux car je tire mon origine du grand Jupiter. Je suis parti des mers de la Phrygie avec vingt vaisseaux : la déesse, ma mère, me montrant le chemin, j'allais où les destins m'appellent. A peine sept navires me restent, cruellement secoués par les vents et par les ondes. Moi-même, inconnu sur cette plage, dénué de tout, je suis errant dans ces déserts, repoussé de l'Asie et de l'Europe. >>

Vénus ne peut entendre plus longtemps son fils déplorer ses malheurs; et, interrompant ses douloureuses plaintes : « Qui que vous soyez, dit-elle, les dieux, je le crois, ne vous sont point contraires, puisqu'ils vous ont conduit à la ville des Tyriens. Poursuivez donc votre route, et rendez-vous au palais de la reine; car je vous annonce le retour de vos compagnons et de vos vaisseaux, si toutefois mes parents ne m'ont pas vainement

"O dea, si prima repetens ab origine pergam,
Et vacet annales nostrorum audire laborum,
Ante diem clauso componet Vesper Olympo.
Nos Troja antiqua, si vestras forte per aurcs
Trojæ nomen iit, diversa per æquora vectos
Forte sua Libycis tempestas appulit oris.
Sum pius Æneas, raptos qui ex hoste Penates
Classe veho mecum, fama super æthera notus.
Italiam quæro patriam, et genus ab Jove summo.
Bis denis Phrygium conscendi navibus æquor,
Matre dea monstrante viam, data fata secutus :
Vix septem convulsæ undis Euroque supersunt.
Ipse ignotus, egens, Libyæ deserta peragro,
Europa atque Asia pulsus." Nec plura querentem
Passa Venus, medio sic interfata dolore est ?
"Quisquis es, haud, credo, invisus cœlestibus auras
Vitales carpis, Tyriam qui adveneris urbem.
Perge modo, atque hinc te reginæ ad limina perfer.
Namque tibi reduces socios classemque relatam
Nuntio, et in tutum versis aquilonibus actam;

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enseigné l'art des augures. Voyez ces douze cygnes que l'oiseau de Jupiter, fondant des régions éthérées, troublait dans les plaines du ciel. Déjà, rangés en une longue file, ils s'abattent sur la terre, ou regardent d'en haut la place qu'ils vont choisir. De même que leur troupe réunie vole en cercle dans les airs, exprimant sa joie par le battement des ailes, et par des chants harmonieux, de même vos vaisseaux et vos guerriers ou sont déjà entrés dans le port, ou y entrent à pleines voiles. Hâtez donc votre marche, et suivez ce chemin qui vous conduit. »

Elle dit, et détournant la tête, elle fit briller son cou de rose; ses cheveux parfumés d'ambroisie exhalèrent une odeur divine; sa robe retomba jusqu'à ses pieds, et sa démarche révéla une déesse. Énée a reconnu sa mère, et, dans sa fuite, la suivant de ces mots : « Cruelle ! s'écrie-t-il ; et vous aussi, pourquoi si souvent abusez-vous votre fils par de trompeuses images? Que ne m'est-il donné de joihdre ma main à votre main, et de pouvoir, sans déguisement, vous entendre et vous répondre? » C'est ainsi qu'il se plaint, et il s'avance vers Carthage. Tandis qu'il marche avec Achate, Vénus obscurcit l'air qui les environne, et les couvre d'un nuage impénétrable, afin que personne ne puisse ni les voir,

Ni frustra augurium vani docuere parentes.
Aspice bis senos lætantes agmine cycnos,
Etheria quos lapsa plaga Jovis ales aperto
Turbabat cœlo; nunc terras ordine longo
Aut capere, aut captas jam despectare videntur.
Ut reduces illi ludunt stridentibus alis,
Et cœtu cinxere polum, cantusque dedere:
Haud aliter puppesque tuæ, pubesque tuorum,
Aut portum tenet, aut pleno subit ostia velo.

Perge modo, et, qua te ducit via, dirige gressum. »
Dixit, et avertens rosea cervice refulsit,
Ambrosiæque comæ divinum vertice odorem
Spiravere; pedes vestis defluxit ad imos,
Et vera incessu patuit dea. Ille, ubi matrem
Agnovit, tali fugientem est voce secutus :
"Quid natum toties, crudelis tu quoque, falsis
Ludis imaginibus? cur dextræ jungere dextram
Non datur, ac veras audire et reddere voces?"
Talibus incusat, gressumque ad monia tendit.
At Venus obscuro gradientes aere sepsit,
Et multo nebulæ circum dea fudit amictu:
Cernere ne quis eos, neu quis contingere posset,

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ni les approcher, ni retarder leur marche, ni s'enquérir du sujet de leur voyage. Alors elle-même, s'élevant dans les airs, revole vers Paphos, et se plaît à revoir ce séjour qu'elle aime, où son temple et cent autels exhalent les doux parfums de l'encens de Saba et des plus fraîches guirlandes.

Cependant, les deux guerriers s'avancent d'un pas rapide dans le sentier qui les conduit. Déjà ils gravissent le coteau qui domine Carthage, et d'où l'œil découvre ses tours et ses remparts. Énée admire cette masse d'édifices, à la place où furent des cabanes. Il admire les portes et les rues que l'on construit, et le bruit de la foule. Les Tyriens pressent avec activité leurs travaux. Les uns prolongent les murs d'enceinte, élèvent la citadelle, et de leurs mains roulent d'énormes pierres. Les autres choisissent le terrain où sera leur toit, et le soc l'entoure d'un sillon. Ici on crée des lois, on élit des magistrats, on forme un sénat auguste; là on creuse le port; là on jette les fondements d'un grand amphithéâtre, et l'on taille dans le roc de hautes colonnes, ornements pompeux de la scène future. Telles les abeilles, quand le printemps est de retour, hâtent leur travail sous un ciel pur, dans les campagnes fleuries. Soit qu'elles conduisent hors de la ruche le jeune essaim qu'elles ont élevé; soit qu'épaississant le miel liquide, elles gonflent leurs cellules de ce doux nectar; ou qu'elles

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déchargent du fardeau qu'elles portent leurs compagnes voyageuses; ou que, rangées en bataille, elles chassent, loin de leurs demeures, la troupe paresseuse des frelons: tout ce peuple s'anime au travail, et le miel se parfume du thym odorant. « Heureux ceux dont les murs s'élèvent déjà ! » s'écrie Énée, en contemplant les hautes tours qui dominent la ville. Et, à la faveur du nuage qui le couvre, ô prodige! il s'avance au milieu des Tyriens, et se mêle à la foule sans être aperçu.

Aux lieux mêmes où s'élève Carthage, était un bois sacré au riant ombrage. C'est là que d'abord s'arrêtèrent les Phéniciens, après avoir erré à la merci des flots et des vents. C'est là que, creusant la terre, ils trouvèrent le signe indiqué par la puissante Junon, la tête d'un cheval ardent, présage qui promettait à la nation de nombreuses victoires et une longue abondance. Là, Didon faisait élever à la reine des dieux un temple immense, orné des plus riches offrandes, et plein de sa divinité. Sur les degrés, que couronne un seuil d'airain, l'airain assujettit les poutres, et sur leurs gonds crient des portes de bronze.

Dans ce bois sacré, s'offre aux regards d'Énée un spectacle nouveau, qui vient, pour la première fois, calmer ses craintes. Là, pour la première fois, il ose espérer le salut des Troyens, et se confier dans un avenir plus heureux. Tandis qu'il examine

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