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XLIX

A dix-sept ans, muni d'un premier fonds de connaissances et des bonnes instructions morales de sa tante, Bé ranger revint à Paris auprès de son père. Vers dix-huit ans, pour la première fois, l'idée de faire des vers se glissa dans sa tête, sans doute à l'occasion de quelques représentations théâtrales auxquelles il assistait. La comédie fut son premier rêve: il en ébaucha une, intitulée les Hermaphrodites, où il raillait les hommes fats et efféminés, les femmes ambitieuses et intrigantes. Mais, ayant lu avec soin Molière, il renonça, par respect pour ce grand maître, à un genre d'une si accablante difficulté. Molière et La Fontaine étaient alors ses auteurs favoris; il étudiait leurs moindres détails d'observation, de vers, de style, et arrivait par eux à deviner, à sentir, à apprécier son propre talent.

Ses premiers essais dramatiques ne lui furent pas in. utiles; il leur doit peut-être d'avoir introduit dans ses chansons quelque chose de la forme du drame. Renonçant au théâtre, le genre satirique occupa un moment son esprit ; mais il lui répugna, comme âcre et odieux. Alors, pour satisfaire à son besoin de travail et de poésie, il prit la grande et solennelle détermination de composer un poëme épique: Clovis fut le héros qu'il choisit. Le soin de préparer ses matériaux, d'ap profondir les caractères de ses personnages, de mùrir ses combinaisons principales, devait l'occuper plu

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sieurs années; quant à l'exécution proprement dite, il l'ajournait jusqu'à l'époque où il aurait trente ans.

Cependant sa position malheureuse contrastait amèrement avec ses grandioses perspectives. Après dix-huit mois d'aisance et de prospérité, il connaissait le dénûment et la misère; de rudes années d'épreuves commen. çaient pour le jeune homme. Alors, voulant transporter la poésie de sa pensée dans la vie, il songea un moment à l'existence active, aux voyages, à l'expatriation sur cette terre d'Égypte, qui était encore au pouvoir de nos soldats un membre de la grande expédition, revenu en France, désenchanté de l'Orient, le détourna de ce projet.

La jeunesse, avec toute sa puissance d'illusion et de tendresse, avec cette gaieté naturelle qui en forme le plus bel apanage et dont notre poëte avait reçu du ciel une si heureuse mesure; l'espoir, la confiance, la bonne opinion de soi-même, toutes ces ressources intérieures qui ne manquent jamais aux jeunes gens, triomphèrent de l'adversité; et la période nécessiteuse que Béranger était forcé de traverser, brilla bientôt à ses yeux de mille grâces: ce fut le temps où il se mêla de plus près à toutes les classes et à toutes les conditions populaires; où, dépouillant sans retour le factice et le convenu de la société, il imposa à ses besoins des limites étroites qu'ils n'ont plus franchies, trouvant moyen d'y laisser place pour

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les naïves jouissances. Ce fut le temps enfin du Grenier, des amis joyeux, de la reprise au revers du vieil habit; l'aurore du règne de Lisette, de cette Lisette, infidèle et tendre comme Manon et aimée comme elle, et dont il a dit plus tard, en écrivant à une amie : « Si vous m'aviez « donné à deviner quel vers vous avait choquée dans le « Grenier...

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je vous l'aurais dit. Ah! ma chère amie, que nous en« tendons l'amour différemment! à vingt ans, j'étais à « cet égard comme je suis aujourd'hui. Vous avez donc « une bien mauvaise idée de cette pauvre Lisette? Elle « était cependant si bonne fille ! si folle, si jolie ! je dois « même dire si tendre! Eh quoi! parce qu'elle avait une

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espèce de mari qui prenait soin de sa garde-robe, vous a vous fâchez contre elle! vous n'en auriez pas eu le cou" rage si vous l'aviez vue alors. Elle se mettait avec tant « de goût, et tout lui allait si bien ! D'ailleurs elle n'eût « pas mieux demandé que de tenir de moi ce qu'elle était

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obligée d'acheter d'un autre. Mais comment faire? moi,

j'étais si pauvre! la plus petite partie de plaisir me forçait à vivre de panade pendant huit jours, que je faisais moi-même tout en entassant rime sur rime, « et plein de l'espoir d'une gloire future. Rien qu'en « vous parlant de cette riante époque de ma vie, où, sans

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appui, sans pain assuré, sans instruction, je me rêvais « un avenir sans négliger les plaisirs du présent, mes la

<< yeux se mouillent de larmes involontaires. Oh! que

jeunesse est une belle chose, puisqu'elle peut répandre <«< du charme jusque sur la vieillesse, cet âge si déshé

rité, si pauvre! Employez bien ce qui vous en reste, << ma chère amie. Aimez, et laissez-vous aimer. J'ai bien «< connu ce bonheur; c'est le plus grand de la vie. »

Cette époque de lutte continue contre la pauvreté et contre ses obstacles pour l'avenir, plus grands que ses atteintes au temps présent, fut néanmoins suivie d'une espèce de découragement, dont un bienfait, digne et inespéré, vint heureusement tirer le poëte. Le frère du Premier Consul, M. Lucien Bonaparte, l'accueillit avec intérêt et lui accorda une généreuse protection: Béranger, dans la dédicace de ses dernières chansons, nous racontera lui-même ce grand évènement de sa jeunesse.

Dans cet âge si plein de vie, que le présent, quelque rempli qu'il soit, ne suffit pas à l'ardeur de l'imagination, à la satisfaction de la pensée; dans cet âge où l'avenir est un besoin, ce qui, après l'amour, préoccupait le plus Béranger, c'était la gloire littéraire. Le patriotisme de son adolescence ne l'avait pas abandonné; mais ses sentiments ne se tournaient qu'avec réserve vers l'homme de génie qui touchait déjà à l'Empire. C'est un rapprochement curieux à faire, parmi tant d'autres, entre

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Paul-Louis Courier et Béranger, que ce peu de goût pour les jeux désastreux du conquérant.

L'influence des ouvrages de M. de Châteaubriand sur le jeune Béranger fut prompte et vive. Son admiration est restée fidèle à ce beau génie, dont les inspirations religieuses firent revivre en lui quelques-uns des germes que sa bonne tante de Péronne y avait semés: l'auteur du Génie du Christianisme fit connaître à Béranger les grandeurs simples et sévères du goût antique, les beautés de la Bible et d'Homère, lorsque dans l'âge des rêves épiques, attendant l'heure d'aborder son Clovis, le chantre futur des Clés du Paradis et du Concordat de 1817 traitait en dithyrambe le Déluge, le Jugement dernier, le Rétablissement du culte. Quarante vers alexandrins, intitulés Méditation, qu'il composa en 1802, sont empreints d'une haute gravité religieuse : Béranger cherchait alors à faire contraste avec la manière factice de Delille dans son poëme de la Pitié. Nous allons citer ces vers, qui sont imprimés dans quelques anciens almanachs.

Nos grandeurs, nos revers ne sont point notre ouvrage,
Dieu seul mène à son gré notre aveugle courage.
Sans honte succombez, triomphez sans orgueil,
Vous mortels qu'il plaça sur un pompeux écueil.
Des hommes étaient nés pour le trône du monde,
Huit siècles l'assuraient à leur race féconde :
Dieu dit; soudain, aux yeux de cent peuples surpris

Et ce trône et ces rois confondent leurs débris.

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