publication de cet essai informe excita l'attention des savans d'alors ; et fut un service réel rendu aux lettres. Mais nous suivons dans les diverses parties des sciences philologiques les effets d'un mouvement universel. Entrevoyant l'utilité qu'on pouvoit retirer d'une liaison intime entre l'histoire ancienne et l'ancienne géographie , Paulmier de Grentemesnil , Meürsius, Cellarius, firent de grands pas dans cette nouvelle carrière. D'Anville, doué d'une sagacité étonnante, mérite à plus d'un titré le respect de tous les âges; cependant ses travaux, dépassés aujourd'hui par la marche de la science, laissent sinon beaucoup à refaire , du moins bien des choses à ajouter. Depuis le commencement du xix.' siècle, des voyageurs instruits ont, pour ainsi dire, tracé dans tous les sens des sillons lumineux sur le sol antique et révéré de la Grèce; tous les jours les relations se multiplient, les découvertes s'étendent, les systèmes se reforment; la connoissance de l'état actuel du pays et les récits des auteurs anciens s'éclaircissent inutuellement. Effrayé en quelque sorte par la masse immense des faits qu'auroit à vérifier et à discuter l'auteur d'une géographie générale de la Grèce antique, M. Reinganum , jeune professeur à Berlin, se borne aujourd'hui à donner au public un précis à-la-fois topographique et historique sur la république de Mégare, selon lui a le plus petit » de tous les états helléniques. » C'est un cadre bien resserré ; cependant l'érudition, les vues saines, le talent de l'auteur, doivent assurer à son ouvrage un succès mérité,, et il ne sera pas lu ni médité sans fruit par quiconque voudra se faire une idée exacte de ce que fut une peuplade grecque peu nombreuse, qui, enclavée entre les territoires d'Athènes et de Corinthe, sut plus d'une fois combattre avec gloire ses redoutables voisins. Ramasser un grand nombre de matériaux , les placer dans le moindre espace possible, tirer de chacun d'eux les lumières qu'il renferme, comparer les relations de tous les voyageurs inodernes, embrasser par ordre et de suite l'ensemble des événemens de ce savant, on diroit qu'il prévoyoit l'impulsion que l'alliance de la géographie et de l'érudition donneroit un jour aux études philologiques. Voici le titre qu'il a donné à son commentaire : Nicolai Gerbelii in Græciæ Sophiani descriptionem explicatio, in qua docetur quer fructum quamque voluptatem allatura sit hæc pictura studiosis , si diligenter eam cum historicorum, poëtarum geographorumque scriptis contulerint. Cette carte, qui s'étend depuis le cap Tenare jusqu'au nord du Danube, a été reproduite dans le Trésor des antiquités grecques de Gronovius, à la tête du quatrième volume (Lugd. Batav. 1699, in-fol. ). ku Bibliothèque du Roi possède une grammaire de la langue grecque vulgaire, composée par le même Sophianus. Ce manuscrit, intéressant sous plus d'un rapport, n'a jamais été publié. 1 historiques, marquer les changemens successifs introduits par la marche des temps: voilà le but que M. Reinganum paroît s'être proposé et qu'il a presque toujours atteint. Au reste , l'Essai sur la Mégaride ne sera pas le seul travail propre à l'avancement de l'histoire et de la géographie ancienne , que l'on devra aux efforts de ce jeune philologue. Il fait espérer ('préface , pag. xiv.): que s'il est seconde par les circonstances, il pourra publier plus tard une suite de semblables monographies. Peut-être seroit-il à souhaiter que, se défiant moins de ses propres forces, il choisît alors pour sujet de ses studieuses recherches quelque ville hellénique plus importante ; distinguée nonseulement par son antiquité, mais aussi par une législation particulière , par quelque supériorité dans les arts ou par sa puissance politique. Nous soumettons cette idée à M. Reinganum lui-même ; mais qu'il l'adopte ou non, nous n'en desirons pas moins qu'il trouve dans les suffrages des gens éclairés et dans la faveur de son gouvernement des encouragemens ainsi que des moyens pour exécuter son utile entreprise. L'auteur , dans une courte préface ( pag. V-XIV), expose son plan. Après avoir indiqué, avec une scrupuleuse modestie , ceux de ses prédécesseurs dont les recherches lui ont été utiles, il cite sur-tour avec éloge le travail estimable de Blanchard, inséré dans les Mémoires de l'Académie des inscriptions et belles-lettres (1). Sans doute, M. Reinganum trouvoit beaucoup de matériaux réunis ; mais il seroit injuste de ne pas ajouter que son' érudition lui a perinis d'en augmenter le nombre. Thucydide , Aristophane, les orateurs attiques, Strabon, Plutarque, Pausanias, Athénée, les inscriptions nouvellement découvertes , les lexicographes et les scholiastes grecs lui ont fourni quelques notions neuves et précieuses ; et toutefois ces faits, ces passages , cités et discutés avec une exactitude rigoureuse, ne sont pour lui qu'un texte sommaire, tandis que les considérations de toute espèce auxquelles ils donnent lieu et qui en sont comme le commentaire, forment le corps principal et le fond même de son ouvrage. L'Essai sur la Mégaride est divisé en deux parties. Dans la première ( pag. 5-109 ) l'auteur décrit le territoire de cette républiqae, ses bourgades et les divers accidens de son sol hérissé de montagnes: après avoir discuté un grand nombre de points de géographie particulière, il réunit en peu de pages ce que les anciens nous ont (1) Recherches sur la ville de Mégare en Achaže, dans le tome XVI des Mémoires de l'Académie, p. 120-140. transmis sur l'histoire et sur le caractère politique et moral de ses habitans. C'est de cette première partie que nous devons d'abord entretenir nos lecteurs. La Mégaride, qui, malgré ses limites assez indécises, n'a jamais eu plus de onze lieues d'étendue sur six ou sept de largeur, forme un bassin s'ouvrant au sud-est vers la mer, et environné des trois autres côtés par de hautes montagnes. Les escarpemens rapides dų Cerata la séparent de la plaine d'Eleusis, et se lient eux-mêmes, par un défilé nommé aujourd'hui Diaskelos (ou Diaselos selon M. Reinganum, page 105), à la masse imposante du Cithéron. Celui-ci donne naissance à une branche qui se dirige au sud-ouest (ce sont maintenant les gorges de Candili), et se termine, à la vue de Corinthe et du port Lechæum, par le pic Geranium ( repaveia). Enfin le groupe isolé des monts Onéens, Tà Őveia opn, s'élevant entre la chaîne Géranienne et le golfe Saronique, encadre au couchant la plaine de Mégare; l'extrémité orientale de ce groupe projette sur la mer les rochers menaçans à qui le nom du brigand Sciron a donné depuis long-temps une triste célébrité. C'est d'après cet aperçu général de la géographie naturelle du pays que M. Reinganum a divisé en quatre sections la première partie de son livre. Il discute d'abord (pag. 13-35) la position des lieux mémorables qui se trouvoient entre les monts Onéens et la côte. La plaine de Mégare est décrite dans la seconde section; la troisième comprend les villes et les bourgades du canton de Cérata, et la quatrième est consacrée à la Géranée, c'est-à-dire, à la contrée montagneuse qui, dominant à l'ouest la plaine centrale, s'étendoit depuis les environs de Mégare jusqu'aux bords du golfe des Alcyons. Il n'est guère possible de suivre l'auteur dans les discussions par lesquelles il cherche à tracer l'existence souvent fugitive, la position incertaine de tant de villes qui couvroient la Mégaride à l'époque de sa splendeur; néanmoins, pour donner une idée du travail de M. Reinganum, nous indiquerons sommairement quelques-unes de ses investigations savantes, et nous soumettrons à ses lumières notre propre opinion, quand elle différera de la sienne. Après avoir quitté les murs presque entièrement renversés de (1) Tà Kégara, Diodore de Sicile, lib. x111, cap. 65, vol. V, p.338, edit, Argentorat. 1799, in-8.; Strabon, lib. IX, tom. 1, pag. 527, édit de Falconer; Plutarque, Vita Themist. cap. 13, part. 1, p. 217, édit. Coray. (2) Strabon, lib. VIII, tom. I, pag. 551; lib. 1x, p. 570; a "Oveα, Plutarque, Vita Cleomen. p. 20, part. V, p. 138. 1 politique et moral de ses que nous devons d'abord assez indécises, n'a jamais u sept de largeur, forme r, et environné des trois es escarpemens rapides du se lient eux-mêmes, par Diaselos selon M. ReinCithéron. Celui-ci donne d-ouest (ce sont mainteà la vue de Corinthe et du a). Enfin le groupe isolé re la chaîne Géranienne plaine de Mégare; l'exer les rochers menaçans. depuis long-temps une néral de la géographie é en quatre sections là d (pag. 13-35) la oient entre les monts écrite dans la seconde bourgades du canton Géranée, c'est-à-dire, est la plaine centrale, 'aux bords du golfe l'auteur dans les disce souvent fugitive, oient la Mégaride à r une idée du travail ment quelques-unes rons à ses lumières enne. ment renversés de vol. V, p.338, edit, g. $27, édit de Fal17, édit. Coray. 570; "Oreia, Plu par . P'Hexamili, qui, au sud du canal entrepris à différentes époques par Périandre, Démétrius Poliorcète, César, Caligula, Néron, et Hérodes Atticus, marquent l'endroit le plus resserré de l'isthme, le voyageur, longeant les bords du golfe Saronique, rencontre des ruines dans un lieu appelé aujourd'hui Léandra. M. Reinganum (pag. 18) croit y reconnoître l'ancien Crommyon, & Kpoμpiwv, й Kpwμpivwría; d'autres y ont cherché le port de Sidus, qui probablement se trouvoit plus à l'ouest, dans la direction de Corinthe. Suivant les poëtes dont Pausanias a recueilli les récits fabuleux, la laie Phæa, mère du sanglier de Calydon, et le brigand Sinnis, qui courboit des pins, furent élevés à Crommyon (1). Un peu plus loin, après le village moderne de Kinéta, la roche Moluride, Μολυρίδος πέτρα, Μολεριάς (appelée aussi Χελώνη Diodore de Sicile, lib. IV, chap. 59, vol. III, pag. 171, édit. Argent. 1799, in-8.), se penchant au-dessus de la mer, marque, d'après l'auteur (pag. 25), l'entrée du sentier dangereux connu aujourd'hui sous le nom de Kann oxáda. Ce fut du haut de ce rocher qu'Ino se précipita dans les flots pour fuir la colère d'Athamas, furieux «< depuis qu'il »savoit que la famine d'Orchomène et la mort de Phrixas, qu'il croyoit réelle, ne devoient point être attribuées aux dieux, mais » que tous ces malheurs provenoient des machinations d'Ino, belle mère de Phrixus (2).» Quant à la position de la Moluride, M. Reinganum la fixe, ainsi que nous venons de le dire, à-peu-près à l'extrémité occidentale des roches Scironiennes. Sans vouloir ni combattre ni défendre cette conjecture, qui semble autorisée par un passage de M. Dodwell (3), nous devons dire cependant que nous la croyons en contradiction avec le témoignage de Pausanias. Cet auteur, en décrivant la côte du golfe de Saron, suit évidemment la direction . " " T: E: (1) Pausanias, liv. ri, chap. 1: Ενταῦθα τραφῆναί φασι Φαιὰν, κατὰ τὰ ἔπη, 3. καὶ Θησέως ἐξ αὐτὴν ἐξν ἔργον. Toutefois le texte parait altéré dans l'édition de M. Clavier, vol. I, p. 326, et dans celle de M. Siebelis, vol. I, p. 205: pentêtre falloit-il conserver quatre mots fournis par plusieurs manuscrits de la Bibliothèque du Roi, et lire, ... Φαιὰν, κατὰ τὰ ἔπη, ὖν, ΚΑΙ ΤΟΝ ΛΕΓΟΜΕ NON ΠΙΤΥΟΚΑΜΠΤΗΝ· καὶ Θησέως ἐς αὐτὸν ἐςιν ἔργον. La phrase qui suit immédiatemeut apres, wesia ΓΑΡ Η ΠΊΤΥΣ ἄχρι τε ἐμοῦ ἐπεφύκει περὶ τὸν aipanov, semble rendre cette insertion nécessaire. (2) C'est ainsi que M. Clavier traduit le passage suivant de Pausanias, liv. 1, chap. 44, vol. I, p. 318: ws... χρήσαι το ακρατεῖ τῷ θυμῷ, τὸν συμβάντα Ορχομενίοις λιμὸν καὶ τὸν δοκοῦντα Φρίξει θάνατον αιθόμενος, ού το θεῖον αἴπον ὂν γενέσθαι; βιολεῦσαι δὲ ἐπὶ τούτοις πᾶσιν Ινώ μπουνάκ quoar. Le sens de ces phrases est clair; mais le texte grec seroit peut être mieux rédigé de cette manière... valor aidomeres, Off to crior:ainor O'r jeve days , ·T (3) A classical and topographical Tour through Greece, vol. II, p. 182. de l'est à l'ouest, et les mots, Τὴν μὲν δὴ Μολερίδα πέτραν.... τὰς δὲ ΜΕΤΑ ΤΑΥΤΗΝ [πέτρας] νομίζεσιν ἐναγεῖς, ὅτι παροικῶν σφίσιν ὁ Σκίρων κ. τ. λ. (lib. 1, ch. 44, vol. I, pag. 318), deviennent difficiles à comprendre si nous plaçons la Moluride près de l'endroit où le voyageur, allant de Mégare à Corinthe, quitte les roches Scironiennes pour descendre sur la plage unie où se trouvoient Crommyon et Sidus. Après avoir déterminé la position d'Alycon (uxov), du promontoire Minoa (Mivwa axpa) et des îles Méthurides, M. Reinganum consacre la seconde section de son livre (pag. 36-75) à la description de la plaine centrale. Il adopte la conjecture judicieuse de M. Pouqueville (1), qui place l'ancienne Érénée dans le voisinage de Condoura, et non auprès de l'endroit nommé aujourd'hui Palaochorio, à une heure de chemin au nord de Mégare, comme l'ont pensé divers voyageurs et plus d'un savant géographe. Les antiquités considérables et les inscriptions qui existent encore à Palæochorio, sont, suivant M. Reinganum, les restes de la ville de Rhus ( P, Plutarque, Vita Thesei, cap. 27, part. I, pag. 22, édit. Coray; Pausanias, liv. 1, chap. 41; vol. I, pag. 288). En effet, les passages que nous venons d'indiquer, rapprochés et expliqués habilement par l'auteur, donnent à son opinion la plus grande vraisemblance, et nous ne doutons pas qu'on ne découvre un jour à Palæochorio quelque monument qui la prouvera d'une manière incontestable. A la description topographique des environs de la ville de Mégare l'auteur a cru devoir joindre des considérations sur le sol peu fertile (λeos) (2) et les productions du pays, sur l'industrie, la puissance maritime, la situation politique et la culture d'esprit de ses habitans, enfin sur leur histoire et leur origine, qui se confond dans l'obscurité des temps héroïques. Réunie d'abord à l'Attique, la Mégaride n'en fut séparée, lors de la grande invasion dorienne, que pour retomber aussitôt sous le joug de Corinthe. Elle s'en affranchit au temps des Bacchiades et paroît depuis comme république autonome; mais si quelque habileté présida à sa première organisation, que M. Reinganum croit avoir été aristocratique, bientôt après on voit naître dans ce petit état, à peine constitué, les germes d'une anarchie telle que la (1) Voyage dans la Grèce, édit. de 1820, tom. IV, p. 134— (2) 'Ev... λεηλογείοις, οἷον ἐπὶ Φαλύκῳ τῆς Μεγαρίδος· Théophraste, Histor. plant. lib. II, cap. 9, tom. I, p. 64, edit. Schneider. M. Reinganum (p. 33) pense que ce Phalycon n'est autre chose que la ville d'Alycon, dont nous avons parlé plus haut, |