moment favorable. Avec une bienveillance feinte, Lucullus dans la Celtibérie, et Servius Galba dans la Lusitanie, offrirent des terres fertiles à ces Espagnols, qu'ils ne pouvaient dompter; puis, lorsqu'ils les virent établis et pleins de sécurité, ils les massacrérent. Galba se fit gloire d'en avoir égorgé trente mille. Comme on peut le croire, la vengeance ne se fit pas attendre : aussi en vint-on à redouter tellement de faire une campagne dans la Péninsule, que les tribuns du peuple demandaient l'exemption de leurs protégés; et, s'ils ne l'obtenaient pas, ils les mettaient en prison pour les soustraire au péril. Le consul Fulvius essuya une telle défaite en combattant contre Carus, que ce jour en resta néfaste comme celui de la bataille de Cannes. Cependant Caton et Sempronius Gracchus, à la suite d'une longue guerre dans l'Espagne citérieure (Castille et Aragon), et en attaquant les Celtibères dans leurs montagnes, accablèrent tout ce qui était entre l'Èbre et les Pyrénées. Ils se vantèrent d'avoir pris, l'un quatre cents villes, l'autre trois cents. Dans l'Espagne ultérieure, P. Cornélius Scipion, Posthumus, et d'autres encore, soumirent les Lusitaniens, les Turdétans, les Vaccéens (Portugal, Léon, Andalousie), et les Romains purent s'enorgueillir d'avoir subjugué toute la Péninsule. Mais une domination de fer ne permettait pas que la paix y durât longtemps. Les Romains considéraient l'Espagne comme celle-ci, des siècles plus tard, considéra l'Amérique, c'est-àdire, comme un pays d'où il s'agissait de tirer le plus d'or possible. Le triomphe qui les flattait surtout était celui du général qui rapportait le plus de ce métal en barres. Ce n'était pas assez. Des proconsuls, envoyés dans cette province pour y contenir ces lions enchaînés, mais non domptés, y assouvissaient leur propre avarice en exerçant le monopole des blés et en affamant le pays. Les vaincus trouvèrent un vengeur dans le Lusitanien Viriathe. La garde des troupeaux et la chasse avaient fait de lui un excellent chef de bandes. Il connaissait tous les passages, la moindre haie, le plus petit fossé; un instant lui suffisait pour réunir sa troupe, qu'il dispersait aussi rapidement. A peine venait-il d'escarmoucher contre l'ennemi au fond de la vallée, qu'on le voyait le provoquer par des insultes du haut de quelque montagne. Secondé par les peuples de l'Espagne citérieure, surtout par les Numantins, il porta ses vues plus haut qu'on n'aurait pu l'attendre d'un chef de partisans, et se proposa de confédérer les 131. 183-179. 195-178. Viriathe. 145. té inattendu lui concilia l'Espagne tarragonaise, qui s'ema de faire sa soumission. Mais, au milieu de ses triomphes, prit qu'il était rappelé, et qu'on lui donnait pour successeur tus Pompée, homme obscur et son ennemi particulier. Loin ir la générosité de sacrifier son ressentiment à l'intérêt puil chercha à décourager l'armée, en laissant s'épuiser les sins, mourir les éléphants, et en faisant briser jusqu'aux §. Il restait cependant encore un noyau d'armée redoutable, mpée n'eût compromis l'état des choses par sa témérité; rte que Viriathe parvint à enfermer le proconsul Fabius Serus. Il aurait pu passer ses légions au fil de l'épée ; mais il ntenta de lui offrir la paix, à la seule condition que les Ros, gardant le reste de l'Espagne, le reconnaîtraient maître du sur lequel il dominait. Le sénat confirma le traité, et the acquit ainsi ce qu'il désirait, un royaume indépendant lépens de la république romaine. pouvait devenir le Romulus de l'Espagne; mais Servilius on, consul sans considération, sollicita de Rome la permisde violer la paix: il l'obtint, et, voyant qu'il ne réussissait à l'aide d'une foule de petits griefs mis en avant, à pousser the à une rupture, il lui déclara ouvertement la guerre, sans ni prétexte, et ravagea le pays. Après des chances diverViriathe se trouva forcé de demander la paix. Cépion exide lui qu'il livrât ceux qui avaient excité certaines villes à volte, il se soumit à cette lâche obligation, bien que son père fût du nombre, et souffrit qu'on leur tranchât la main ; mais, quand le consul, devenu plus audacieux, prétendit désarmât ses troupes, Viriathe, retrouvant son mâle courrecommença les hostilités. Comme il ne désespérait pouras d'obtenir la paix, il ne cessait d'envoyer au consul des officiers chargés de s'entendre avec lui. Cépion en corrompit quel. ques-uns, qui assassinèrent le vaillant Lusitanien. Ils revinrent au camp romain pour y réclamer leur salaire ; mais le consul leur répondit que les généraux de Rome étaient peu disposés à récompenser les assassins de leur propre général; que tout ce qu'il pouvait faire pour eux, c'était de leur accorder la vie sauve. Le sénat, de son côté, refusa les honneurs du triomphe à l'infâme Cépion. La mort de ce grand capitaine, redouté de l'ennemi et respecté des siens, fit cesser l'accord entre les deux Espagnes, et la Lusitanie se résigna au joug. La résistance de Numance n'en devint que plus acharnée. Cette ville, protégée de trois côtés par les montagnes, était assise au midi de la rivière du Ter, au centre du pays des Arévaques, et non loin des sources du Douro. Là, protégés par deux fleuves, par des bois épais et par de profondes vallées, les assiégés, auxquels s'étaient joints les restes des partisans de Viriathe, soutinrent une lutte généreuse, bien qu'ils fussent à peine huit mille guerriers. Les redoutables légionnaires eux-mêmes tremblaient au nom des Numantins plus qu'à celui d'Annibal et de Philopomen. Pompée se trouva contraint de traiter avec eux, mais les conventions furent violées par son successeur. Le consul Mancinus les vit, au nombre de quatre mille, lui tuer vingt mille soldats, et, pris au milieu d'eux, il n'échappa au péril qu'en se livrant lui et son armée à leur merci. Ils ne se montraient pas moins généreux dans les négociations que vaillants dans l'action. Le questeur Sempronius Gracchus étant entré dans la ville pour réclamer des registres qui lui avaient été enlevés dans le pillage du camp, non-seulement ils les lui rendirent, mais ils le comblèrent d'honneurs, et lui offrirent de prendre ce qui serait à sa convenance dans le butin: il ne voulut accepter qu'une petite mesure d'encens à brûler sur l'autel des dieux. Rome, au contraire, se montrait perfide dans les traités, repoussait les ambassadeurs numantins, et, comme dans la guerre contre les Samnites, faisait conduire aux portes de Numance le consul Mancinus enchaîné. Les Numantins, à l'exemple de Pontius, refusèrent de le recevoir, à moins qu'il ne leur fût remis, conformément au traité, avec son armée entière. La guerre s'étant donc rallumée, la famine obligea M. Émilius Lépidus de lever le siége de Numance. Les consuls Fulvius et Calpurnius Pison ne furent pas plus heureux, et les tribus de Rome s'écrièrent unanimement que la petite cité espagnole 140. Numance. 137. 136. Pergame. ne pourrait être domptée que par le vainqueur de Carthage. Scipion fut donc de nouveau élu consul, contrairement à une loi récente. Comme on ne lui permit pas de lever de nouvelles troupes, il arma cinq cents volontaires à cheval, qu'il appela la Cohorte de ses amis, et environ cinq mille hommes que lui fournirent différentes villes de l'Italie. Il rejoignit l'armée avec ces forces, et, grâce à la confiance inspirée par ses victoires précédentes, à une discipline sévère qui occupait le soldat à des travaux continuels, ce tacticien habile parvint à entourer Numance d'une circonvallation. Refusant le combat qui lui fut maintes fois offert dans des sorties désespérées, repoussait de même toutes les propositions pour la reddition de la ville. Rhétogène Caraunius, s'étant ouvert le passage de vive force, courut tout le pays des Arévaques pour obtenir des secours et pour exciter des soulèvements; mais la crainte avait glacé les cœurs. La seule Lutia, où il trouva un accueil favorable, fut surprise par Scipion et obligée de lui livrer quatre cents citoyens, auxquels le héros fit couper les mains avec la même cruauté qu'il avait montrée à Carthage, en faisant déchirer par des lions les déserteurs italiens. Les Numantins furent réduits par la famine à une telle extrémité, qu'après avoir dévoré les animaux et les objets les plus immondes, ils en étaient venus à se manger entre eux; ils finirent par mettre le feu à la ville, et par se tuer les uns les autres. Le vainqueur n'en put sauver que cinquante pour orner son triomphe, que signalait l'absence de toutes dépouilles. La petite cité tomba plus glorieusement que Carthage et Corinthe. Aussi le souvenir de sa résistance vécut-il au cœur des Espagnols, qui, seuls parmi les peuples des provinces romaines, prouvèrent encore, même après leur défaite, qu'ils avaient des bras et du cœur. Une conquête plus facile que celle de l'Espagne, mais non moins importante, fut celle du royaume de Pergame. Les anciens distinguaient la grande et la petite Mysie; la première confinant à la Phrygie et à la mer Égée; la seconde, s'étendant de la Propontide au mont Olympe. Cyzique, bâtie dans une île de la Propontide qu'Alexandre avait réunie au continent, avait été surnommée la Rome de l'Asie; on admirait son port, ses murailles, ses tours, son temple principal surtout; elle était habitée par une population pacifique et efféminée, et appartenait à la petite Mysie, ainsi que Parios, que l'on croit la patrie d'Archiloque, et Lampsaque, qui révérait Cybèle et Priape, divinités dont le culte était une école de turpitudes. Alexandre, que révoltaient ces mœurs infâmes, avait résolu de détruire la ville. Quand il vit des ambassadeurs venir vers lui en suppliants, il jura de ne pas faire ce qu'ils demanderaient. Alors Anaximène, chef de la députation, le pria de raser la ville; ce qui obligea Alexandre de l'épargner, pour ne pas violer son serment. La principale cité de la grande Mysie était Pergame, sur les rives du Caïque; elle fut la patrie du médecin Galien; elle était célèbre par ses fabriques de riches tapis, et par celles où l'on préparait le parchemin, dont on fit usage, pour la première fois, lorsque Ptolémée défendit l'exportation du papyrus; et dès lors il servit à copier les meilleurs ouvrages de l'antiquité, qui, au nombre de cent mille volumes, ornaient la bibliothèque royale. Durant les guerres entre Séleucus et Lysimaque, Pergame devint la capitale d'un royaume que constitua l'eunuque paphlagonièn Philétère, qui de trésorier de Lysimaque se fit prince et se maintint vingt années. Eumène Ier, son frère ou son neveu, lui ayant succédé, profita des divisions des Séleucides pour accroître ses domaines en Asie, et s'en assura` la conquête par une victoire signalée sur Antiochus. Après lui, Attale Ier commença par repousser glorieusement les Gaulois; il prit alors le titre de roi, et devint l'allié d'Antiochus III; il fit avec lui la guerre aux Achéens, puis s'unit aux Etoliens contre Philippe de Macédoine. Il se concilia ainsi l'amitié des Romains, dont il accueillit magnifiquement les ambassadeurs lorsqu'ils vinrent lui demander le simulacre de la grande déesse, comme une sauvegarde contre Annibal. D'un caractère généreux, d'un esprit droit, son activité prodigieuse lui rendait tout facile. Lors de la seconde guerre macédonique, il commandait la flotte de Rhodes, et il empêcha Philippe d'assiéger Athènes, qui, en reconnaissance de ce service, donna le nom d'Attale à une de ses tribus. Il mourut, à l'âge de quatre-vingt-deux ans, des efforts qu'il fit en haranguant les Béotiens, pour les déterminer à prendre parti pour Rome. Il aimait et protégeait les lettres, il écrivait même ; et la faveur que ses prédécesseurs et lui accordèrent à l'industrie, aux sciences et à l'architecture, mit le royaume de Pergame en état de rivaliser avec d'autres beaucoup plus vastes. 283-263. 241. 211. 198. Eumène II, son fils et son successeur, se montra digne de lui. Il Eumène II. favorisa ouvertement les Romains, en surveillant tous les mou vements d'Antiochus le Grand, et en les secondant dans leurs |