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gurtha, lui accordèrent la paix à de larges conditions; et le sénat, par égard pour Scaurus ou par complicité, y donna son assentiment.

Restait la redoutable clameur populaire. Le tribun Memmius tonne avec énergie contre la corruption effrontée des patriciens, et fait ordonner à Jugurtha de venir se justifier à Rome. Connaissant désormais les armes dont il doit faire usage, le Numide n'hésite pas à se présenter. Memmius lui enjoint, devant ses juges, de nommer ceux qu'il a achetés à prix d'argent; mais l'autre tribun, C. Bébius, qu'il a gagné, lui ordonne de se taire. Bien plus, comme Massiva, parent d'Adherbal, demandait hautement vengeance de la mort de ce prince, le roi numide le fait assassiner au milieu de la cité; puis il part, et, jetant sur Rome un dernier regard, il s'écrie: Ville vénale, il ne te manque qu'un acheteur!

On reprend alors les hostilités; mais la guerre ne marche qu'avec lenteur sous le consul Albinus et sous son frère Aulus: le premier est exilé pour corruption, avec Calpurnius Bestia, Lucius Opimius et plusieurs autres. Aulus ne se tire des mains de Jugurtha qu'en passant sous le joug avec son armée.

Un pareil outrage demandait vengeance. Le sénat confia l'armée d'Afrique à Q. Cécilius Métellus, qui, inaccessible a l'or comme à la pitié, fit à Jugurtha une guerre d'extermination: employant contre lui les mêmes armes, et corrompant ceux qui l'entouraient, il le poussa jusqu'aux limites du grand désert. Là, le Numide inplore la paix. Il lui est enjoint de donner vingt mille livres d'argent, tous ses éléphants, une quantité déterminée de chevaux et d'armes, et de livrer tous les déserteurs, qui sont, au nombre de trois mille, passés au fil de l'épée, brûlés vifs ou mutilés (1). Mais quand il apprend qu'il doit se rendre lui-même près du proconsul, Jugurtha s'écrie: Un sceptre est moins lourd que des chaînes; et il recommence la guerre, discipline les Gétules, et soutient contre les Romains Bocchus, son gendre, roi de Mauritanie.

Métellus eut à s'applaudir d'avoir dans cette campagne Marius pour lieutenant; mais celui-ci, au lieu de rapporter au général le mérite de ses exploits, s'efforça de le supplanter, en l'accusant à Rome de traîner en longueur une guerre que l'on pouvait finir d'un seul coup. Les chevaliers, dont ces hostilités prolongées interrompaient le commerce, et qui s'en irritaient, favorisèrent Marius; il fut appuyé par le bas peuple, que le premier il enrôla dans la milice, par suite de la diminution du nombre des propriétaires, et

(1) OROSE, V, 3.

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qu'il flattait par ses sorties contre l'antique noblesse déshonorée par ses actes, tandis que des hommes nouveaux s'élevaient par leurs propres mérites.

Marius obtient donc le consulat qu'il a demandé, et se met à la tête de l'armée de Numidie; il prend Capsa, dont il passe les habitants au fil de l'épée, quoiqu'il leur eût promis la vie sauve, et poursuit, devancé par la terreur, le cours de ses victoires. Elles jettent le découragement dans l'âme de Bocchus, roi de Mauritanie, qui se décide à abandonner Jugurtha et à demander l'amitié des Romains; elle lui est promise à la condition qu'il prouvera son repentir par ses services: il s'agissait de trahir son hôte et son beau-père. Après avoir longtemps balancé (1), il le livra à Sylla, qui l'envoya à Rome.

Les citoyens coururent avec une curiosité avide pour contempler ce Jugurtha qui aurait perpétué la guerre, tant il savait varier ses ressources, unir la ruse au courage. Marius le traîna derrière son char. Ses frémissements en se voyant enchaîné et livré en spectacle à une foule insolente firent dire aux Romains qu'il était tombé en démence. Il fut ensuite dépouillé dans la prison; et les licteurs lui arrachèrent le bout des oreilles, pour lui enlever plus vite les anneaux d'or qu'il portait. De là, jeté nu dans un cachot humide, il ne prononça que ces mots : Que vos étuves sont froides! Il y lutta six jours contre la faim.

La Numidie fut partagée entre l'infâme Bocchus et les deux petits-fils de Massinissa, Hiempsal et Iarbas; Rome n'ayant gardé que la partie qui confinait à la province d'Afrique.

Marius avait rapporté d'Afrique trois mille six cents livres d'or en barres, cinq mille sept cent soixante-quinze d'argent, et vingthuit mille sept cents drachmes en argent monnayé. Ce triomphe lui fit beaucoup d'envieux; les nobles voyaient avec dépit cet homme nouveau qui les traitait rudement, enrôlait le bas peuple sous ses drapeaux, et mettait l'éclat des actions au-dessus d'une naissance illustre. Les partisans de la cause populaire relevèrent la tête; ils obtinrent que l'élection des pontifes, sur la proposition des tribuns, serait transférée au peuple; il fut statué, en outre, qu'un sénateur dégradé par un plébiscite ne pourrait plus être réintégré ; que tout allié latin, ayant accusé un sénateur et prouvé sa culpabilité, acquerrait la plénitude des droits de cité; enfin, il

(1) Remotis ceteris, diçitur secum ipse multa agitavisse, vultu, colore ac motu corporis pariter atque animo varius ; quæ scilicet, tacente ipso, occulta pectoris, oris immutatione patefecit. SALLUSTE.

fut de nouveau question de la loi agraire. Bientôt un nouveau danger, l'invasion des peuples septentrionaux, appela tous les regards sur le vainqueur de Jugurtha.

La plus forte des hordes cimbres restées au delà du Rhin, Les Cimbres. comme nous l'avons dit précédemment (1), était établie sur le rivage de l'Océan septentrional, dans la péninsule cimbrique, à peu de distance des Teutons de la Baltique. Refoulés par une irruption terrible de la mer, les Cimbres descendirent, au nombre de trois cent mille guerriers, jusqu'au Danube, qu'ils passèrent; ils se jetèrent sur le Noricum, et assiégèrent Noreia, clef de l'Italie du côté des Alpes tridentines. Le consul Papirius Carbon, envoyé contre eux, fut vaincu; et les barbares dévastèrent toute la contrée, du Danube à l'Adriatique, des Alpes aux montagnes de la Thrace et de la Macédoine; puis, chargés de butin, ils s'enfoncèrent, au bout de trois ans, dans les vallées des Alpes helvétiques (2).

A la vue de ces riches dépouilles, les six tribus de Gaulois établies dans la contrée sentirent leur cupidité s'éveiller, et elles se précipitèrent avec eux sur la Gaule centrale; puis, après l'avoir ravagée, sur la nouvelle province romaine. Les barbares remportèrent une victoire signalée près du lac Léman, sur le consul Cassius, qui fut tué; les légions n'échappèrent à la destruction totale qu'à des conditions honteuses. Le consul Q. Servilius Cépion s'avança à son tour pour conjurer le danger, et reprit Toulouse, qu'il saccagea. Il y trouva les immenses richesses que les Tectosages avaient rapportées de leurs anciens pillages, notamment de celui de Delphes. Il dirigea ces trésors sur Rome; mais il aposta sur la route une bande de gens à lui, qui, se donnant pour des brigands de profession, les enlevèrent pour son propre compte. Telle était la loyauté de certains généraux.

Sur ces entrefaites parurent de nouvelles hordes de Gaulois; Cépion et Manlius, qui était venu à son secours, furent battus si complétement, que ce fut à grand'peine si les deux généraux et dix chevaliers purent se sauver. Les barbares, en exécution d'un vœu qu'ils avaient fait, anéantirent tout le butin: l'or, l'argent, les chevaux furent jetés dans le Rhône, et les prisonniers égorgés.

(1) Voy. t. II.

(2) AMÉDÉE THIERRY, Histoire des Gaulois. — Bellum Cimbricum, par J. MULLER; Zurich, 1772.

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Les Romains se rappellent alors la journée de l'Allia, et le Capitole assiégé par les Gaulois et les Cimbres; on consulte, avec un effroi superstitieux, un certain Batabate qui faisait le métier de prophète; on élève un temple à la bonne déesse; tout citoyen est appelé sous les armes, et tous voient un Çamille dans le général que la Numidie vient de leur renvoyer triomphant.

Le consulat fut donc, en violation des lois, prorogé à Marius, qui le garda quatre ans. Il se mit en marche vers la Provence avec des troupes fraîches. Les circonstances exigeaient plus d'habileté que de valeur; mais Marius eut recours à un moyen aussi grossier que lui-même. Il se fit envoyer, par sa femme, une espèce de devineresse, native de Syrie, nommée Marthe; celle-ci eut mission d'annoncer ou d'approuver ce qui entrait dans les vues de Marius. Il habitua, du reste, les soldats qu'il venait de lever, à la discipline la plus sévère et à la fatigue, en leur faisant exécuter des travaux très-pénibles : ainsi il leur fit creuser un canal appelé fossa mariana, qui facilitait les communications avec la mer, et permettait aux navires d'éviter l'embouchure du Rhône, barrée par les sables.

Une division des Cimbres s'était dirigée vers les Pyrénées; mais, trouvant une résistance obstinée de la part des Celtibères et du préteur Marcus Fulvius, elle revint vers l'Italie par l'Helvétie et le Noricum, tandis que les Teutons s'avançaient à travers les Alpes maritimes. Ces barbares, à la stature gigantesque, au regard farouche, aux armures bizarres, étaient d'un aspect formidable. Leur roi Teutobocus, qui franchissait d'un saut quatre et même six chevaux de front, défia à haute voix Marius en combat singulier. Le consul lui répondit : Si tu es las de vivre, va te pendre. La jeunesse romaine frémissait à ces défis; elle s'indignait en entendant les Teutons, défilant devant ses retranchements, lui crier Nous allons trouver vos femmes; que voulez-vous que nous leur disions de votre part? Marius modérait l'impatience de ses soldats; mais quand il les vit animés au dernier point par cette longue attente d'une bataille, il les conduisit contre l'enBataille d'Aix. nemi, qu'il défit entièrement près d'Aqua Sextiæ. Les femmes des Teutons, accoutumées à suivre leurs maris à la guerre pour exciter leur courage, prirent les armes, et empêchèrent les Romains de pénétrer dans leur camp. Il fallut qu'une nouvelle défaite portât à près de trois cent mille le nombre des Teutons tués ou faits prisonniers. La vallée fut engraissée de leurs cadavres, et le village de Pourrières rappelle encore aujourd'hui le nom de

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Champs de la putréfaction donné à la plaine ( Campi putridi). Là on éleva à Marius une pyramide, qu'on voyait encore il y a quatre siècles, et un temple à la Victoire, remplacé par une église à sainte Victoire, où les fidèles se rendirent annuellement en procession jusqu'à la révolution française.

Cependant les Cimbres traversaient les Alpes, en se laissant glisser presque nus sur leurs boucliers au milieu des glaces. Descendus par le Tyrol dans la vallée de l'Adige, ils épouvantèrent à tel point l'armée du consul Catulus, que beaucoup de ses soldats prirent la fuite, pour ne s'arrêter qu'à Rome. De ce nombre fut le fils d'Émilius Scaurus, qui se tua quand son père lui eut fait dire de ne plus paraître en sa présence.

Si les Cimbres vainqueurs eussent continué leur marche sur Rome, elle eût couru le plus grand danger. Mais comme ils avaient donné rendez-vous aux Teutons sur les bords du Pô, ils s'y arrêtèrent pour les attendre. Les délices d'un beau ciel, le vin, le pain, la viande cuite, énervèrent leur nature brutale; au lieu des Teutons, venait Marius avec une armée enhardie par la victoire. Les Cimbres lui ayant envoyé des députés chargés de lui dire qu'ils tomberaient sur Rome si l'on ne leur donnait des terres pour eux et pour leurs frères les Teutons: Laissez là vos frères, répondit-il, ils ont des terres : nous leur en avons donné qu'ils garderont éternellement. Boiorix, leur roi, vint lui-même au camp romain pour s'assurer que les Teutons étaient défaits, en se faisant montrer leurs prisonniers, et pour que Marius eût à choisir le lieu et le jour du formidable duel. Le rendez-vous fut donné pour la fin de juillet dans une plaine près de Verceil, où les Cimbres ne pouvaient déployer toutes leurs forces. La discipline et l'habileté avec laquelle Marius sut tirer avantage du soleil et du vent, déterminèrent la victoire en sa faveur.

Les femmes cimbres, retranchées dans le camp, se revêtirent d'habits de deuil; elles demandèrent d'abord qu'on respectat leur pudeur, et qu'on les donnât pour esclaves aux vierges, prêtresses du feu. Quand elles virent leur juste demande repoussée, elles donnèrent la mort à leurs enfants, puis elles se tuèrent ellesmêmes en se pendant aux cornes des bœufs. Elles laissèrent leurs cadavres sous la garde des chiens de la horde, qu'on ne put en éloigner qu'en les exterminant à coups de flèches.

On dit que cent vingt mille Cimbres périrent dans cette bataille, et trois cents Romains seulement. Bien que le consul Catulus en eût eu le principal mérite, la faveur populaire attribua à Marius

Bataille de Verceil. 30 juillet 101.

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