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plaisance et de jardins magnifiques, avec de vastes viviers peuplés de poissons exquis. Il sacrifia au goût de son siècle, en écrivant des vers licencieux. Il épousa le parti de Sylla, et de bonne foi, à ce qu'il paraît; car jamais il ne seconda ceux qui, en détruisant les lois de ce dictateur, se frayaient le chemin au pouvoir suprême. On le vit donc s'opposer à Pompée quand il rétablit les tribuns, et lorsqu'il demandait des commissions extraordinaires. Il fit condamner Opimius à sa sortie du tribunat, et s'associa à Cicéron pour défendre Rabirius et pour réprimer Catilina et Clodius; il différa pourtant d'avis avec lui dans maintes circonstances, car il n'aimait pas Pompée; et il défendit Verrès, ce dont nous ne saurions l'excuser. Ce qui l'honore surtout à nos yeux, c'est d'être resté l'ami de Cicéron, bien qu'appartenant à un autre parti; de l'avoir désigné pour les fonctions d'augure, puis de s'être mis à la tête des chevaliers pour le protéger lorsqu'il fut appelé en jugement.

Il serait impossible de porter un jugement sain sur ces orateurs d'après les fragments et même d'après les discours entiers qui nous restent d'eux; car lorsqu'ils mettaient leurs idées par écrit, il y manquait souvent cette régularité, ce fini qui satisfait la réflexion. Mais quand, s'emparant de leur sujet, ils s'abandonnaient à l'improvisation, et à cette ardeur de sentiment qui n'appartient qu'à la parole instantanée, alors ils saisissaient puissamment l'imagination, et entraînaient à leur gré leurs auditeurs.

<< Cicéron (dit A per dans le Dialogue des orateurs, qu'on attribue à Tacite) sentit le premier la nécessité de parer le discours, de mettre de la recherche dans l'expression et de l'art dans les combinaisons harmonieuses de la phrase. Il hasarda, le premier, de ces morceaux d'éclat, de ces traits frappants, surtout dans les discours qu'il fit dans un âge plus avancé et sur la fin de sa carrière, c'està-dire à l'époque où il avait perfectionné son talent, et où l'expérience l'avait instruit du genre d'éloquence qu'on devait préferer. Car ses premiers discours se ressentent des défauts du vieux temps; il est lent dans ses exordes, diffus dans ses narrations; ses digressions ne finissent point; il a de la peine à se mettre en mouvement, et ne s'échauffe que de loin en loin. Rarement ses phrases se terminent d'une manière piquante et par un trait de lumière. Il ne s'y trouve rien qu'on puisse détacher, qu'on puisse citer. C'est un édifice inachevé dont les murs, solides il est vrai, n'ont encore ni lustre ni poli. Pour moi, je me figure l'orateur comme un père de

famille opulent et honorable, qui ne se contente pas d'une demeure à l'abri des intempéries de l'air, mais qui cherche encore à charmer et à récréer la vue; qui, abondamment pourvu de tout ce qui rend la vie commode, se permet encore du luxe, de l'or, des pierreries, de ces choses qu'on se plaît à manier et à considérer plus d'une fois; qui écarte du regard tout ce qui a perdu de son lustre et de sa fraîcheur. Je veux de même que l'orateur ne se permette aucune de ces expressions entachées de la rouille du temps, aucune de ses phrases d'une structure pesante et embarrassée, telle qu'en offrent nos vieilles chroniques. Je veux qu'il évite la basse et insipide bouffonnerie, qu'il varie son rhythme, et que toutes ses périodes ne tombent pas d'une manière uniforme. >>

Et cependant l'éloquence politique n'était pas à Rome, comme on le croirait au premier aspect, la principale ni la plus étudiée : Cicéron lui-même nous apprend qu'elle n'était qu'un jeu, comparée à l'éloquence judiciaire. Ils'agissait en effet, pour cette dernière, de vaincre l'inflexible rigueur de la forme et le texte littéral des lois; les passions politiques s'y mêlaient la pâleur de l'accusé, les gémissements de la famille, les supplications des clients, excitaient la compassion. C'était avec un vif intérêt qu'on observait comment l'orateur saurait faire prévaloir sur tout cela la justice, ou sa propre opinion. L'art de l'avocat ne se réduisait pas en effet, comme cela devrait être, à rechercher ce qui est juste et à le deman-der, mais à faire paraître tel ce qui ne l'est pas, à répandre le fiel et le sarcasme sur des choses innocentes, à mélanger un récit vrai de mensonges et de calomnies: il fallait savoir soutenir par l'ironie ce qui ne pouvait l'être par la raison; affecter de la gravité et de la moralité au moment d'émettre des principes immoraux ; répandre la raillerie au point que l'auditoire restat convaincu que celui qui appelait à ce point le ridicule ne pouvait qu'avoir tort; soulever enfin toutes les passions basses, la vanité, la peur, l'intérêt, l'envie. C'étaient là les moyens de l'éloquence antique, tels qu'on peut les voir analysés avec complaisance dans Cicéron.

Trouver des arguments devait donc être un art spécial, dans un temps où l'éloquence ne visait pas tant à éclaircir la vérité qu'à faire triompher un parti, une cause, un homme. Déjà Aristote avait indiqué les lieux communs d'où l'on pouvait déduire des raisons; et Tullius en fit, pour servir aux jeunes gens qui se livraient à l'étude du droit, l'exposition détaillée qu'il adressa au jurisconsulte Trébatius.

Il existe, sur le même sujet, un livre de rhétorique dédié à Hé

Topiques.

Philosophie

romaine.

rennius, attribué par quelques-uns à Cicéron, et par d'autres à Cornificius; c'est un ouvrage clair et familier, autant qu'utile et châtié.

Nous nous arrêtons ici,en réservant, pour le livre suivant, nos observations sur le déclin de l'éloquence, commencé par les faiseurs de préceptes et consommé par le renversement de la constitution.

Uniquement absorbés par l'action et les conquêtes, les Romains ne connurent la philosophie que lorsque les Grecs l'eurent introduite chez eux : cette assertion, comme tant d'autres que l'histoire a adoptées, ne résiste point à un examen sérieux, et elle est démentie par les faits. Nous ignorons quelle philosophie enseignaient les Etrusques; mais c'est de leurs doctrines et de celles de Pythagore que devait se composer la philosophie primitive des Latins. Elle fut recueillie dans un grand nombre d'ouvrages; qui tous ont été perdus, parce que les Romains, éblouis plus tard par l'éclat des sciences de la Grèce, négligèrent de conserver les doctrines nationales, ou les confondirent avec celles d'Épicure ou des stoïciens. Cependant on a essayé de les déduire de deux sources : la langue et la jurisprudence. Vico, le premier dans son ouvrage Antiquissima sapien a degl' Italiani, observant la formation toute philosophique des vocables latins, en conclut que les anciens Italiens devaient être de profonds penseurs, et se proposa de tirer des éléments du langage et de la structure des phrases le système de la métaphysique, de la physique et de la morale du peuple qui exprimait ainsi les idées. Il a borné son travail à la métaphysique et il a montré que, selon les Latins primitifs, le vrai et le fait étaient une seule et même chose. Dieu connaissait les choses physiques, l'homme les choses mathématiques, ce qui était contraire aux dogmatiques, qui prétendaient tout savoir, et aux sceptiques qui doutaient de tout. Dieu était le vrai parfait ; à lui sont connus les éléments intrinsèques et extrinsèques des choses; tandis que l'homme ne procède, dans son intelligence, que par division, et emprunte de la science les idées de l'être et de l'un. Dans l'âme de l'homme préside l'esprit, dans son esprit l'intelligence, et dans l'intelligence Dieu. Ce Dieu veut lorsqu'il fait, et il fait selon l'ordre éternel des choses, sans qu'il y ait en rien fortune ou hasard.

La méthode de Vico peut paraître incertaine et conjecturale; mais nous l'admettons, nous qui supposons que les premières révélations du Créateur sont déposées dans le langage, et qu'elles sont aussi nécessaires à la clarté de l'esprit qu'au développement de

la raison. Et puisque les langues sont l'œuvre du peuple et non des philosophes, elles attestent non tel ou tel degré de savoir, mais la vérité du sens commun; et il est impossible de distinguer ce qu'un peuple y a mis du sien de ce qu'il a reçu de la tradition. La jurisprudence peut offrir des preuves plus solides; mais, sans parler de la fable des Douze Tables, on se trompe en croyant n'y voir que l'inspiration stoïcienne, puisqu'on y trouve des préceptes opposés à cette secte, et que, d'un autre côté, cette jurisprudence est fondée sur des principes antérieurs que les décemvirs se sont bornés à recueillir. D'après ces principes, l'homme est donc un être essentiellement raisonnable et libre, et la personne est l'homme dans son état propre. L'état de l'homme est ou naturel ou civil, d'où il suit que l'esclave est un homme et non une personne (1). La liberté de l'homme consiste dans la faculté de faire ce à quoi ne s'opposent ni la force ni le droit ; il ne peut l'aliéner. Le droit civil admettait l'esclavage, et l'esclave était d'un ordre inférieur, minor capitis (2). Tandis que la faiblesse est l'apanage de la femme, la dignité appartient à l'homme, seul capable d'exercer le pouvoir et les emplois. Le fils naît d'un mariage légitime, ce qui condamne l'adultère, l'inceste et le concubinage. On considérait comme chose tout ce qui pouvait être computé dans la possession, les droits compris. Le droit n'était donc pas matériel, mais un par excellence, indivisible, inalienable et survivant à l'objet auquel il s'appliquait. Il ne pouvait se perdre que par la volonté et le consentement. Les jurisconsultes mettaient aussi le plus grand soin à définir nettement le sens des mots et à bien préciser les formules et les grands maîtres se révélaient dans les preuves et les présomptions.

Ce n'est donc pas, comme en Grèce et à Alexandrie, une philosophie d'école que nous avons sous les yeux; elle est toute pratique, tendant à la science de la vie, mode auquel les avait déjà habitués Pythagore, et que les gens de bien ne devaient jamais oublier.

Ce ne fut que plus tard que s'introduisit la science étrangère, et philosophle. c'est à l'histoire de la philosophie que se rattache l'histoire des autres ouvrages de Cicéron, qui ne créa rien, mais reprit tout en sous-œuvre et embellit tout.

(1) La personne se définit : Homo cum statu quodam consideratus, et par statu, il faut entendre qualitas cujus ratione homines diverso jure utuntur. (2) Voyez livre V, chap. 4.

T. IV.

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Ce qu'il y avait d'original dans le principe philosophique ne tarda pas à se mêler au courant des doctrines grecques, où tout le monde était avide de puiser. La philosophie grecque était alors en décadence: nous avons dit ailleurs pourquoi; mais ce n'était plus seulement à Athènes qu'elle s'enseignait : les écoles s'étaient propagées dans l'Asie Mineure, en Égypte, dans la Grèce, l'Afrique, l'Europe; Posidonius le stoïcien tenait école à Rhodes. Cicéron voyait fleurir à Athènes le système d'Epicure sous Antiochus et Aristus, celui des péripatéticiens sous Cratippe. Les Romains envoyaient étudier leurs fils jusqu'à Marseille. Lorsqu'ils virent qu'on leur confiait de tels disciples, les philosophes grecs remontèrent aux sources, et l'on se remit à étudier Platon et Aristote. C'était moins une impulsion vers la vérité qu'un complément d'érudition, et, en effet, on vit alors se relever plus d'une secte que la Grèce avait oubliée. Les écoles qui tenaient le premier rang étaient celles des nouveaux académiciens, des péripatéticiens, des stoïciens et des épicuriens, dont les principes offraient des différences marquées.

Les épicuriens recommandaient les plaisirs du corps et de l'esprit; ils défendaient de s'abandonner aux sens de manière à offenser la raison. Selon eux, il fallait éviter les sensations douloureuses, et rechercher celles qui sont agréables, puisque la vraie sagesse était la volupté; mais la volupté ennemie de l'excès et de l'énervement, d'où il suit qu'elle ne peut se trouver que dans la vertu qui consiste à régler les passions. Tandis que les hommes qui s'abandonnent à l'amour, à l'ambition, à l'avarice, pèchent et se déshonorent, le sage contemple du rivage toutes ces tempêtes, et se mêle le moins possible aux affaires publiques, sources de périls et d'amertumes.

Le rigide stoïcien tenait ces maximes pour impies; il disait : Les animaux ont comme nous des sens; ce qui nous distingue d'eux, c'est l'intelligence pure, immatérielle, qui nous rapproche de la Divinité, dont elle émane. La vertu consiste dans l'affranchissement de l'âme des sens; elle la rend indépendante des passions, et lui conserve son libre arbitre. Les douleurs, les maladies, la mort, ne sont point des maux ; il n'y a de mal que ce qui est contraire à l'ordre éternel de la Providence. Tout ce qui altère notre divine essence est vice; ce qui la maintient dans sa pureté est vertu. Il n'y a donc pas de degrés entre la vertu et le vice, et tout vice est une impiété, parce qu'il outrage la Divinité. Celui-là est vertueux qui commande à sa propre intelligence; qui ren

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