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corporelle, n'en exemptait pas le soldat. Celui qui avait jeté ses armes, déserté son poste ou combattu sans ordre était jugé publiquement et condamné à mort; mais si le général le touchait de sa baguette, il lui était permis de prendre la fuite, à la condition de ne plus reparaître au camp, où tout soldat avait ordre de le tuer. Si un corps avait montré de la lâcheté, le général le décimait, et ceux que n'avait pas atteints le supplice étaient exilés et notés d'infamie.

L'esprit militaire était partout. C'était du sénat que sortaient les ambassadeurs comme les généraux. On ne parvenait aux premières charges de la république qu'après avoir fait des campagnes; aussi les guerres étaient conduites avec une grande habileté politique, et une ardeur belliqueuse respirait dans les assemblées. L'ambassadeur avait appris à connaître pendant la paix l'ennemi qu'il devait combattre : les mêmes hommes qui délibéraient dans les conseils agissaient sur le champ de bataille. Dans ce double but la jeunesse se formait à l'éloquence, qui émouvait le peuple, en même temps qu'à combattre et à triompher. Comme le triomphe portait au consulat, les généraux recherchaient les occasions de livrer bataille, et le sénat les faisait naître en s'immiscant dans les intérêts des peuples. Celui qui venait de commander en chef ne dédaignait pas d'obéir dans le même corps. Au commencement d'une campagne, le général choisissait les tribuns, que désignaient les officiers subalternes, et rien n'était plus propre à resserrer les liens entre les chefs et les soldats : ils étaient mus par un même sentiment et une espérance commune; l'amour de la gloire et de la patrie exaltait leur courage, tandis que l'obéissance envers le chef rendait celui-ci tout-puissant.

Mais ces guerriers, la terreur des ennemis, n'étaient que trop souvent victimes de l'ambition patricienne; sacrifiant l'amour des pénates à leur vénération pour l'aigle de la légion, ils allaient combattre au delà des mers, et abandonnaient la culture du champ paternel, auquel il leur fallait souvent renoncer, soit par les suites de la guerre, soit à cause des dettes qu'ils s'étaient vus forcés de contracter; et tandis qu'ils érigeaient des trophées, qu'ils forgeaient des chaînes aux autres peuples, qu'ils construisaient ces voies éternelles destines à réunir vaincus et vainqueurs, ils mouraient brisés de fatigue sur la terre étrangère sans que les larmes pieuses de leurs proches vinssent honorer leur sépulture.

<< Lorsqu'il fut question d'entreprendre la guerre contre Persée, «< un centurion se présenta devant les tribuns et le sénat, et

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parla en ces termes : Quirites, je suis Spirius Ligustinus, né au ⚫ pays des Sabins, dans la tribu Crustumine. Mon père m'a laissé « pour héritage un arpent de terre et la chaumière où je suis né « et que j'habite encore aujourd'hui. Quand je fus en âge de me marier, il me fit épouser la fille de son frère, laquelle ne m'ap« porta pour dot que la liberté, la vertu et une fécondité que même une famille riche n'eût point désirée plus grande. J'ai six << fils et deux filles, toutes deux mariées. Quatre de mes fils portent << la robe virile, les deux autres n'ont pas encore quitté la pré<< texte ; j'ai donné mon nom à la milice sous le consulat de « P. Sulpicius et de C. Aurelius; j'ai servi deux ans comme simple soldat contre Philippe dans l'armée qui a passé en Macédoine; la troisième année, T. Quintius Flaminius récom« pensa mon courage en me confiant le commandement de la « dixième compagnie des hastats. Après la défaite de Philippe, « licencié avec mes compagnons d'armes et ramené en Italie, « j'ai suivi comme volontaire le consul Porcius Caton en Espagne : « tous ceux qui ont servi assez longtemps pour le connaître savent que, parmi les généraux existants, le courage n'a point de té« moin plus éclairé ni de meilleur juge. Il m'a donné le grade de premier centurion dans le premier manipule des hastats. Je suis parti pour la troisième fois comme volontaire dans l'armée envoyée contre Antiochus et les Étoliens, et dans cette guerre << Marcius Acilius m'a élevé au premier grade dans la première cen« turie des princes. Après l'expulsion d'Antiochus et la soumission « des Étoliens, nous sommes revenus en Italie, où je suis resté « deux ans sous le drapeau. Ensuite j'ai servi encore deux ans en Espagne; d'abord sous les ordres de Q. Fulvius Flaccus, puis « sous le préteur T. Sempronius Gracchus. Je fus du nombre « de ceux que Flaccus ramena pour partager l'honneur de son « triomphe; mais bientôt après je retournai dans cette province « à la sollicitation de T. Gracchus. En quelques années, quatre « fois j'ai été mis à la tête de la première centurie de ma légion; ⚫ trente-quatre fois mes généraux m'ont décerné des récompenses militaires, parmi lesquelles six couronnes civiques. Je compte « déjà vingt-deux ans de service, et j'ai plus de cinquante ans. »> Et ce glorieux vétéran était appelé à de nouvelle luttes ! J'ai rapporté ce discours, parce qu'il faisait mention des guerres précédentes et plus encore pour montrer à quelle condition étaient réduits à Rome les soldats sortis des rangs du peuple, vivant sans cesse dans les camps, et n'ayant pas comme nos vétérans, après trente

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Propriétés.

ans de service, un coin de terre pour nourrir leur nombreuse famille. La plupart n'existaient que des distributions d'argent qui se renouvelaient à chaque triomphe, ressource que rendait précaire l'imprévoyance si ordinaire dans la profession des armes. Aussi le petit nombre de ceux qui pouvaient rapporter de l'Espagne ou de l'Asie un corps mutilé passaient-ils leurs derniers jours dans les plus dures privations.

Cette misère et la dépopulation qui en était la conséquence avaient pour cause la constitution, devenue, comme nous l'avons dit, une aristocratie d'argent. Le véritable patriciat, celui qui laissait les plébéiens dans la servitude, qui contestait à cet ordre le mariage légal et la famille, qui réduisait le débiteur à l'esclavage et le frappait impitoyablement de verges, ce patriciat avait succombé depuis longtemps sous les efforts répétés de ses adversaires, qui, avec le droit de vote, avaient fini par s'ouvrir l'accès de toutes les magistratures. Il ne restait plus d'autres avantages aux nobles de naissance (ingenui) que celui qu'on tire de l'illustration des ancêtres; jamais il ne fut question de le leur enlever ; et, à vrai dire, cela n'en valait guère la peine, puisque cette distinction reposait sur l'idée et non sur le fait. La différence réelle était dans la richesse; et le plébéien, qui, sous le rapport des droits, allait de pair avec le noble, restait son inférieur, privé qu'il était des moyens de les faire valoir, et réduit à vivre des aumônes patriciennes ou des largesses publiques. Les grands avaient trouvé le moyen de s'attribuer la meilleure part des terres conquises sur l'ennemi; et les petites portions distribuées aux plébéiens étaient absorbées par les subtilités et les frais des procédures. De là l'accroissement des domaines. Ne pouvant se livrer aux arts mécaniques, abandonnés aux esclaves, le peuple n'avait d'autre refuge que la mendicité.

En effet, que voyons-nous prévaloir à Rome ? La richesse. C'est elle qui décide du vote dans les assemblées, qui donne les premières places de l'État, qui domine dans les comices, qui ouvre l'accès du sénat et des hautes charges, qui livre les provinces à l'avidité des consuls et des préteurs, qui laisse à l'arbitraire des censeurs les terres du domaine en Italie, puisque ces magistrats pouvaient enlever ces biens de l'État aux pauvres qui en jouissaient moyennant une faible redevance, pour les affermer aux chevaliers; tandis que ceux-ci, de connivence avec les censeurs, cessaient peu à peu d'en payer le loyer, et en devenaient propriétaires directs. Les riches n'étaient pas tous également privilégiés : le cens

pesait surtout sur les petits propriétaires. En effet, tandis qu'un impôt variable, déterminé de cinq en cinq ans, les atteignait en frappant sur les terres, sur les maisons, sur les esclaves, le bétail et le bronze monnayé (res mancipii), les grands propriétaires ne payaient rien pour les biens dont nous venons d'indiquer l'origine; ils échappaient à l'impôt même pour les objets de luxe (res nec mancipii) qui souvent composaient la plus grande partie de leur fortune. Les grands, c'est-à-dire les membres du sénat, et ceux qui avaient rempli les hautes charges, s'enrichirent tellement par les dons qui affluaient dans le sénat et par les immenses profits que rapportaient les magistratures et le commandement des provinces, qu'ils renoncèrent aux bénéfices de l'usure, et cherchèrent même à la réprimer chez les chevaliers, c'est-à-dire chez les riches non titrés. On attribuait, comme compensation, à ces derniers les terres du domaine public enlevées aux pauvres, ou la ferme des impôts. Les petits propriétaires inscrits dans les quatrieme et cinquième classes tiraient quelques ressources de la solde militaire, du patronage qu'ils donnaient aux étrangers ou aux plébéiens lorsqu'ils réclamaient en justice (1). Parfois aussi ils obtenaient quelque parcelle du territoire conquis; mais en général le peuple roi languissait dans la pauvreté.

Ce qui explique cette disproportion dans leurs richesses, à Rome comme dans les autres républiques de l'antiquité, c'est l'absence totale d'industrie et de commerce, c'est que tous les arts y étaient nuls à l'exception de l'agriculture et de la guerre. C'eût été faire injure à un mendiant romain et l'assimiler à un esclave que de lui dire va travailler, comme nous le disons aujourd'hui à l'homme valide qui tend la main. Comment le commerce, qui vit de loyauté, de bonne foi, de paix et de respect pour le droit commun, aurait-il pu fleurir à Rome ? A l'intérieur les arts étaient abandonnés, comme occupation vile, aux esclaves et au bas peuple jusqu'au temps de Constantin, une femme qui tenait boutique était méprisée comme la dernière des servantes. Cicéron disait que le négoce est au-dessous de la servitude, et que les marchands ne peuvent gagner qu'en mentant (2).

La société romaine n'était donc composée que de deux classes, les riches et les pauvres; elle n'avait point cette classe moyenne,

(1) La sportule se payait au patron en argent, et elle était taxée à 25 as ou 1 fr. 25 c.

(2) De Officiis, 1, 25.

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Plebe.

si importante, de commerçants et d'artisans qui vivent de leur industrie et en accumulent les fruits. La science économique des premiers temps de Rome était celle d'un peuple guerrier et agricole, entièrement étranger au commerce. Les propriétés étaient très-divisées; dans le peu de terres qu'on affermait, le revenu était une quote-part des fruits; mais le sol, le capital consacré à le faire valoir et non-seulement les instruments de travail, mais le cultivateur lui-même étaient la propriété d'un seul. Dans des conditions de cette nature, il n'y a point de différences d'intérêts entre le maître, le fermier et le paysan; et les économistes d'alors n'avaient point étudié tous ces moyens que recherchent les nôtres, comme les conventions entre le patron et l'ouvrier, la question du salaire, l'intérêt du capital, l'influence du prix des denrées sur la valeur des objets, les principes régulateurs de l'impôt et de sa répartition. D'abord on ne demandait à la terre que le plus grand produit brut qu'elle pût donner, c'est-à-dire des grains pour la consommation: plus tard, on se préoccupa seulement des avantages du produit net, et l'on transforma les champs en pâturages. Le premier mode de culture favorisait l'accroissement de la population, et le paysan y trouvait l'aisance; mais après la conquête de l'Asie et de Carthage, au milieu de l'extension que prenait Rome, on vit diminuer avec la population libre de l'Italie les produits de l'agriculture, bien qu'on eût supprimé l'impôt, que moins de bras fussent employés à la guerre, et malgré le perfectionnement des ustensiles, l'abondance des capitaux et les progrès du luxe. En effet, ce fut justement alors que les champs cultivés en blés se changèrent en prairies, qu'on substitua l'esclave au travailleur libre, que la petite propriété s'absorba dans le vaste domaine, et que l'excédant des produits, au lieu de se répandre sur les campagnes, ne servit qu'à alimenter le luxe inutile des villes.

Que faire donc de la plèbe romaine, étrangère à toute industrie et ne possédant rien? La mener à la guerre; la guerre était avantageuse et pour le sénat, qui s'engraissait de la dette publique, et aux nobles, qui rétablissaient leur fortune aux dépens des vaincus, et enfin aux pauvres, qu'elle nourrissait ou qui y trouvaient ce qu'on appelait une mort glorieuse. Si, par hasard, il n'y avait pas d'ennemis à combattre, la plèbe en était réduite pour vivre, soit à vendre son vote aux candidats, soit à recourir à l'aumône publique, décorée du nom de largesses, ou à payer à prix réduits les grains et le sel dont souvent elle devait se contenter pour toute

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