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celui des deux autres qu'elle soutenait; à la démocratie avec Marius, aux nobles avec Sylla. César attaque Rome avec les troupes qui ont vaincu les Gaules, Pompée la défend avec les vainqueurs de l'Asie; et quand le premier l'a emporté, toute prééminence s'acquiert désormais et se conserve par les armes : la constitution romaine n'a plus que deux appuis, la multitude et les soldats.

CHAPITRE XIX.

MEURTRIERS ET VENGEURS DE CÉSAR.

Quand Brutus eut enfoncé le poignard dans le sein de son bienfaiteur, la réflexion dut bientôt faire succéder, à l'enthousiasme d'une action réputée divine, la déplorable réalité du fait et de ses conséquences. Toujours préoccupé de l'idée d'agir en conformité de la loi et de la justice, il se mit à expliquer au peuple les motifs qui l'avaient poussé au meurtre (1); mais le découragement régnait partout, et en un clin d'œil il s'était répandu de la salle du sénat sur la place publique, et de là dans les plus humbles demeures. Les conjurés, ayant pris les armes, traversèrent la ville avec un bonnet en haut d'une pique, en s'écriant qu'ils avaient délivré la patrie d'un tyran, d'un roi. Mais les citoyens, loin de se joindre à eux, ou fuyaient épouvantés, ou profitaient du tumulte pour se mettre à piller, résultat assez ordinaire des séditions populaires; beaucoup criaient aux assassins, de sorte que Brutus et les siens durent songer à chercher un refuge au Capitole, confiant leur sûreté à des gladiateurs, en même temps qu'ils répandaient de l'argent parmi le peuple, peu pressé d'accueillir le présent de la liberté aristocratique.

(1) Sénèque, grand admirateur des deux plus illustres stoïciens, Brutus et Caton, désapprouve le fait du premier comme inopportun. « Brutus, dit-il, grand homme en toute autre chose, me semble avoir gravement erré dans celle-ci, en espérant établir la liberté là où il y avait tant d'empressement à commander et à servir, en s'imaginant que la cité pouvait revenir à sa première forme après la perte de ses anciennes mœurs; que l'égalité du droit civil et la force des lois revivraient là où il avait vu tant de milliers d'hommes en venir aux mains, non pour savoir s'il fallait obéir, mais à qui l'on devait obéir. Il iguora tellement la nature des circonstances et l'état de sa patrie, qu'il crut qu'un homme étant tué, il ne s'en trouverait pas d'autres pour vouloir la même chose. » De Beneficiis, II, 20.

Bien que Brutus s'écriât, en élevant son poignard ensanglanté : O Cicéron, voilà enfin la république vengée ! comme s'il eût voulu s'appuyer, envers l'opinion publique, de l'assentiment de celui qui écrasa Catilina, Cicéron ne sut rien de la conjuration; il se plaint même plusieurs fois de ne pas avoir été invité au magnifique banquet des ides de mars, surtout parce qu'il eût insisté pour qu'on se débarrassât aussi d'Antoine (1). Il déclara, du reste, avoir vu avec joie commettre ce meurtre dans le sénat (2); mais, par suite de sa fluctuation ordinaire, il ne tarda pas à s'en montrer peiné et à dire : L'arbre est abattu, mais les racines subsistent.

Il suggéra pourtant le meilleur parti à prendre dans cette circonstance, c'est-à-dire la convocation du sénat au Capitole, pour amener une prompte décision, et pour aviser aux mesures qu'il importait d'adopter (3). Mais Brutus, qui venait de tuer César sans scrupule, en éprouva à réunir le sénat sans les formalités de la loi; il renvoya même du Capitole beaucoup de person

(1) Quam vellem ad illas pulcherrimas epulas me id. Mart. invitassent! reliquiarum nihil haberent; at nunc his tantum negotii est, ut vestrum illud divinum in remp. beneficium nonnullam habent querelam. A Trébonius, X, 28; et à Cassius, XII, 4 : Vellem id. Mart. me ad cœnam invitasses reliquiarum nihil fuisset. Cependant, il avoue ailleurs qu'il est l'ami d'Antoine : Ego Antonii inveteratam sine ulla offensione amicitiam retinere sane volo (ad Fam., XVI, 23). Cuiquidem ego semper amicus fui, antequam illum intellexi, non modo aperte, sed etiam libenter cum repub. bellum gerere, XI, 5.

(2) Quid mihi attulerit ista domini mutatio præter lætitiam quam oculis cepi, justo interitu tyranni? (Ad Att., XIV, 14.) Il l'approuve dans son livre de Officiis, plus souvent dans ses Philipp. : Noster est Brutus, semperque noster cum sua excellentissima virtute reipublicæ natus, tum fato quodam paterni maternique generis et nominis (Philipp., X, 6). Est deorum immortalium beneficio et munere datum reipublicæ Brutorum genus et nomen, ad libertatem populi vel constituendam, vel recuperandam (Philipp., IV, 3). Omnis voluntas M. Bruti, omnis cogitatio, tota mens, auctoritatem senatus, libertatem pop. rom. intuetur; hæc habet proposita; hæc tueri vult ( Philipp., X, 11). Reddite prius nobis Brutum, lumen et decus civitatis: qui illa conservandus est, ut id signum, quod de cœlo delapsum, Vestæ custodia continetur; quo salvo, salvi sumus futuri (Philipp., XI, 10). Animadverti dici jam a quibusdam, exornari etiam nimium a me Brutum, nimium Cassium ornari... Quos ego orno? Nempe eos, qui ipsi sunt ornamenta reipublicæ (Philipp., XVI, 14).

(3) Meministi me clamare, illo ipso primo capitolino die, senatum in Capitolium a prætoribus vocari? Dii immortales! quæ tum opera effici potuerunt, lætantibus omnibus bonis, etiam sat bonis, fractis latronibus! (Ad Att., XIV, 10.)

Marc-Antoine.

nages éminents qui étaient venus l'y joindre, disant que ceux qui n'avaient pas concouru au meurtre de César ne devaient pas avoir part au péril. Désastreuse timidité! Tandis qu'il prend des mesures pour que personne ne soit persécuté ou pillé, et qu'il veut faire une de ces révolutions qui honorent leurs auteurs, tout en ruinant la cause qu'ils soutiennent, le premier enthousiasme des patriciens et des sénateurs se refroidit; et en même temps cette foule de gens qui ont besoin d'être poussés pour agir se laissent entraîner par les amis de César. La mort du dictateur sembla avoir expié tous ses torts, et accru le nombre de ses bienfaits. Le peuple ne cessait de répéter ses louanges; les juifs passèrent plusieurs nuits à le pleurer (1); et un acteur ayant prononcé au théâtre ce vers d'une tragédie :

Je leur sauvai la vie ; ils m'ont donné la mort (2)!

un gémissement universel s'éleva parmi les spectateurs.

Bien loin d'être touché, comme l'espérait Brutus, de la générosité qui avait épargné ses jours, Marc-Antoine songea à profiter de cette disposition des esprits. Il fit conduire par Lépide, autre ami de César, une légion dans le champ de Mars, et convoqua le sénat, pour qu'il eût à déclarer si César avait été un tyran ou un magistrat légitime; si dès lors ses meurtriers étaient des libérateurs ou des parricides. Une pareille décision pouvait avoir les conséquences les plus graves. On trouva donc prudent, au milieu de l'agitation présente, de l'éluder par une transaction, en proclamant une amnistie générale pour le passé, et en confirmant tout ce que César avait fait. Alors les conjurés descendirent du Capitole; Brutus alla souper chez Lépide, Marc-Antoine chez Cassius; et celui-ci répondit à la question que lui adressait, en plaisantant son hôte, s'il n'avait pas quelque poignard caché sur lui: J'en porte un pour celui qui oserait aspirer à la tyrannie.

Ces paroles durent retentir désagréablement aux oreilles d'Antoine, qui véritablement y aspirait non moins que Lépide et que Décimus Brutus, gouverneur de la Gaule cisalpine. Mais chacun d'eux était retenu par la crainte que lui inspiraient les autres.

Cependant Antoine, dans l'espoir de faire sortir les esprits de l'état de stupeur où ils étaient plongés, obtint que le testament de César fût lu publiquement. Le dictateur instituait pour héritiers Octave, Lucius Pinarius et Quintus Pédius, ses petits-ne

(1) SUÉTONE, 84.

(2) Men' men' servasse ut essent qui me perderent! PACUVIUS.

veux; il faisait don au peuple romain de ses beaux jardins de l'autre côté du Tibre, et de trois mille sesterces à chaque citoyen; il faisait enfin à ses meurtriers différents legs, et leur laissait des souvenirs de sa bienveillance (1). Il n'en fallait pas plus pour exciter la fureur du peuple. Elle fut au comble lorsque Antoine déploya la toge déchirée du dictateur, en exposant aux regards son image en cire, qui semblait saigner par de nombreuses blessures. Alors ce fut un cri unanime de vengeance. Les vétérans de César jetèrent sur son bûcher les récompenses qu'ils avaient reçues de lui dans leurs campagnes, les femmes leurs joyaux ; et la multitude, vociférant dans toutes les langues, prit des tisons enflammés pour aller mettre le feu aux maisons de ceux qui, naguère traités de héros, n'étaient plus que des assassins. Le sénat, à son tour, mit César au rang des dieux; et le peuple crut contempler son âme dans une étoile qui parut dans le ciel à cette époque.

Par cette manière d'agir, et en déclarant que le vœu de son cœur aurait été de venger le meurtre de César, s'il n'eût été arrêté par le décret du sénat, Antoine porta ombrage aux amis de la tranquillité s'apercevant alors qu'il avait levé le masque trop tôt, il revint sur ses pas, punit de mort, sans procès, les promoteurs du tumulte, dont les violences avaient été jusqu'à l'effusion du sang, et promit au sénat, qui ne mit aucun obstacle à cette justice illégale, de rétablir le calme. Il proposa même le rappel du fils de Pompée, réfugié chez les Celtibères depuis la bataille de Munda, la restitution de ses biens confisqués, et sa nomination au commandement de toutes les forces navales de la république. Le sénat le porte aux nues pour cette conduite généreuse; et lui, sous prétexte de s'être ainsi rendu la plèbe hostile, s'entoure d'une escorte nombreuse: en même temps, afin qu'on ne le soupçonne pas d'aspirer à la dictature, il fait abolir pour toujours cette dignité. Mais, au nom de César mort, il marche plus sûrement à son but que n'eût pu le faire César de son vivant. Il fait admettre dans la curie plusieurs sénateurs, et parmi eux le secrétaire du dictateur, qu'il corrompt, et duquel il obtient les nomi

(1) Il était d'usage, chez les Romains, de consigner dans son testament un souvenir pour tous ses amis et ses bienfaiteurs. Les avocats romains y trouvaient grandement leur compte, et ce fut une source de richesses pour Hortensius et pour Cicéron, qui fait mention dans ses lettres de plusieurs legs considérables. Sous les empereurs, personne ne mourait sans leur laisser quelque chose; sinon la succession était entravée, et parfois même le testament annulé.

nations signées de César. De plus, il fait attribuer à Lépidus le souverain pontificat, cherchant ainsi à s'assurer des amis puis

sants.

Le peuple demandait Brutus, non pour l'admirer, non pour le punir, mais parce que, en sa qualité de préteur, il devait donner des jeux publics: or, comme Brutus ne croyait pas qu'il y eût sûreté pour lui à rentrer dans la ville, il y envoya des bêtes féroces et différents artistes, pour l'amusement de la multitude (1). César, avant de mourir, lui avait assigné le gouvernement de la Macédoine; il avait donné la Syrie à Cassius, l'Asie à Trébonius, la Bithynie à Cimber, la Gaule cisalpine à Décimus Brutus. Mais tous se tinrent dans le voisinage de Rome, pour surveiller Antoine, dont les intentions devenaient de plus en plus suspectes.

Antoine n'était capable de ramasser que l'épée du dictateur. Élevé dans les camps, buveur intrépide, aux manières et aux plaisanteries soldatesques, il avait contracté, dans les guerres d'Orient, les goûts des Asiatiques, une éloquence pompeuse, un genre de vie fastueux. Avide de plaisirs et d'argent, il était avare et prodigue par caprices, et très-mauvais payeur. César l'aimait comme un bon soldat: tel était son mérite, en effet; et lorsqu'il revint d'Espagne, il lui fit prendre place dans son char, pour honorer en lui ses vétérans. Mais il était bien loin de posséder et le génie et l'habileté politique, et encore moins l'humanité de son général. Tantôt pour les pompéiens, tantôt pour le peuple, tantôt pour le sénat, il se rendit suspect aux uns et aux autres. Il n'aperçut pas la nécessité de s'attacher les légions, unique appui du pouvoir qu'il ambitionnait; et en châtiant quelques vétérans qui murmuraient, en refusant de l'argent aux autres, il se fit des en

(1) « Si vous abandonnez Brutus, ô sénateurs! quel citoyen soutiendrez-vous jamais? Tairai-je la patience, la modération, le calme sans égal contre les injures, la modestie de Brutus? Lorsqu'il était préteur urbain, il se tint hors de la ville, ne rendit pas la justice, lui qui l'avait recouvrée au profit de la répu blique. Lorsqu'il pouvait être entouré de tout ce que l'Italie avait de soldats, et du concours des gens de bien, dont il entraînait après lui une foule prodigieuse, il aima mieux être défendu absent par le jugement des honnêtes gens, que d'obtenir, lui présent, sa justification par la force. Il s'abstint de donner, en personne, les jeux. Apollinaires, qui furent tels qu'il convenait à sa dignité et à celle du peuple romain, pour ne fournir aucune occasion à l'audace des méchants. Mais, en réalité, quels jeux, quels jours furent jamais plus joyeux que ceux-là ? A chaque vers le peuple romain, applaudissant à grand bruit, exaltait le nom de Brutus. La personne du libérateur n'y était pas, mais il y avait le souvenir de la liberté, et l'on croyait y voir l'image de Brutus. » CICERON Philipp., X, 3.

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