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les et de l'accroissement des impôts; on l'y vit, comme un financier, calculer les revenus et les droits de péage. Il y pilla les temples, notamment celui de la déesse syrienne Astargate, renommée dans tout l'Orient, et fit peser sous ses yeux l'argent qu'on y trouva.

Durant ce temps, les soldats s'affranchissaient de toute discipline, tandis que les Parthes, remis de leur surprise, réunissaient leurs forces. Orodes ne voulut entamer les hostilités qu'après avoir su des Romains quel motif les avait fait agir. Mais Crassus répondit aux ambassadeurs qu'il donnerait réponse à Séleucie. Alors Vagise, chef de l'ambassade, lui dit, en lui montrant la paume de sa main : Avant que tu ne prennes Séleucie, tu verras croitre ici du poil.

Une armée parthe s'avança contre l'Arménie, dont le roi s'était déclaré pour les Romains. L'autre se dirigea vers la Mésopotamie, sous la conduite d'un suréna, guerrier aussi intrépide qu'expérimenté. Étalant tout le faste asiatique, fardé et parfumé selon l'usage des Mèdes, ce général traînait après lui mille chameaux pour porter le bagage, deux cents chars pour les femmes, mille gardes à cheval, sans compter les gens de pied et les esclaves en grand nombre, le tout pouvant monter à dix mille individus. I recouvra, en un moment, les places surprises par Crassus, qui, bien qu'averti par le roi d'Arménie de ne pas traverser la Mésopotamie, mais de se diriger par les montagnes de l'Arménie, où la cavalerie parthe ne pouvait manœuvrer, s'avança au milieu des plaines. Une foule de présages sinistres avaient découragé ses soldats; mais il parait qu'il était supérieur à ces rêveries en effet, un astrologue de Rome lui ayant prédit que son expédition avait contre elle l'aspect sinistre du Scorpion, il répondit: Ce n'est pas cette constellation qui m'effraye, mais bien le Sagittaire; faisant allusion à l'adresse des archers parthes. En commençant sa seconde campagne, les entrailles de la victime lui étant tombées des mains: Peu importe! s'écria-t-il, je ferai en sorte que les armes ne m'échappent pas.

Abgar, roi d'Édesse, qui naguère avait secondé Pompée, résolut de trahir Crassus; il l'entraîna, sur de fausses indications, dans la plaine de Carrhes, où la marche était extrêmement difficile. Les légions romaines furent assaillies par les Parthes, et', sans pouvoir se défendre, criblées de toutes parts à coups de flèches. Le fils de Crassus, qui, après avoir servi sous les ordres de César, était passé dans l'armée de son père, voyant qu'il ne pou

Carrhes.

vait échapper à l'ennemi, se tua après avoir vaillamment combattu. En voyant sa tête sur une lance ennemie, les Romains effrayés détournaient leurs regards; mais Crassus leur disait : Un tel malheur ne concerne que moi; Rome sera invincible tant que vous demeurerez intrépides. Si vous avez pitié d'un père infortuné, montrez-le en véngeant son fils sur ces barbares. Cependant les flèches pleuvaient de tous côtés, et la mort Bataille de qu'elles donnaient était si lente et si douloureuse, que beaucoup préféraient la hâter en se précipitant en désespérés contre la cavalerie. La nuit mit fin à cette bataille meurtrière, et Crassus en profita pour se retirer à Carrhes. Le suréna, qui ne tarda pas à l'y joindre, l'obligea de fuir avec peu de monde; mais, enveloppé dans les marais, et fourvoyé par Ariamne, cheik des Arabes, qui feignait de lui être dévoué, il se vit perdu sans ressources. Le suréna, sous prétexte d'un traité, propose une entrevue au général romain; et celui-ci, bien qu'il soupçonne un piége, est contraint par les cris de ses soldats de l'accepter. Dans le trajet, Crassus dit à ceux qui le suivaient : Quand vous serez de retour sains et saufs, dites, pour l'honneur de Rome, que Crassus a péri, trompé par l'ennemi, et non pas abandonné par ses concitoyens. Le suréna l'accueillit gracieusement et avec de grands honneurs; mais bientôt le combat s'engagea entre les Parthes et la suite de Crassus, qui fut tué dans la mêlée. Sa main droite et sa tête furent portées à Orodes, et son corps laissé en pâture aux animaux de proie. Dix mille hommes, qui survécurent aux vingt mille qui avaient été tués, furent faits prisonniers, et, oubliant leur patrie, se mirent au service des Parthes, dont ils épousèrent les filles (1).

Le suréna fit son entrée dans Séleucie au milieu des tètes et des enseignes romaines, traînant derrière lui un prisonnier représentant Crassus, dont il portait le vêtement et les armes, précédé, comme lui, de licteurs et de gardes, à la ceinture desquels pendaient des bourses vides; une troupes de femmes, entonnant des chants obscènes pleins d'outrages pour les vaincus, les poursuivaient de leurs insultes. Le vainqueur présenta au sénat de

(1)

Milesne Crassi conjuge barbara
Turpis maritus vixit? et hostium

(Proh curia, inversique mores!)

Consenuit socerorum in armis,

Sub rege medo, Marsus et Appulus, etc. P

HORAT., Od. III, 5 et sqq.

Mort de
Crassus.

la ville un exemplaire des fables milésiennes, recueil de nouvelles licencieuses, trouvé dans le sac d'un jeune Romain, pour témoigner qu'il n'y avait rien à attendre d'une jeunesse qui se plaisait à la lecture de pareils ouvrages.

Orodes fit couler de l'or fondu dans la bouche de Crassus. pour insulter à son avarice; puis, ayant conçu de la jalousie contre le suréna, il le fit tuer, et confia le commandement de l'armée à son fils Pacorus, qui envahit aussitôt la Syrie, dans l'espoir de la surprendre sans défense. Mais le lieutenant Cassius était là pour le repousser. Les assaillants, trompés dans leur attente, cessèrent pour le moment toute hostilité contre les Romains, qui, depuis la défaite de Crassus, ne prononcèrent plus le nom des Parthes sans une profonde terreur.

CHAPITRE XVI.

SECONDE GUERRE CIVILE.

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La mort de Crassus avait fait disparaître le seul homme qui pût maintenir l'équilibre entre César et Pompée, rivaux et ennemis au fond du cœur, mais dont chacun ménageait l'autre dans la crainte que Crassus ne fit pencher la balance en se déclarant pour son compétiteur. La rupture fut encore hâtée par la mort de Julia, fille de César et femme de Pompée. Bien que Pompée fût demeuré à Rome, comme il ne voulait pas se trouver moins puissant que les deux autres triumvirs, il avait levé une armée, contrairement aux lois, sous le prétexte de garantir la tranquillité publique, mais, en réalité, pour dominer les factions. Domitius Ahenobarbus, nommé consul, aurait voulu, secondé par Caton, mettre un frein à cette puissance excessive; mais il se vit impuissant contre la force des armes, dans un temps où, comme s'en plaignait Cicéron, il n'y avait plus ni dignité de la parole, ni liberté de discuter les affaires publiques; où il ne restait à choisir qu'entre une lâche condescendance avec le plus grand nombre et un stérile dissentiment (1). Caton essaya de porter remède à la vénalité éhontée

(1) Quæ enim proposita fuerant nobis cum et honoribus amplissimis et laboribus maximis perfuncti essemus, dignitas in sententiis dicendis, liberlas in republica capessenda, ea sublata tota, sed nec mihi magis quam

des charges, en faisant punir ceux qui achetaient des suffrages; mais il excita le mécontentement de la populace, qui ne vivait que du trafic de ses votes; et d'ailleurs les candidats, au lieu d'agir par leurs brigues sur la multitude, s'adressaient directement aux triumvirs et aux consuls en charge, et traitaient avec eux de la dignité ambitionnée. Le consul Mucius Scévola dérouta encore ce trafic; il suspendait toute assemblée où il apercevait quelque symptôme de brigue pour l'élection des consuls, de sorte que l'argent avait été répandu en pure perte; mais il en résulta que, pendant quelque temps, il n'y eut plus de consulat. Cependant les factions fermentaient de plus en plus; des meurtres fréquents faisaient sentir la nécessité d'un pouvoir dictatorial qui rétablit l'ordre, et Pompée mettait tout en œuvre pour se faire désigner comme le seul homme capable de l'exercer utilement : cependant il n'osait étendre la main pour saisir ce pouvoir tant désiré.

Il fut proposé, en effet, à l'occasion de l'assassinat de Clodius, de lui conférer la dictature; puis on aima mieux le faire consul unique, et il exerça seul le consulat durant sept mois, en dépit des protestations de Caton et du parti conservateur. Après avoir réussi dans cette première tentative, loin de marcher au but avec hardiesse, il se donna pour collègue Métellus Scipion, dont il épousa la fille. Ce choix et ce mariage lui concilièrent les patriciens.

Le sénat s'apercevant enfin que César, secondé par ses émissaires et appuyé d'une armée dévouée, s'acheminait vers l'autorité suprême, demanda à Pompée s'il était possible de dire qu'il y eût liberté là où le gouvernement était réduit à se mettre sous la protection d'un citoyen. Pompée ne voulut avouer, ni au sénat qu'il s'était uni avec César pour l'oppression commune, ni à lui-même qu'il s'était laissé prendre pour dupe par César. De là l'hésitation qu'il montra constamment, et qui finit par l'entraîner à sa perte.

Il était indispensable avant tout d'enlever l'armée à César, qui était moins que jamais disposé à y consentir depuis que Pompée s'était fait proroger pour cinq ans encore dans le gouvernement de l'Afrique et de l'Espagne. Le consul Claudius Marcellus, créature de Pompée, proposa au sénat de rappeler César avant l'expi

omnibus; nam aut assentiendum est nulla cum gravitate paucis, aut frustra dissentiendum. Cic., ad Lent. procons.

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ration de son commandement. N'ayant pu y réussir, il se répandit en outrages de toutes sortes contre le proconsul, et alla jusqu'à faire battre de verges un sénateur de Côme, uniquement, disaitil, afin qu'en retournant dans les Gaules, il pût montrer ses épaules à César.

Celui-ci avait pour lui un parti considérable : les uns étaient achetés à prix d'argent, les autres gagnés par l'affabilité de ses manières; de plus, il était à la tête d'une armée très-dévouée. Ainsi appuyé, il demanda que son commandement fût prolongé. Mais les charges étaient toutes occupées par des créatures de Pompée, et sa demande fut rejetée. Un centurion, qui attendait à la porte du sénat, frappa sur son épée quand on lui annonça cette décision, en disant: Voilà qui le lui prolongera.

En effet, César, qui n'avait pas montré moins de vaillance dans les Gaules que de sagesse dans l'organisation et le gouvernement de sa conquête, repassa les Alpes. Son coup d'œil sûr découvrit les piéges que lui tendait son rival; prodiguant l'or d'une main, et tenant son épée de l'autre, il déjoua ses projets avec autant de célérité que de résolution. Le consul Paul Émile, d'ennemi déclaré qu'il était, devint son partisan moyennant mille cinq cents talents, comme nous l'avons dit; le tribun Scribonius Curion, autre créature de Pompée, fut aussi gagné par César : le vainqueur des Gaules paya ses dettes, qui étaient immenses; et celuici, au lieu de provoquer la destitution du proconsul, comme le désirait Pompée, proposa de les proroger tous deux dans le commandement, ou de les destituer tous deux. Bien que le sénat tergiversât tant qu'il put, le peuple adopta la loi, dont la modération ajouta au crédit des partisans de César. Mais ni Pompée ni César ne voulaient déposer un commandement acquis au prix de tant d'efforts et d'intrigues. Ils regrettaient seulement l'un et l'autre d'assumer la responsabilité de la guerre civile, qu'ils voyaient imminente, de même que les meilleurs citoyens présageaient la chute inévitable de la république. Cicéron écrivait alors : L'un ne veut pas de maître, l'autre ne peut souffrir un égal; César songe à conquérir le trône, Pompée veut se le faire donner. Et Caton disait : Si Pompée l'emporte, je m'exile de Rome; si c'est César, je me tue.

Mais les deux prétendants se trouvaient dans une position bien différente. Pompée voulait passer pour le protecteur de la république, et à ce titre il se figurait avoir à ses ordres la patrie entière. C'est pourquoi il répondait à Cicéron, qui, désireux de se porter

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