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Cependant Catilina ne s'endormait pas. Sa confiance était déjà si grande dans les intelligences qu'il s'était ménagées, qu'il refusait le secours des esclaves accourus sous ses étendards, pour ne pas paraître faire de la cause des citoyens celle des esclaves révoltés. Comme il se dirigeait de l'Étrurie vers la Gaule, toujours prête à s'insurger, le consul Q. Metellus Céler, qui l'attendait au pied des Apennins, lui barra le passage. Antonius se montra bientôt sur ses derrières : de sorte que, pris entre deux ennemis, il se vit forcé d'accepter la bataille. Elle se livra près de Pistoie, et la victoire y fut disputée avec un acharnement extrême. Catilina périt en combattant héroïquement, et avec lui trois mille conjurés qui avaient déployé un courage digne d'une meilleure cause.

Il ne faut pas demander si Marcus Tullius fut dans l'ivresse de l'orgueil; il se crut un héros, et célébra lui-même ses hauts faits. Que les armes cèdent à la toge! s'écriait-il; Heureuse Rome, d'étre née sous mon consulat! Lorsqu'il sortit de charge, il voulut adresser un long discours au peuple; en ayant été empêché par un tribun du peuple, il ne jura pas, selon l'usage, de n'avoir rien fait au préjudice de la république, mais de l'avoir sauvée à lui seul (1). Tant d'orgueil lui attira l'envie et la malveillance. Ses ennemis disaient de lui : C'est le troisième roi étranger que nous ayons depuis Tatius et Numa; et ils attendaient l'instant et le lieu favorables pour lui faire expier les triomphes de sa vanité.

(1) « Q. Catulus m'appela, en pleine assemblée du sénat, père de la patrie. Lucius Gellius, homme des plus illustres, dit qu'une couronne civique m'était due. Le sénat me rendit ce témoignage, à moi citoyen, non, comme à beaucoup, d'avoir bien administré, mais, ce qu'il n'avait fait pour nul autre, il déclara que j'avais sauvé la république; et il ouvrit les temples des dieux immortels, où retentirent des prières spéciales. Quand je déposai la magistrature, comme le tribun m'empêchait de dire ce que j'avais préparé, et me permettait seulement de jurer, je jurai, sans hésiter, que la république et cette ville de Rome avaient été sauvées par moi seul. Le peuple romain tout entier m'accorda dans cette assemblée, non les félicitations d'un jour, mais l'éternité et l'immortalité, quand d'une voix unanime il approuva un tel serment. » In L. Pi

sonem.

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60.

Pompée, occupé en Asie contre Mithridate, était resté étranger à ces troubles. Son retour faisait redouter de nouvelles commotions; mais, tout en visant à se rendre le maître de l'État, il croyait que le plus sûr moyen d'y parvenir était d'éviter qu'on l'en soupçonnât. Ainsi donc, après avoir congédié son armée et être monté en triomphe au Capitole, il feignit de ne prendre aucun souci des affaires publiques. Ses ennemis qui, dès son arrivée en Italie, l'avaient forcé à congédier ses troupes, traversaient obstinément tous ses projets. C'était Lucullus, qui, ne pouvant lui pardonner d'être venu en Asie lui ravir les lauriers qu'il y avait cueillis, s'arrachait de sa retraite voluptueuse toutes les fois qu'il s'agissait d'agir contre lui; c'était Crassus, irrité de ce qu'il lui avait fait perdre le triomphe sur Spartacus, qui mettait son or en balance avec le crédit militaire de son rival; c'était César, qui dès ses premiers pas le considéra comme un obstacle; enfin, c'était Cicéron, qu'il avait élevé sans le connaître, et qu'il cherchait à abaisser par jalousie, maintenant qu'il le voyait parvenu à une puissance si inattendue (1).

Il réussit cependant à faire nommer consuls deux de ses amis, Q. Métellus et Afranius. Mais celui-ci était incapable, et l'autre lui gardait rancune en secret pour avoir répudié Mucia, sa sœur; aussi quand Pompée proposa dans le sénat de sanctionner par

(1) Il écrivit en effet au sénat, sans même dire un mot du grand exploit de Cicéron, qui s'en plaignait à lui en ces termes : Litteras quas misisti, quamquam exiguam significationem tuæ erga me voluntatis habebant, tamen mihi scito jucundas fuisse... Ac ne ignores quid ego in tuis litteris desiderarim, scribam aperte, sicut et mea natura et nostra amicitia postulant. Res eas gessi, quarum aliquam in tuis litteris et nostræ necessitudinis et reipublicæ causa gratulationem expectavi. Quam ego abs te prætermissam esse arbitror, quod verebare ne cujus animum offenderes : sed scito ea, quæ nos pro salute patriæ gessimus, orbis terræ judicio ac testimonio comprobari. Quæ, cum veneris, tanto consilio tantaque animi magnitudine a me gesta esse cognosces, ut tibi multo majori quam Africanus fuit, me non multo minorem quam Lælium, facile et in republica et in amicitia adjunctum esse patiare. Lib. V, ad Fam.

un seul décret ce qu'il avait fait en Asie, et de distribuer des terres à ses soldats, ses demandes furent repoussées. Il fit faire la même proposition par un tribun, qui, trouvant une opposition tumultueuse, fit arrêter le consul Q. Métellus; mais Pompée, craignant de s'attirer l'hostilité du sénat, le fit relâcher. Il ne dédaigna pourtant pas plus tard de s'unir à un homme perdu de crimes, Publius Clodius, qu'il fit nommer consul; il s'aliéna par là Cicéron et beaucoup d'honnêtes gens, et il n'eut plus dès lors pour appui que la faction populaire.

César en

Espagne.

61.

César, après sa préture, avait obtenu le gouvernement de l'Espagne ultérieure (Portugal et Andalousie); mais ses créanciers ne l'auraient pas laissé partir, si Crassus ne se fût porté sa caution pour huit cent trente talents. Arrivé en Espagne, il n'y négligea aucun prétexte pour faire la guerre, et poussa ses conquêtes jusqu'aux bords de l'Océan ; puis il revint assez riche pour éteindre ses énormes dettes. Il renonça aux honneurs du triomphe, pour obtenir le consulat; dans ce but, il louvoya de telle sorte entre Crassus et Pompée, chefs des factions opposées, qu'il se les concilia tous deux, et forma avec eux une espèce de triumvirat qui Triumvirat. leur livrait la direction des affaires publiques. Le sénat accorda de grands éloges à César, pour avoir mis fin à une inimitié dangereuse; mais Caton prévit que Rome avait perdu la liberté.

59.

César, nommé consul, désirait pour collègue Lucius Irrus, César consul. homme instruit (1), mais peu au courant de l'administration : Caton lui-même proposa au sénat de laisser sommeiller la loi, et d'acheter des suffrages pour Calpurnius Bibulus, qui l'emporta. Cela n'empêcha pas César d'exercer une sorte de dictature, sous une apparence de grande popularité. Il proposa une loi agraire portant que beaucoup de terres du domaine public, dans la Campanie, seraient partagées entre les citoyens pauvres ayant au moins trois enfants (2). Si ces terres ne suffisaient pas, le surplus devait être acheté des particuliers, d'après le taux du revenu, sur les trésors rapportés d'Asie. C'était une proposition fort sage, puisqu'il s'agissait de faire produire des champs déserts par le travail d'une multitude oisive et affamée. Elle se recommandait sous un autre rapport, en ce que rien ne devait se faire sans la

(1) Cicéron le met au rang des meilleurs historiens de Rome. Il avait raconté la guerre des alliés et le consulat de Cicéron.

(2) Dion (XXXVIII, 1, 7) nous a transmis beaucoup plus fidèlement que tout autre l'histoire du consulat de J. César.

58.

coopération du sénat, auquel était laissé le choix des commissaires.

Aucun des sénateurs ne la combattit ouvertement, mais elle était toujours remise. Comme le consul se plaignait de cette manière d'agir, Caton, son constant adversaire, lui déclara que la distribution des terres, telle qu'il la proposait, n'avait aucun inconvénient; mais qu'elle pouvait avoir des résultats funestes par la suite, et qu'il ne convenait pas au sénat de voir César se concilier la multitude au prix des richesses publiques. Son collègue Bibulus et d'autres sénateurs repoussèrent opiniâtrément la loi, sous prétexte qu'il n'était pas bon d'introduire des nouveautés dans l'administration.

César, indigné de ces fins de non-recevoir, convoque l'assemblée du peuple, lui expose le fait, et, se tournant vers Pompée et Crassus, leur demande d'exprimer leur opinion en termes clairs et précis. Tous deux déclarent non-seulement qu'ils approuvent le consul, mais qu'ils feront tout ce qui dépendra d'eux pour appuyer sa loi contre les opposants; dussé-je même, ajoute Pompée, la défendre avec l'épée et le bouclier. Le peuple, on peut le penser, prit la chose à cœur : Bibulus, qui résistait obstinément, vit ses faisceaux brisés, ses licteurs maltraités, et fut blessé lui-même dans le tumulte ; les autres, épouvantés, se turent, et la loi passa.

Caton seul persistait à la repousser, bien qu'il fût menacé de l'exil; mais Cicéron, en lui disant que, s'il pouvait se passer de Rome, Rome ne pouvait se passer de lui, finit par l'adoucir, et lui-même approuva la loi. Bibulus se retira des affaires, de sorte que le pouvoir resta tout entier à César (1), qui s'unit plus étroitement à Pompée en épousant sa fille, et en faisant sanctionner par le sénat ce qui avait été fait en Asie. Il se ménagea ensuite l'amitié des chevaliers, en réduisant d'un tiers la ferme des impôts. Il vendit l'alliance de Rome au roi d'Égypte et au roi des Suèves, Arioviste; puis il se fit donner pour cinq ans les provinces des Gaules et de l'Illyrie. Il pensait pouvoir y acquérir de la gloire par la conquête, et s'y former une armée aguerrie et dévouée. A la nouvelle que les Helvétiens, habitants des montagnes, s'apprêtaient à pénétrer dans la Gaule par Genève, César accourut

(1) On disait l'année du consulat de Jules et de César, et l'on répétait ce distique :

Non Bibulo quiddam nuper, sed Cæsare factum est :
Nam Bibulo fieri consule nil memini.

pour mettre cette province à l'abri ; et en huit jours, rapidité prodigieuse! il était aux bords du Rhône.

L'ancienne Gaule s'étendait du Rhin à la Méditerranée et au Pò, de l'Atlantique à la Germanie; la Bretagne et l'Irlande (1) en étaient comme des appendices. Les peuples qui lui donnèrent son nom vinrent, ignorants et grossiers, des contrées de l'Asie; après avoir longtemps erré dans la grande forêt Hercynienne, qui occupait alors le nord de l'Europe et de l'Asie jusqu'aux frontières de la Chine, ils s'établirent dans les bois à l'entour des Alpes, des Pyrénées et des Cévennes, peuplées alors de bêtes fauves qui ont disparu depuis (2). Ils y habitaient sous des huttes, se teignaient le corps et le visage de couleurs rouge et bleue, pour inspirer l'effroi, et se divisaient par petites troupes, dont plusieurs formaient la tribu; plusieurs tribus formaient la confédération. Plus tard survinrent les Cimbres, Indo-Germains comme eux, mais moins incultes, ayant des arts en propre, une organisation sociale, une religion plus pure, et une hiérarchie de prêtres. Alors commença entre ces deux peuples la lutte que nous avons trouvée partout entre envahisseurs et indigènes. Les races furent déplacées; une nouvelle constitution sociale, dans laquelle prévalut d'abord le druidisme des Cimbres, s'introduisit; puis le pouvoir théocratique fut dominé par la démocratie (3).

(1) Er-inn, île occidentale; Alb-inn, île blanche.

(2) Le bison mentionné par César est le zubr; l'uri, le thur, deux espèces de boeufs sauvages dont parlent les historiens polonais du moyen âge, comme existant dans l'Europe orientale.

(3) Voir, relativement aux Gaulois :

T. Le Maire, Illustrations des Gaules; Paris, 1531.

G. POSTEL, Histoire des expéditions depuis le déluge, faictes par les Gauloys; Paris, 1552.

P. F. NOEL, Histoire de l'État et république des Druides, Eubages, etc.; Paris, 1585.

M. ZUERII BOXORNII Originum Gallicarum liber; Amsterdam, 1654.

P. EGIDII LACARRY Historia tum coloniarum a Gallia in exteras nationes missarum, tum exterarum nationum in Gallias deductarum; Clermont, 1677.

PEZRON, Antiquités de la nation et de la langue des Celtes.

T. MARTIN, Éclaircissements sur les origines celtiques et gauloises, avec les quatre premiers siècles des annales des Gaules; Paris, 1744.

toire des Gaules, 1752.

PELLOUTIER, Histoire des Celtes; Paris, 1770.

His

Jos. BALT. GIBERT, Mém. pour servir à l'histoire des Gaules et de la France; Paris, 1744.

Jo. DAN. SCHOEPFLINI Vindicia Celticæ; Strasbourg, 1774.

Gaulė.

T. IV.

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