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sans penser à la faim de la veille ni à celle qui l'attendait le lendemain, il courait en foule au cirque dès la pointe du jour; ses maîtres, qu'il domine au forum et qu'il sert dans leurs demeures, sont moins pressés; viennent ensuite les dames romaines dans tout l'éclat de leur parure, et enfin celui qui donne les jeux. Les applaudissements retentissent à son arrivée, et déjà il se flatte d'obtenir dans les comices la préture ou le consulat.

Mais qui peut retarder les gladiateurs? Toute l'assemblée murmure et frémit d'impatience. Enfin ils paraissent. Quelle vigueur de muscles! quelles poses! Le peuple se réjouit à l'idée que la vie de ces hommes va dépendre d'un geste qu'il fera.

La lutte commence avec des armes courtoises ; c'est un bâton en bois destiné seulement à montrer l'habileté des combattants à porter les coups: mais ces jeux d'enfants ne peuvent satisfaire longtemps la majesté du peuple romain. Bientôt ils brandissent le fer; leur courage s'échauffe, et les spectateurs comtemplent avec anxiété les blessures, les contusions et le sang.

L'un des deux succombe; il lève le doigt en se retirant pour implorer le peuple: s'il a fait preuve de courage dans le combat et montré un généreux mépris de la mort, le peuple lui laisse la vie, et le réserve pour de nouvelles fêtes. Dans le cas contraire, ou quand on veut s'assurer jusqu'à quel point il peut porter la constance, et compter les dernières convulsions de l'agonie dans un corps plein de vie et de vigueur, on ferme le poing en dirigeant le pouce vers le lutteur, et au cri de recipe ferrum le vainqueur l'immole. A peine la trompette avait-elle annoncé la mort d'un gladiateur, qu'on le traînait dans le spolarium, où celui qui avait triomphe de lui le dépouillait de ses habits et de ses armes, et l'achevait s'il respirait encore : souvent un épileptique accourait pour boire le sang qui jaillissait de ses blessures, ce qui était regardé comme un remède contre cette maladie.

Le vainqueur obtenait une couronne de mastic et une palme, quelquefois la liberté. Les applaudissements qu'on lui donnait ainsi qu'à celui qui faisait célébrer les jeux signifiaient l'immortalité, comme la désapprobation signifiait la mort (1).

Quelle société que celle dont la politique ne retrace que des guerres et dont les amusements eux-mêmes offrent des combats et du sang!

(1) Plausum immortalitatem, sibilum mortem videri necesse est. Cic. pro Sextio.

L'édile qui avait un spectacle à donner au peuple, le riche qui voulait obtenir sa bienveillance ou son admiration, allait trouver l'entrepreneur et traitait avec lui, soit en louant seulement les combattants, soit en les achetant à ses risques et périls. Les luttes étaient plus ou moins sanglantes; dans le premier cas, le spéculateur faisait en sorte que des hommes s'en tirassent le moins maltraités possible. Mais le peuple vantait la générosité de ceux qui abandonnaient à sa discrétion les gladiateurs exposés dans l'arène.

Ces dépôts étaient aussi un fonds de réserve pour les factieux; ils y trouvaient à acheter des hommes habitués au sang, qu'ils dechaînaient à leur gré et auxquels étaient étrangers les sentiments de la famille aussi bien que l'amour de la patrie.

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Capoue était le principal entrepôt de cette marchandise; un Spartacus. certain Lentulus Batiatus entretenait, dans cette ville, une multitude de lutteurs, la plupart Gaulois et Thraces. Spartacus, l'un d'eux, Thrace de naissance, Numide d'origine, qui à une grande force de corps et à un courage extraordinaire joignait une prudence et une douceur bien supérieures à sa fortune, ayant été choisi pour s'offrir en spectacle dans l'arène, dit à ses compagnons : Puisqu'il nous faut combattre, pourquoi ne combattrions-nous pas plutôt contre nos oppresseurs s?

Ce sont là de ces paroles qui font l'effet de l'étincelle sur la mine préparée à la recevoir. Deux cents gladiateurs concertent avec lui leur évasion, et ne pouvant l'exécuter secrètement, ils terrassent leurs gardiens, s'arment de broches et de couteaux, dont ils s'emparent dans la boutique d'un rôtisseur, puis de tout ce qui leur tombe sous la main, et s'enfuient sur le Vésuve. D'autres brisent les portes de leurs prisons, et vont se joindre à eux, tous gens résolus et habitués aux armes. Ils repoussèrent d'abord les troupes qu'on envoya contre eux et ensuite deux préteurs romains. Leur nombre s'étant accru jusqu'à dix mille, Spartacus traverse l'Italie et pénètre dans la Gaule Cisalpine, patrie de la plupart de ses compagnons. Son projet était d'y établir une partie des siens, et de conduire les autres au delà des Alpes; mais plusieurs, dans l'espoir de saccager Rome, se séparèrent du gros de l'armée, sous la conduite de Cnixus, et se firent battre par le consul Gellius.

A la nouvelle de cette défaite, Spartacus revient sur ses pas ; il attaque et défait le consul Lentulus, qui le poursuivait, puis Gellius lui-même. Enorgueilli de voir ces légions invincibles et les deux premiers magistrats de Rome fuir devant lui, esclave méprisé, il défend de faire quartier à aucun Romain, dévaste l'Italie

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Fin de Spartacus.

à la tête de vingt mille hommes, et va camper dans la Lucanie. Il y établit des magasins pour ses soldats, dont le nombre va toujours croissant, et se rapproche de la 'mer, pour donner la main aux pirates qui avaient fondé sur les flots une nouvelle Carthage, et rallumer en même temps dans la Sicile la guerre des esclaves.

Le sénat confie à Licinius Crassus, lieutenant de Sylla, le soin de dompter le rebelle. Trop expérimenté pour ne pas voir la grandeur du péril, il demande que Pompée soit rappelé de l'Espagne, Lucullus de l'Asie. Cependant Mummius, son lieutenant, attaque Spartacus à la tête de deux légions, et se fait battre. Crassus accourt avec dix autres, décime les cinq cents soldats qui, les premiers, ont donné le signal de la fuite, et tue dix mille révoltés.

Au moment où Spartacus cherche à gagner la Sicile, il se trouve acculé dans une presqu'île, près de Rhégium, où il est renfermé par Crassus. Quelques-uns des siens lui proposent alors de céder; mais il fait mettre en croix un prisonnier, et en le leur montrant : Voilà, dit-il, le sort qui vous attend, si vous ne savez pas résister; puis, à la faveur d'une nuit orageuse, il s'échappe à travers les bataillons ennemis. Crassus, craignant qu'il ne marchât droit sur Rome, se hâta de le rejoindre, le défit, et douze mille trois cents révoltés tombèrent sur-le-champ de bataille, tous frappés par devant, à l'exception de deux. Le gladiateur aurait voulu entraîner les débris de son armée dans les montagnes, refuge de la rébellion et de la liberté; mais un léger avantage les ayant enorgueillis, ils exigèrent qu'il les conduisît contre Crassus. Avant d'engager le combat, Spartacus égorgea son cheval, en disant: Vainqueur, je ne manquerai pas de monture; vaincu, je n'en aurai pas besoin. Il fut vaincu, mais après des prodiges de valeur; quarante mille des siens tombèrent dans le combat. On le vit, blessé grièvement, combattre agenouillé, renversant quiconque l'approchait, jusqu'à l'instant où, criblé de flèches, il tomba sur un monceau de cadavres.

Cinq mille seulement avaient survécu ; ils se rallièrent dans la Lucanie, au moment où Pompée revenait d'Espagne; il les rencontra, les chargea, et les défit sans peine. Il n'en fallut pas davantage pour qu'il enlevât à Crassus la gloire d'avoir mis fin à cette guerre. Pompée, qui s'était vanté d'avoir soumis, en Espagne, huit cent soixante-six villes, écrivit au sénat Crassus a remporté la victoire sur les esclaves, j'ai extirpé la révolte; cette forfanterie, appuyée des louanges de ses partisans, lui valut d'être proclamé le seul général capable de sauver la république, et le peuple le confirma dans le consulat.

Crassus, au contraire, à qui revenait réellement le mérite de cette victoire, fut obligé de donner au peuple le dixième de ses biens, de lui servir un festin de dix mille tables, et de distribuer à chaque citoyen du blé pour trois mois; encore n'obtint-il qu'avec peine d'être nommé consul. De là, entre lui et Pompée une inimitié profonde qui devint funeste à la république. Pompée prétendit ne devoir congédier qu'après son triomphe l'armée avec laquelle il avait vaincu Sertorius. Crassus refusa de licencier celle qui avait dompté les gladiateurs tant que son collègue, qui menaçait de devenir un nouveau Sylla, resterait entouré de ses satellites. Le peuple et le sénat, tremblant de voir se renouveler les guerres civiles, les supplièrent de se désister l'un et l'autre. On fit intervenir les songes et les dieux; mais Pompée résista jusqu'à ce que Crassus fût venu au-devant de lui en lui tendant la main. Ils se réconcilièrent alors, au moins en apparence.

Cependant Pompée, en se montrant favorable au peuple et en restituant aux tribuns leur autorité, s'était rendu l'homme nécessaire; on lui confia le commandement de l'expédition contre les pirates. C'était un amas confus de Ciliciens, de Syriens, de Pamphyliens, d'habitants du Pont, d'Isauriens et autres Asiatiques, de Cypriotes, qui semblaient avoir pour but de venger sur l'Italie les extorsions des publicains. L'insouciance de Rome pour sa marine après la destruction de Carthage, et durant ses guerres tant intérieures qu'extérieures, leur avait donné de l'audace, en même temps que les vexations des Romains dans l'Asie Supérieure grossisaient leur nombre d'une foule de fugitifs. Mithridate les avait soudoyés durant la guerre, pour harceler les Romains : à la paix, beaucoup de marins licenciés des flottes royales étaient accourus se joindre à eux.

La facilité avec laquelle tout révolté trouve des gens prêts à le suivre est toujours le symptôme de quelque plaie sociale. Nous avons vu se soulever les esclaves, puis Sertorius et Spartacus; c'est maintenant le tour des pirates: et ce n'étaient pas seulement des misérables qui se jetaient dans leurs rangs; des hommes bien nés et riches montaient sur leurs vaisseaux, et semblaient se faire un honneur d'aller en course avec eux. Ils avaient des arsenaux, des ports, des vigies, les rameurs et les pilotes les plus habiles, des bâtiments de toute espèce, et dont quelques-uns étaient d'une grande magnificence; la poupe en était dorée, les rames argentées, et des tapis de pourpre complétaient cet appareil fastueux. Leurs vaisseaux, au nombre de plus de mille, infestaient les

Pirates.

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mers: non contents d'attaquer les navires, ils avaient pris au moins quatre cents villes, dont ils avaient exigé d'énormes rançons, et dépouillé des temples qui jusqu'alors avaient échappé aux profanations. Ils osèrent même descendre à terre; puís, venant jeter l'effroi en Italie, ils exercèrent leurs brigandages sur la voie Appienne, et menacèrent Rome elle-même. La rougeur devait couvrir le front des orateurs en montant à cette tribune ornée des rostres enlevés aux Carthaginois vaincus à l'instant même où ces écumeurs envahissaient les maisons de plaisance voisines, pillant ce qu'elles contenaient de précieux, et enlevant les jeunes filles et les personnages de haut rang, pour en tirer de grosses rançons. Deux préteurs furent surpris par eux revêtus de leurs insignes, et emmenés dérisoirement en triomphe, précédés de leurs licteurs. Si quelque prisonnier, dans l'espoir d'être respecté, invoquait son titre de citoyen romain, ils lui faisaient d'humbles excuses, lui rendaient sa chaussure et sa toge; puis ils lui tendaient l'échelle, et, en l'invitant à retourner en liberté dans son illustre ville, ils le forçaient de descendre à la mer.

Publius Servilius, qui remporta sur eux une victoire, y gagna le surnom d'Isaurique; mais il ne parvint pas à les dompter. Marc-Antoine les attaqua de nouveau près de l'île de Crète ; il perdit plusieurs vaisseaux, et vit ses guerriers pendus aux antennes des bâtiments ennemis, avec les chaînes qu'il avait apportées pour les pirates.

Cette guerre causait à Rome de vives inquiétudes; les rebelles facilitaient les communications entre ses ennemis, de l'Atlantique aux Palus-Méotides; et Spartacus, comme Mithridate, avait cherché à s'en faire un appui. Il était à craindre qu'ils n'affamassent l'Italie en interrompant les communications avec la Libye. Loi Gabinia. Le tribun Gabinius, créature de Pompée, dont il désirait accroître le pouvoir, proposa une loi pour leur extermination : il demanda l'on investit un général d'une autorité absolue sur mer, de la Cilicie aux colonnes d'Hercule, et sur les côtes, à la distance de quatre cents stades; qu'il eût la faculté de lever autant de soldats, de matelots et de rameurs qu'il le jugerait nécessaire, de prendre tout l'argent qu'il voudrait dans le trésor sans en rendre compte, et que ces pleins pouvoirs durassent trois ans.

que

Le sénat vit bien que Gabinius avait en vue Pompée; mais le peuple était aveugle dans son amour pour ce soldat heureux : les discours des orateurs, les protestations des consuls, les remontrances des gens sages, tout échoua contre l'engouement public.

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