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le sénat et les magistrats, avec les insignes de leur dignité; puis les chevaliers et ses vétérans. Le cortège passa au milieu des chants funèbres à la louange de celui qu'on avait perdu, des regrets de la foule, et des couronnes d'or envoyées par les villes, par les légions, par tous les admirateurs de sa gloire. Il fut enseveli au champ de Mars, comme les anciens rois, dont il ne lui manqua que le nom; et l'on inscrivit sur son tombeau que jamais personne

n'avait su comme lui faire du mal à ses ennemis et du bien à ses amis.

Doué de qualités remarquables, aussi habile à la guerre que pendant la paix, dans la sédition que dans le conseil, il marcha toujours à un but déterminé, la restauration de l'aristocratie. Mais il vit de son vivant même tomber plusieurs de ses lois; à peine fut-il mort, que son édifice politique s'en alla en débris; l'unité que sa main de fer avait reformée se décomposa. Le pouvoir législatif était passé du peuple aux comices centuriates, c'est-àdire aux nobles; mais les patriciens, qu'il avait voulu favoriser, étaient eux-mêmes des plébéiens récemment anoblis, noblesse viciée jusqu'aux os; la seule qui existât désormais était celle des riches. Mais c'est là toujours l'aristocratie la moins solide, car la mobilité de l'élément qui la constitue ne permet pas à l'opinion de prendre racine: ses fauteurs eux-mêmes devaient bientôt faire passer la puissance à d'autres. Ni Sylla, qui caressait le passé dans ses préjugés aristocratiques, ni les Gracques, qui cherchaient à le faire revivre par la démocratie, n'avaient aperçu la nécessité d'un élément intermédiaire, le seul qui pût maintenir la paix par l'équilibre de l'un et de l'autre.

Mais ces soldats, auxquels le dictateur avait appris à s'enrichir par le glaive et à soutenir les généraux contre la patrie, n'étaient que trop épris de tout ce qui avait un aspect aventureux; ils y voyaient l'occasion d'une nouvelle guerre civile, avec son cortége de pillages et de proscriptions. Il tardait aussi aux familles appauvries par la spoliation de secouer la torpeur léthargique du pays, et de réparer leurs pertes. Les immenses richesses rapportées de l'Asie excitaient le désir de l'épuiser encore par des concussions, ou de la piller les armes à la main. L'heureux succès de Sylla encourageait les jeunes gens audacieux et d'une fortune récente, comme Lucullus, Crassus, Pompée, César, convaincus désormais, par l'exemple du dictateur, que Rome pouvait supporter un maître. ?

SERTORIUS.

CHAPITRE IX.

SECONDE ET TROISIÈME GUERRE CONTRE MITHRIDATE.

A peine Sylla avait-il fermé les yeux, qu'Emilius Lépidus tenta d'abroger ses lois et de relever la faction italienne; mais il trouva dans l'autre consul, Lutatius Catulus, un adversaire ardent et même farouche: le sénat crut devoir leur faire jurer qu'ils n'en viendraient pas aux mains pour vider leur querelle. Le premier, envoyé dans la Gaule Narbonnaise, s'arrêta en Étrurie, où il enrola beaucoup de monde, et marcha sur Rome pour y demander la confirmation du consulat. Mis en fuite par Catulus et Pompée, il passa en Sardaigne. Il se proposait de porter la guerre en Sicile, quand sa mort délivra la république des craintes qu'il avait fait naître. M. Junius Brutus, qui, dans la Gaule cisalpine, avait pris les armes pour la même cause, fut fait prisonnier à Modène par Pompée, et décapité. Les partisans de Sylla s'assurèrent ainsi la jouissance de leurs biens, pour la défense desquels ils avaient ressaisi le glaive.

Le parti de Marius et des Italiens était soutenu, en Espagne, avec une bien autre vigueur par Q. Sertorius, qui avait confondu sa propre cause avec celle de l'indépendance nationale. Né à Nursia, Sertorius avait suivi la route habituelle des jeunes Romains, commençant par plaider au Forum, et combattant ensuite contre les Cimbres, dans le camp desquels il eut la hardiesse de pénétrer comme espion. Son courage l'avait rendu cher à Marius. Il mérita de grands éloges en combattant en Espagne, et, devenu questeur dans la guerre des alliés, il leva rapidement une armée, perdit un œil dans une bataille, et fut accueilli au théâtre par de vifs applaudissements. Il se mêla aux factions, et favorisa celle de Marius, puis, lorsqu'il la vit décliner, il courut vers l'Ibérie pour en prévenir l'occupation, et y ménager un asile à ses amis. Il acheta des montagnards des Alpes la faculté de traverser librement leurs défilés; et comme on lui en faisait un reproche, il répondit: Celui qui médite de grands projets ne saurait payer le temps trop cher.

Jamais l'Espagne ne s'était résignée au joug, et des protestations sanglantes éclataient par intervalle contre ses dominateurs,

77.

Sertorius,

Espagne.

98.

Le consul Tullius Didius, venu pour apaiser ces rébellions, traita les naturels avec barbarie. Ayant conçu des soupçons contre ceux qui, peu auparavant, avaient été conduits à Colenda pour y former une colonie, il leur promit d'autres terres; puis, lorsqu'ils furent arrivés dans son camp avec leurs familles, il ordonna de séparer les hommes des femmes et des enfants, et les fit égorger tous par ses légionnaires. Rome approuva ce massacre. Les Celtibères coururent aux armes; mais ils durent enfin courber le front et se soumettre au joug. Sertorius, trouvant donc le pays dans les plus mauvaises dispositions contre les gouverneurs arrogants et cupides, sut se concilier la confiance des Ibères en les traitant avec douceur, en les exemptant des logements militaires, et en leur rendant bonne justice.

Sylla, devenu le maître despotique de Rome, chargea Caïus Annius d'aller expulser Sertorius; mais celui-ci se soutint assez longtemps dans ce pays, si favorable à la guerre défensive; puis, écrasé par le nombre, il finit par passer en Afrique, d'où il ne tarda pas à revenir, les soldats qu'il avait emmenés avec lui ayant été tués par les Berbères. Repoussé de nouveau, il formait le projet de passer le détroit pour gagner les îles Fortunées, où, suivant les récits de quelques trafiquants, la température était délicieuse, le terrain fertile, où des brises caressantes étaient chargées de rosée, où les fruits croissaient naturellement (1). Mais cette paix qu'il rêvait échappait à ses vœux, et le laissait en butte à de rudes épreuves. Il assiégea d'abord, en Afrique, Tingis (Tanger), la prit en dépit des partisans de Sylla, et la traita avec générosité. Les Lusitaniens l'appelèrent alors à leur secours contre Annius; il accourut, et repoussa successivement, à la tête de huit mille hommes, six généraux commandant à cent vingt mille fantassins, à six mille cavaliers et à deux mille archers. Les peuples désireux de recouvrer leur liberté et tous les mécontents que faisait Sylla vinrent grossir les rangs de son armée. Ayant mis les Romains en déroute, il constitua dans la Lusitanie une république, avec un sénat composé des Italiens les plus distingués parmi ceux qui s'étaient réfugiés dans son camp. Il choisissait parmi eux les questeurs et les autres magistrats, n'accordant aucune autorité aux Espagnols, dont les armes et les bras faisaient pourtant toute sa force. Il avait droit de dire, en comparant son

(1) Peut-être voulaient-ils parler des Canaries. La description que Plutarque donne de ces îles, dans la Vie de Sertorius, est conforme à celle d'Homère, mais ne convient à aucun pays connu jusqu'ici.

sénat, rempli d'hommes fermes et indépendants, avec celui qui s'était fait le vassal de Sylla: Rome n'est plus dans Rome, elle est toute où je suis.

Exempt des passions basses qui déshonoraient les autres chefs du peuple, il ne se laissait entraîner ni par la volupté, ni par la crainte, ni par la vengeance. Généreux dans les récompenses, modéré dans les châtiments, héros par la valeur, il ne le cédait à aucun capitaine dans l'art de modifier sa tactique selon le terrain et selon l'ennemi, d'éviter les engagements, de poursuivre son adversaire, de l'attirer dans une embuscade il tenait des armées entières en échec avec une poignée de braves, puis il les amenait peu à peu dans des lieux où la pesante légion romaine ne pouvait plus se mouvoir librement, où l'eau et les vivres venaient à lui manquer. Aucun Espagnol ne connaissait mieux que lui tous les passages, le moindre sentier; aucun chasseur n'était plus agile à parcourir les montagnes. Revêtu d'une armure splendide, il coupait la marche de l'ennemi, l'inquiétait dans ses campements, assiégeait les assiégeants, et parfois se présentait à la tranchée pour appeler en duel leur général. Plein d'audace et de ruse à la fois, il lui arrivait même de pénétrer, déguisé, jusque dans les rangs des Romains.

Il savait en même temps gagner l'affection des Espagnols; s'ils combattaient pour lui, il leur donnait généreusement de l'argent et de belles armures. Il réunit à Osca les fils des principaux d'entre eux, et les fit élever à la romaine. C'etaient pour lui des otages précieux, et en même temps leurs parents étaient satisfaits de les voir s'instruire: ce qui devait contribuer à civiliser la contrée. Lui-même avait adopté les vêtements, le langage, la croyance des Espagnols; il maintenait parmi ses troupes une discipline rigoureuse. Informé qu'une Espagnole avait arraché les yeux à un soldat qui voulait lui faire violence, et que la cohorte à laquelle il appartenait prétendait le venger en imitant sa brutalité, Sertorius la condamna tout entière à la mort, pour servir d'exemple. C'était l'usage des généraux espagnols d'avoir des écuyers dévoués à la vie et à la mort, qui périssaient avec eux (1). Sertorius en eut par milliers, qui, au milieu des périls, ne songeaient qu'à sauver ses jours. Pour obtenir une obéissance plus prompte

(1) Il en était de même chez les Gaulois, et ils appelaient ces écuyers scutarii. CÉSAR, de Bello Gall., III, 22. Dans l'île de Ceylan et dans le royaume de Tonkin, on trouve aussi des vassaux du roi dans ce monde et dans l'autre.

Pompée.

et un crédit surnaturel, il prétendit avoir découvert les os du Libyen Anthée, dont la taille était de soixante coudées : Diane, disait-il aussi, lui avait fait don d'une biche blanche qui lui révélait les choses dont il était informé par ses espions, et lui suggérait ce que sa prudence lui inspirait comme opportun. Quelquefois il animait l'ardeur de ses troupes ou les persuadait à l'aide de paraboles, moyen puissant sur les esprits vulgaires. Pour les faire renoncer aux attaques précipitées, il fit amener un vigoureux coursier, et ordonna à un homme des plus robustes de lui arracher la queue. Lorsqu'il y eut longtemps employé inutilement ses efforts, il la lui fit enlever crin à crin par un vieillard débile; leur montrant ainsi que la persévérance l'emporte sur la violence.

Métellus, un des généraux romains les plus habiles, échoua contre lui, et Sylla mourut avec le regret de n'avoir pu détruire ce foyer de révolte contre Rome, l'asile de tous les mécontents. En effet, l'Asie recommençait à élever la voix contre les exactions avides des chevaliers, dont le trafic usuraire et les avanies poussaient les peuples à la révolte. Les sénateurs, remis en possession des jugements et sûrs de l'impunité, exerçaient envers les provinces une tyrannie telle, que les actes en seraient incroyables, si le procès de Verrès n'était là pour les attester. Les corsaires, d'un autre côté, régnaient en maîtres sur les mers, et dévastaient les côtes; les esclaves faisaient résonner leurs chaînes avec un bruit redoutable, et Mithridate préparait l'Asie à engager de nouveau une lutte sanglante.

A tant d'ennemis menaçants la fortune allait opposer Pompée. Nous avons parlé précédemment de son père, dont l'avidité l'avait rendu si odieux aux soldats, qu'ils complotèrent contre ses jours. La piété ingénieuse de son fils réussit à le soustraire au péril; mais elle ne put empêcher, après sa mort, la populace indignée d'outrager son cadavre. Né d'un père odieux, Pompée n'en devint pas moins l'idole du peuple. A peine échappé aux persécutions de Cinna et de Carbon, il se vit caressé par Sylla, qui le jugea propre à lui concilier des partisans et à le servir sans lui porter ombrage. Il se conforma à la politique de Sylla, dont il irrita les cruautés sans y être porté par caractère; plusieurs fois même il se montra généreux. Après qu'il eut soumis l'Afrique, comme le dictateur lui refusait obstinément le triomphe, il lui dit : Rappelle-toi que les regards se portent plutôt vers le soleil levant que vers le soleil qui se couche. Sa hardiesse plut à Sylla, qui s'écria: Triomphe, triomphe.

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