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Abdication de

Sylla. 79.

tous, du nom de sa famille, s'appelèrent Cornéliens. Comme les livres sibyllins avaient été brûlés, il envoya dans les villes d'Érythrée, de Samos, d'Ilion, pour en recueillir des fragments; on en forma une nouvelle compilation, qui fut confiée à quinze personnes.

Il fallait que ses réformes fussent admises bon gré mal gré. Un jour qu'il rencontrait quelque opposition, il raconta cette fable: Un rustre, tourmenté de démangeaisons, óta son habit, et tua la vermine qui lui tomba sous la main. Comme elle se mit à le mordre de nouveau, il en tua beaucoup plus que la première fois. Sentant enfin une démangeaison plus vive encore, il jeta au feu, avec son vêtement, ces hôtes incommodes. Prenez garde qu'il ne vous en arrive autant.

Il n'eût pas hésité à passer des menaces aux faits; et Lucrétius Ofella en fournit la preuve. Il se recommandait à Sylla par les services importants qu'il lui avait rendus; il osa résister au dictateur, et celui-ci, siégeant sur son tribunal, ordonna à un centurion d'aller lui trancher la tête. N'était-il pas en effet dictateur, élu par le peuple et par le sénat, dans les formes légales? N'avaitpas, à ce titre, droit absolu sur la vie et les biens de tous? N'était-il pas maître de détruire ou d'édifier des villes, d'abattre ou de créer des rois ? Marius se laissait emporter par la fougue de la passion; mais Sylla tuait régulièrement, et dans les limites de la légalité.

il

La faction de Marius se soutenait encore en Afrique, où Domitius Ahenobarbus lui avait acquis un allié dans le Numide Hiarbas. Pompée, envoyé contre eux, tua le premier et fit l'autre prisonnier. Le vieux Sylla conçut de la jalousie contre le jeune vainqueur, et lui ordonna de revenir. Il obéit immédiatement, et le dictateur, satisfait de sa docilité, lui conféra le titre de Grand; puis il lui accorda, non sans difficulté toutefois, les honneurs du triomphe.

Sylla, qui continuait de se proclamer heureux, voulut donner une dernière preuve de son dédain pour l'humanité, qu'il avait foulée aux pieds : il abdiqua, et on le vit se promener, en simple particulier, au milieu d'un peuple décimé par lui. C'est bien à tort qu'on a vu là, de sa part, un acte de courage digne d'être admiré (1). Il avait introduit dans le sénat trois cents de ses créa

(1) « On ne peut rien imaginer de plus héroïque que son abdication. Le citoyen le plus vertueux et le plus zélé pour la liberté de la patrie aurait-il pu faire rien de plus pour elle? Non certes, répond l'Hist. universelle des par hommes de lettres anglais.

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tures; Rome comptait dans ses murs, où ils marchaient le front haut, dix mille Cornéliens, qu'un mot du dictateur avait changés d'esclaves en citoyens; cent vingt mille vétérans, qu'il avait d'abord conduits à la victoire, puis rendus propriétaires, étaient répandus par toute l'Italie, intéressés à conserver une vie d'où dépendait leur fortune: la multitude était livrée à la terreur ou accoutumée au joug. Ce fut donc une vaine comédie de sa part, et rien de plus, quand, ayant réuni le peuple, il lui dit : Romains, je vous rends l'autorité sans limites que vous m'avez confiée, et vous laisse vous gouverner par vos propres lois. Si quelqu'un parmi vous veut que je lui rende compte de mon administration, je suis prêt à le faire. Congédiant alors les licteurs, il se promena comme un simple particulier, sans que personne osât l'insulter. Seul un jeune homme étourdi lui adressa des injures; il se contenta de s'écrier: Celui-ci sera cause que l'on n'abdiquera plus la dictature.

Il partagea son temps, dans sa retraite, entre l'étude et les plaisirs, écrivit ses Mémoires, rédigea un code pour les habitants de Pouzzoles, se lia d'une amitié infâme avec le comédien Roscius, le bouffon Sorix et l'acteur Métrobe, qui jouait les rôles de femme dans la comédie. Il passait avec eux les jours et les nuits à boire, à consulter les devins, à célébrer les rites phrygiens, et à faire pis encore. Son naturel féroce se réveillait par intervalles, avec le désir de montrer qu'il n'avait abdiqué qu'en apparence. C'est ainsi que le questeur Granius différant à rendre ses comptes, il le fit étrangler sous ses yeux. Le dictateur, alors alité, souffrait de la maladie étrange qui termina sa carrière : il était rongé par une vermine sans cesse renaissante.

Son triomphe, après sa victoire sur Mithridate, avait duré deux jours; Rome depuis longtemps n'en avait pas vu d'aussi magnifique. On y porta quinze mille livres d'or et cent quinze mille d'argent, fruit du pillage de la Grèce et de l'Asie; venaient ensuite treize mille livres d'or et sept mille d'argent, sauvées par Marius de l'incendie du Capitole, et recouvrées à Préneste. Il fit en outre célébrer des jeux avec une pompe telle que ceux d'Olympie furent déserts (1). Ses obsèques eurent tout l'aspect d'un nouveau triomphe; son corps fut apporté de Cumes à Rome sur un lit d'une grande richesse, soutenu par quatre sénateurs. Alentour marchaient les colléges des prêtres et des vestales; à sa suite venaient

(1) PLUTARQUE et APPIEN.

Sa mort. 78.

Son

triomphe.

Ses

funérailles.

le sénat et les magistrats, avec les insignes de leur dignité; puis les chevaliers et ses vétérans. Le cortège passa au milieu des chants funèbres à la louange de celui qu'on avait perdu, des regrets de la foule, et des couronnes d'or envoyées par les villes, par les légions, par tous les admirateurs de sa gloire. Il fut enseveli au champ de Mars, comme les anciens rois, dont il ne lui manqua que le nom; et l'on inscrivit sur son tombeau que jamais personne n'avait su comme lui faire du mal à ses ennemis et du bien à ses amis.

Doué de qualités remarquables, aussi habile à la guerre que pendant la paix, dans la sédition que dans le conseil, il marcha toujours à un but déterminé, la restauration de l'aristocratie. Mais il vit de son vivant même tomber plusieurs de ses lois; à peine fut-il mort, que son édifice politique s'en alla en débris; l'unité que sa main de fer avait reformée se décomposa. Le pouvoir législatif était passé du peuple aux comices centuriates, c'est-àdire aux nobles; mais les patriciens, qu'il avait voulu favoriser, étaient eux-mêmes des plébéiens récemment anoblis, noblesse viciée jusqu'aux os; la seule qui existât désormais était celle des riches. Mais c'est là toujours l'aristocratie la moins solide, car la mobilité de l'élément qui la constitue ne permet pas à l'opinion de prendre racine: ses fauteurs eux-mêmes devaient bientôt faire passer la puissance à d'autres. Ni Sylla, qui caressait le passé dans ses préjugés aristocratiques, ni les Gracques, qui cherchaient à le faire revivre par la démocratie, n'avaient aperçu la nécessité d'un élément intermédiaire, le seul qui pût maintenir la paix par l'équilibre de l'un et de l'autre.

Mais ces soldats, auxquels le dictateur avait appris à s'enrichir par le glaive et à soutenir les généraux contre la patrie, n'étaient que trop épris de tout ce qui avait un aspect aventureux; ils y voyaient l'occasion d'une nouvelle guerre civile, avec son cortége de pillages et de proscriptions. Il tardait aussi aux familles appauvries par la spoliation de secouer la torpeur léthargique du pays, et de réparer leurs pertes. Les immenses richesses rapportées de l'Asie excitaient le désir de l'épuiser encore par des concussions, ou de la piller les armes à la main. L'heureux succès de Sylla encourageait les jeunes gens audacieux et d'une fortune récente, comme Lucullus, Crassus, Pompée, César, convaincus désormais, par l'exemple du dictateur, que Rome pouvait supporter un maître.?

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A peine Sylla avait-il fermé les yeux, qu'Emilius Lépidus tenta d'abroger ses lois et de relever la faction italienne; mais il trouva dans l'autre consul, Lutatius Catulus, un adversaire ardent et même farouche: le sénat crut devoir leur faire jurer qu'ils n'en viendraient pas aux mains pour vider leur querelle. Le premier, envoyé dans la Gaule Narbonnaise, s'arrêta en Étrurie, où il enrola beaucoup de monde, et marcha sur Rome pour y demander la confirmation du consulat. Mis en fuite par Catulus et Pompée, il passa en Sardaigne. Il se proposait de porter la guerre en Sicile, quand sa mort délivra la république des craintes qu'il avait fait naître. M. Junius Brutus, qui, dans la Gaule cisalpine, avait pris les armes pour la même cause, fut fait prisonnier à Modène par Pompée, et décapité. Les partisans de Sylla s'assurèrent ainsi la jouissance de leurs biens, pour la défense desquels ils avaient ressaisi le glaive.

Le parti de Marius et des Italiens était soutenu, en Espagne, avec une bien autre vigueur par Q. Sertorius, qui avait confondu sa propre cause avec celle de l'indépendance nationale. Né à Nursia, Sertorius avait suivi la route habituelle des jeunes Romains, commençant par plaider au Forum, et combattant ensuite contre les Cimbres, dans le camp desquels il eut la hardiesse de pénétrer comme espion. Son courage l'avait rendu cher à Marius. Il mérita de grands éloges en combattant en Espagne, et, devenu questeur dans la guerre des alliés, il leva rapidement une armée, perdit un œil dans une bataille, et fut accueilli au théâtre par de vifs applaudissements. Il se mêla aux factions, et favorisa celle de Marius, puis, lorsqu'il la vit décliner, il courut vers l'Ibérie pour en prévenir l'occupation, et y ménager un asile à ses amis. Il acheta des montagnards des Alpes la faculté de traverser librement leurs défilés; et comme on lui en faisait un reproche, il répondit: Celui qui médite de grands projets ne saurait payer le temps trop cher.

77.

Sertorius.

Jamais l'Espagne ne s'était résignée au joug, et des protesta- Espagne. tions sanglantes éclataient par intervalle contre ses dominateurs,

98.

Le consul Tullius Didius, venu pour apaiser ces rébellions, traita les naturels avec barbarie. Ayant conçu des soupçons contre ceux qui, peu auparavant, avaient été conduits à Colenda pour y former une colonie, il leur promit d'autres terres; puis, lorsqu'ils furent arrivés dans son camp avec leurs familles, il ordonna de séparer les hommes des femmes et des enfants, et les fit égorger tous par ses légionnaires. Rome approuva ce massacre. Les Celtibères coururent aux armes; mais ils durent enfin courber le front et se soumettre au joug. Sertorius, trouvant donc le pays dans les plus mauvaises dispositions contre les gouverneurs arrogants et cupides, sut se concilier la confiance des Ibères en les traitant avec douceur, en les exemptant des logements militaires, et en leur rendant bonne justice.

Sylla, devenu le maître despotique de Rome, chargea Caïus Annius d'aller expulser Sertorius; mais celui-ci se soutint assez longtemps dans ce pays, si favorable à la guerre défensive; puis, écrasé par le nombre, il finit par passer en Afrique, d'où il ne tarda pas à revenir, les soldats qu'il avait emmenés avec lui ayant été tués par les Berbères. Repoussé de nouveau, il formait le projet de passer le détroit pour gagner les îles Fortunées, où, suivant les récits de quelques trafiquants, la température était délicieuse, le terrain fertile, où des brises caressantes étaient chargées de rosée, où les fruits croissaient naturellement (1). Mais cette paix qu'il rêvait échappait à ses vœux, et le laissait en butte à de rudes épreuves. Il assiégea d'abord, en Afrique, Tingis (Tanger), la prit en dépit des partisans de Sylla, et la traita avec générosité. Les Lusitaniens l'appelèrent alors à leur secours contre Annius; il accourut, et repoussa successivement, à la tête de huit mille hommes, six généraux commandant à cent vingt mille fantassins, à six mille cavaliers et à deux mille archers. Les peuples désireux de recouvrer leur liberté et tous les mécontents que faisait Sylla vinrent grossir les rangs de son armée. Ayant mis les Romains en déroute, il constitua dans la Lusitanie une république, avec un sénat composé des Italiens les plus distingués parmi ceux qui s'étaient réfugiés dans son camp. Il choisissait parmi eux les questeurs et les autres magistrats, n'accordant aucune autorité aux Espagnols, dont les armes et les bras faisaient pourtant toute sa force. Il avait droit de dire, en comparant son

(1) Peut-être voulaient-ils parler des Canaries. La description que Plutarque donne de ces îles, dans la Vie de Sertorius, est conforme à celle d'Homère, mais ne convient à aucun pays connu jusqu'ici.

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