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87.

Rappel de

se trouvaient jusqu'à quinze mille esclaves des Romains, qui combattirent en désespérés (1).

Mais tandis que Sylla était victorieux en Grèce, son parti succombait en Italie. L. Cornélius Cinna, qui, ainsi que nous l'avons vu, s'était déclaré contre lui, proposa de nouveau de répartir les alliés italiens dans les trente-cinq tribus. Octavius, partisan inGuerre civile. Corruptible du sénat (2), s'y opposa; on finit par courir aux armes, et les rues de Rome furent inondées du sang des Italiens. Il en périt, dit-on, dix mille; les autres furent obligés de sortir de la ville avec Cinna et six tribuns. Le sénat déclara Cinna déchu du consulat. Celui-ci, s'étant mis à la tête des Italiens pour soutenir la cause des alliés, put réunir assez d'hommes et d'argent pour former trente légions; il rappela les exilés, et avec eux Marius. Le sénat, effrayé de ce nouveau danger, fait mettre la ville en état de défense. Sur ces entrefaites, Marius arrive à Télamon, et les Italiens accourent sur ses pas il appelle les esclaves à la liberté, et enrôle les paysans les plus robustes. Sertorius, général des plus vaillants, se déclare pour lui, et tous trois ils prennent la résolution d'attaquer Rome de concert. Marius, repoussant toute espèce de titre et de distinction, et marchant courbé comme sous le poids des cruelles souffrances qu'il avait éprouvées, couvait dans son cœur et dissimulait mal dans son regard la pensée d'atroces vengeances.

Marius.

On se battit sous les murs de Rome, citoyens contre citoyens; et l'on vit deux frères combattre dans les rangs opposés. L'un d'eux tomba sous les coups de l'autre, et quand le meurtrier reconnut sa victime, il se jeta dans ses bras pour recueillir son dernier soupir; puis s'écriant: Les partis nous ont séparés, que le bûcher nous réunisse! il se perça de l'épée fratricide (3): terrible symbole du sort des Italiens!

Les consuls étaient peu préparés à la défense. Pompéius Strabon, qui faisait la guerre aux insurgés sur les bords de l'Adriatique, fut rappelé, et agit si mollement, qu'on le soupçonna de vouloir laisser les deux partis se détruire, dans l'espoir de dominer seul. On envoya donc l'ordre à Métellus le Numidique de

(1) PLUTARQUE, Vie de Sylla.

(2) Plutarque, pour prouver com bien c'était un rigoureux observateur de la justice, raconte que, pressé de rendre la liberté aux esclaves dans un si grand péril, il protesta qu'il n'admettrait jamais les esclaves dans la patrie, après en avoir repoussé Marius pour la défense des lois.

(3) OROSE, V, 9.

terminer du mieux qu'il pourrait la guerre contre les Samnites, encore indomptés, et de revenir au plus tôt. Mais, lorsqu'il était sur le point de conclure avec eux, Marius leur offrit des conditions plus avantageuses: ils tentèrent donc de nouveau la chance des armes, et Métellus dut retourner sans armée à Rome.

Cependant la désertion augmentait dans les rangs des Romains; et Marius, s'étant assuré la possession des villes maritimes Prise de Rome. et d'Ostie, finit par bloquer Rome, que la famine, la contagion, les soulèvements d'esclaves, forcèrent à se rendre. Cinna voulut, avant d'y entrer, être reconnu de nouveau pour consul; Marius s'arrêta à la porte, disant qu'il ne convenait pas à un misérable proscrit comme lui de pénétrer dans la cité. Mais toutes les tribus n'avaient pas encore voté son rappel, qu'il entra dans Rome, en ordonnant à son escorte d'esclaves de tuer tous ceux auxquels il rendrait le salut.

Alors commença un horrible carnage; le consul Octavius et les sénateurs les plus illustres furent massacrés.

Quant aux maîtres, les esclaves exercèrent sur eux d'effroyables vengeances. Nous citerons comme exception ceux de Cornutus, qui, l'ayant aidé à se sauver dans sa maison de campagne, pendirent à sa place un cadavre qu'ils feignirent d'outrager: Cornutus dut son salut à cette fraude pieuse.

Catulus, dont le crime était d'avoir eu la principale part à la victoire sur les Cimbres, s'empoisonna, pour dérober à Marius le plaisir de le faire mourir. Le consul et grand pontife Merula se rendit au temple, déposa les bandelettes sacrées, et, s'étant assis sur le trône pontifical, s'y fit ouvrir les veines. Il expira en arrosant les autels de son sang, et en proférant de terribles imprécations. L'orateur Marc-Antoine, la merveille de son temps, comme l'appelle Cicéron, se réfugia dans la maison de campagne d'un de ses amis, qui, joyeux de recevoir un tel hôte, envoya son esclave à l'hôtellerie voisine, pour se procurer de bon vin. L'imprudent ne cacha pas à l'aubergiste le nom de l'hôte à qui son maître avait donné asile, et cet homme le dénonça. Les satellites de Marius accoururent, et, bien qu'arrêtés un moment par l'éloquence et par la majesté du grand orateur, ils lui tranchèrent la tête. Marius embrassa le sicaire qui lui apporta cette tête, et la fit exposer sur la tribune où, durant tant d'années, elle avait défendu le bon droit; où, quelques années plus tard, devait être aussi suspendue celle d'un orateur plus illustre encore.

Les esclaves s'étant livrés au tumulte, par suite du retard ap

porté au payement de la solde promise par Cinna, Marius les fit réunir dans le Forum, où ils furent égorgés par milliers. Enivré plutôt que rassasié de sang, consul pour la septième fois, il ne put échapper à la terrible expiation du remords; il chercha en vain à s'étourdir dans des excès de table, jusqu'à l'instant où une courte Fin de Marius. maladie mit au tombeau ce vieillard septuagénaire. Marius, son fils, héritier de son pouvoir, fit égorger tous les sénateurs que l'on trouva dans Rome, et nommer au consulat Valérius Flaccus, sa créature, qui s'attira les bonnes grâces de la plèbe en décrétant que les créanciers seraient tenus de donner quittance moyennant payement d'un quart de la dette. Mais il s'agissait d'empêcher le retour de Sylla.

15 janvier 86.

Sylla

à Athènes.

87.

4 mars.

Ce général avait assiégé Athènes, où Ariston venait d'usurper la tyrannie. Comme l'argent lui manquait, il faisait envoyer à son camp les dépouilles de tous les temples, et il répondait aux réclamations des amphictyons que ces richesses seraient plus en sûreté dans ses mains; mais en plaisantant avec ses amis, il leur disait qu'il était sûr de la victoire, puisque les dieux eux-mêmes payaient ses troupes. Les Grecs frémissaient, et citaient avec regret Flamininus, Acilius, Paul-Émile, qui s'étaient abstenus de toucher aux objets sacrés. Mais ceux-là avaient été légalement élus, et commandaient à des guerriers sobres et disciplinés; joignant la grandeur d'âme à des mœurs modestes, ils n'auraient pas vu moins de lâcheté à favoriser la soldatesque qu'à redouter l'ennemi. Les chefs actuels, au contraire, parvenaient au premier rang par violence ou à prix d'or; aussi leur fallait-il prendre exemple sur leurs fauteurs, et tout vendre pour tout acheter. Or, Sylla fut précisément le premier à donner en grand l'exemple de ces largesses corruptrices.

Les Athéniens, réduits aux dernières extrémités par la famine, envoyèrent à Sylla des ambassadeurs qui discoururent de Thésée, de Codrus, de Marathon, de Salamine. Il leur répondit: Gardez vos beaux discours pour l'école; je suis ici pour punir des rebelles, et non pour apprendre votre histoire. Il finit par prendre la ville d'assaut, secondé par ces traîtres qui jamais ne manquèrent dans les guerres de la Grèce, et fit couler des torrents de sang; il voulait même la détruire, mais il se laissa fléchir, et pardonna aux vivants par égard pour les morts.

Mais tandis qu'il triomphait au dehors, Sylla était proscrit dans sa patrie, et il lui fallait désormais se défendre contre les armées de la faction adverse, envoyées pour le combattre ou même

pour le tuer. Le consul Flaccus, auquel était destiné le gouvernement de l'Asie, défaisait, à la tête de troupes nombreuses fournies par les alliés, les généraux de Mithridate. Il avait pour lieutenant Fimbria, homme odieux pour son insatiable cruauté ; il avait voulu, lors des funérailles de Marius, faire assassiner l'augure Q. Scévola; et le coup ayant manqué, il le cita en jugement. Comme tout le monde lui demandait avec étonnement de quoi il pouvait accuser un homme aussi irréprochable, il répondit qu'il lui reprochait de n'avoir pas reçu dans le flanc toute la lame du poignard (1). Cette logique ne manqua pas d'imita

teurs.

Devenu lieutenant de Flaccus, Fimbria souleva contre son chef une partie de l'armée, le défit et le tua, puis se mit à la tête de toutes les forces romaines en Asie. Un jour qu'il avait fait dresser des potences, et qu'il les vit en plus grand nombre qu'il n'avait de malfaiteurs à punir, il fit prendre au hasard parmi les spectateurs pour remplir les places vides. Comme il ne manquait pourtant pas de valeur, il vainquit les généraux de Mithridate, et lui laissa à peine le temps de se réfugier dans Pitane, où il l'assiégea. Il avait besoin, pour emporter cette place forte, du secours de la flotte; mais Lucullus, qui la commandait, étant du parti opposé à celui de Marius et de Fimbria, refusa de le seconder, ce qui permit au roi de Pont de chercher un asile à Mitylène. Fimbria s'empara alors de Pitane, et alla assiéger Troie. En vain Sylla lui enjoignit de l'épargner; il prit la ville d'assaut, massacra la population, renversa les édifices, et se vanta d'avoir fait périr plus d'hommes en dix jours qu'Agamemnon en dix ans.

Mithridate, resserré entre deux ennemis, fit faire des ouvertures à Sylla, qui, désireux d'aller voir ce qui se passait en Italie, et d'enlever à Fimbria la gloire de cette campagne, prêta volontiers l'oreille à ses propositions, et consentit à une conférence avec lui à Dardanum, dans la Troade. Le roi de Pont s'y rendit avec vingt mille hommes, six cents chevaux, une foule de chars armés de faux, et soixante vaisseaux; Sylla avec deux légions et deux cents hommes de cavalerie. Mais ce fut lui qui dicta les conditions. Mithridate dut se borner à les accepter. Il fut convenu que le roi retirerait ses troupes de toutes les villes qui ne lui auraient pas appartenu avant la guerre; qu'il rendrait à Nicomède la Bithynie, à Ariobarzane la Cappadoce, et tous les pri

(1) CICERON, Pro Roscio Amerino.

Paix.

sonniers sans rançon; qu'il payerait deux mille talents, et fournirait à Sylla quatre-vingts vaisseaux équipés, avec cinq cents archers; qu'il ne témoignerait aucun ressentiment contre les villes ou les citoyens qui avaient fait preuve de zèle en faveur des Romains.

Que me laisses-tu donc? demanda Mithridate.

Je te laisse la main qui a signé l'arrêt de mort de cent mille Romains.

Ce fut ainsi que Sylla, en moins de trois ans, mena à heureuse fin une guerre des plus dangereuses, dans le cours de laquelle il recouvra la Grèce, l'Ionie, la Macédoine et l'Asie; qu'il déclara indépendants et alliés de Rome, les Rhodiens, les Magnésiens, les Troyens, les Chiotes; et tua à Mithridate cent soixante mille hommes. Il aurait pu le prendre lui-même, et épargner trente ans de guerre à sa patrie.

Fimbria, qui refusa de se soumettre, fut attaqué vivement, et réduit à une telle extrémité qu'il se tua.

Sylla, impatient de regagner l'Italie, exploitait l'Asie, qu'il imposait à vingt mille talents (cent millions), et envoyait ses soldats vivre à discrétion chez ceux qui s'étaient montrés les adversaires de Rome. Il avait soin d'ailleurs de se concilier les troupes, en fermant les yeux sur leurs rapines et sur leurs déportements. Après avoir dépouillé les temples de Delphes, d'Olympie, d'Épidaure, les soldats de Sylla logeaient dans les palais, où ils jouissaient des molles délices de l'Asie, bains, théâtres, esclaves, sérails; et tandis que la flotte congédiée par Mithridate, éparpillée en petites escadres, achevait, par la piraterie, de désoler le pays, ils s'en autorisaient pour se livrer à leurs cruautés, à leurs pillages, à leurs débauches, tout en jetant leurs regards du côté de l'Italie, comme sur une proie.

CHAPITRE VIII.

DICTATURE DE SYLLA.

Le pouvoir était exercé à Rome par Cinna, qui, sans recueillir les suffrages, s'était déclaré lui-même consul pour la troisième fois, avec Papirius Carbon, et avait distribué les charges à qui bon lui avait semblé. Mais lui-même était dominé par la soldates

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