Billeder på siden
PDF
ePub

encore des peintures de mœurs. Dans ce nombre on peut compter le Sénateur, qui dérida le front de Napoléon lui-même, au temps de ses plus grands embarras.

Toutefois, la gaieté de Béranger ressemble au comique de Molière, souvent très-sérieux quand il nous fait rire de nous-mêmes et des autres: mais, comme le contemplateur, il a pensé au peuple et à tant de gens comme il faut, qui sont peuple aussi. Le Petit Homme Gris, la Mère Aveugle, le Voisin, sont des farces qu'il donne après de bonnes comédies. Le rigorisme y a repris des traits qui ne sont pas exempts de quelque licence : mais la cour de Louis XIV a permis à Molière bien des choses que notre pruderie de nouvelle date repousserait aujourd'hui, sans qu'on pût inférer justement de ces scrupules, que nos mœurs fussent préférables à celles de nos devanciers. Disons cependant à Béranger qu'il ne lui est presque plus permis de faire des couplets grivois ou des chansons de table, à moins qu'il ne les réserve pour chasser quelque maladie noire dont un ami se trouverait attaqué. Nous lui passerons encore quelques boutades, pourvu qu'elles soient des remèdes efficaces, comme la gaieté de ce Carlin de la comédie italienne qui guérissait du spleen.

Béranger laisserait encore un nom, même quand il ne serait que le rival des Panard et des Collé; mais il y a plus en lui qu'un membre

de cet ancien caveau, si bien surnommé l'Académie du plaisir par M. Étienne. Béranranger est un poète choisi pour ressusciter l'ode grecque et rétablir l'antique accord du chant avec la langue des dieux. Il est venu rendre populaires, par le secours de la musique, des compositions qui auraient pu rester renfermées dans le cercle étroit des premières classes de la société. Sous ce rapport, Béranger a rendu un service à la littérature, à la poésie, à la raison, et beaucoup fait pour sa gloire. Les noms qui passent à la postérité par l'entremise d'un peuple ne meurent jamais.

En revenant aux exemples des anciens, il a même Béranger ne porte aucune entrave, poussé plus loin qu'eux la liberté de prendre tous les tons, soit pour éviter l'uniformité, soit pour mieux représenter la nature dans laquelle une scène du genre le plus élevé touche à une scène familière. C'est ainsi que vous lirez l'Opinion et la Complainte de ces demoiselles, auprès de l'ode intitulée Mon Ame, qui ressemble à un hymne de Simonide. Ici la raison elle-même ordonne de pardonner des choses dont la pudeur s'alarme, parce que sans elle la littérature manquerait de l'une des plus utiles censures d'un grand scandale qui devait être puni par un poète citoyen. Observons que le ton plaisant pouvait seul permettre les libertés dont le

sujet avait besoin pour produire l'effet désiré. La leçon était sanglante, et cependant elle ne parut pas odieuse comme certains traits d'Aristophane, parce que la satire de Béranger ressemble à celle de La Fontaine : en effet, on sent de la bonhomie jusque dans ses plus grandes colères.

Au reste, si l'on pouvait en vouloir un moment à Béranger, on ne lui garderait pas long-temps rancune, en voyant combien les affections douces et tendres dominent dans ses compositions. Si j'ouvre Anacréon, je trouve un homme occupé de lui seul, qui ne pense qu'à sa coupe ou à sa maîtresse. Il y a toujours un ami en tiers dans les plaisirs de Béranger; l'amitié est sans cesse auprès de lui pour recevoir ces confidences de l'amour qui ont tant de prix pour les cœurs sensibles. Qu'un ami de Béranger tombe dans le malheur, il obtiendra du poète des tributs que la puissance et la richesse essaieraient en vain de payer au poids de l'or et des honneurs. Je n'ai jamais flatté que l'infortune, est la devise de Béranger : ignore surtout comment on supprime l'éloge de Gallus.

Les élégantes compositions, les vers polis d'Horace, les brillantes descriptions de Properce, les tendres supplications de Tibulle, nous inspirent fort peu d'intérêt pour les femmes dont ils ont porté les chaînes : personne n'envie le sort des amans de Pyrrha,

de Cinthie et de Némésis; mais la Lisette de Béranger, simple, tendre, sensible et pourtant friponne, a un charme particulier : on croit au bonheur de son poète. Et puis comme il lui parle d'amour! Tantôt c'est l'accent de Parny qui invite Éléonore à venir habiter les champs; tantôt c'est le ton de Voltaire, dans l'épître des Tu et des Vous; ailleurs, on dirait de Chaulien devenu plus sensible, mêlant la gaieté d'un convive heureux à des souvenirs politiques, et baissant ensuite humblement la tête sous le joug présenté par sa maitresse. Ce dernier trait rappelle la chanson qui a pour titre la République; chanson pleine de grâce et d'originalité, qui contient, sous des formes légères, des allusions aux plus grands événemens du siècle.

Par une certaine habitude de mélancolie qui fait le charme de son talent, Béranger aime à devancer le cours des ans et à jeter ses regards au-delà des bornes de sa vie. Ce retour triste et doux sur un passé qui est encore du présent lui a inspiré le Bon Vieillard, la plus pure peut-être de ses compositions. Les souvenirs, les sentimens, les espérances, les délicatesses du cœur, l'amour sacré de la patrie, font de cette ode une pièce achevée, dont il n'y a de modèle ni dans l'antiquité ni chez les modernes : on ne peut la lire sans répandre des larmes. A

l'exemple de Tibulle, Parny a interrompu les transports d'une passion fortunée pour chanter sa mort; Béranger, non moins touchant, adresse en quelque sorte ses dernières volontés à sa maîtresse. Encore jeune et jolie, il en fait une bonne vieille qui pleure son ami. L'esprit adopte avec plaisir cette fiction attendrissante; mais comme l'intérêt s'élève et sort du cercle étroit des choses personnelles, quand le poète termine ses adieux en reportant notre pensée sur les malheurs de la patrie et l'espérance de l'immortalité !

Béranger n'affecte pas tel ou tel état de l'ame pour complaire à son talent. Il cède à ses impressions, et ses ouvrages en portent l'empreinte. Triste aujourd'hui, il fait une ode élégiaque, comme celle d'Horace sur la mort de Quintilius; demain le ciel sourit, son imagination prend les riantes couleurs de l'horizon et enfante des rêves de bonheur, Alors il invente, il compose, il écrit à la manière des Grecs sans penser à imiter personne. Que sont les souhaits tant vantés d'Anacréon auprès de la chanson du Petit Oiseau, où le sourire est toujours près des larmes ? C'est le même genre de mérite qui donne tant de prix à l'Aveugle de Bagnolet, le Bélisaire de la chanson. On retrouve encore la teinte d'une douce sensibilité dans la chanson sì

originale des Étoiles qui filent et dans la pièce intitulée Ma lampe, l'un des éloges les plus

« ForrigeFortsæt »