ces derniers temps, nous avons déféré presque généralement à l'autorité d'un si grand nom. Les personnes qui voudront se convaincre que Scaliger a souvent défiguré Tibulle, devront consulter le travail de Heyne. M. Amar a préféré cette dernière révision dans sa jolie Collection des classiques latins. Désirant que mon ouvrage se recommandat du moins par la grande pureté du texte, j'ai suivi fidèlement celui de Heyne, en adoptant toutefois les corrections proposées dans l'édition d'Amar, lorsqu'elles m'ont paru nécessaires. Des occupations d'un genre assez grave sembleraient devoir m'éloigner du commerce des Muses. J'espère cependant que ces distractions de jeunesse ne m'attireront pas le blâme de personnes que je respecte, et qui savent d'ailleurs combien il est de momens dont peut disposer l'homme le plus sérieusement occupé. Le tenips , assez long , que j'ai mis à traduire un petit recueil, prouve bien que mes journées n'ont pas été remplies par ce travail d'agrément. SUR TIBULLE. On ne connaît guères Tibulle que par ses ouvrages. Nous écarterons les fables débitées par quelques-uns de ses biographes, et nous nous bornerons à présenter, dans cette notice, les détails qui peuvent mériter l'attention et la confiance du lecteur. Tibulle a perdu son prénom par la négligence des copistes. Il était de la gens Albia ( Albius Tibullus ), et chevalier romain. On connaît une autre gens Albia. Elle était patricienne, et donna des consuls à la république; mais elle n'a pas eu l'honneur de produire notre poète. L'auteur de sa vie , tirée des anciens manuscrits, lui donne le titre de chevalier. On ne sait s'il naquit à Rome. On n'est pas non plus d'accord sur l'époque de sa naissance. Cependant cette époque paraît déterminée avec précision, par ces deux vers de l'Élégie v, livre III : Natalem nostri primum videre parentes , « Je suis né quand Modène , au pied de ses murailles , C'est-à-dire l'an de Rome 711, lorsque Hirtius et Pansa périrent, dans la guerre de la république contre Antoine. Mais ces deux vers sont suspects , et les critiques pensent qu'ils ont été empruntés, par un copiste, à Ovide, qui dit la même chose de lui. On a lieu de croire qu'en effet Tibulle était plus âgé que Ovide. Il accompagna Messala dans ses guerres d'Aquitaine, vers l'an de Rome 724, et il mérita les récompenses militaires. N'aurait-il eu alors que treize ou quatorze ans ? Ovide lui-même dit quelque part de notre poète : : Successor fuit hic tibi, Galle, Propertius illi ; a « Il a succédé à Gallus; Properce a suivi Tibulle; je suis » venu le dernier. » Le premier livre des Odes d'Horace fut publié l'an 733. Dans une de ces Odes, le favori de Mécènes cherche à consoler Tibulle de ce que Glycère lui préfère un jeune rival. Notre poète approchait donc alors de la maturité. On pourrait ajouter d'autres preuves, mais cela paraît superflu *. Horace naquit vers l'an de Rome 689, et les critiques rapportent la naissance de Tibulle à l'an 6go. Il ne mourut donc pas si jeune qu'on le dit, mais à quarante-cinq ans environ, un peu après Virgile, vers 735. L'épigraphe composée par Domitius Marsus, leur contemporain : * Vorez cependant le Tibulle de M. de Golbéry ( Collection des classiques latins , par M. Lemaire), et les travaux remarquables de ce savant qui, nous devons l'avouer, rapporte sa naissance de Tibulle à l'an 710 ou 711. Te quoque Virgilio comitem non æqua, Tibulle, « Sur les pas de Virgile , au ténébreux rivage, Cette épigraphe n'est pas contraire à notre opinion ; le mot juvenis ayant, comme on sait, un sens très étendu. Tibulle avait été riche, et il devint pauvre. Quelquesuns ont attribué ce malheur à sa prodigalité. En effet , un passage de la quatrième Élégie du livre second, aurait pu faire soupçonner que ses maîtresses l'aidèrent à dissiper sa fortune. mius est nobis lege colendus amor. Ite sub imperium , sub titulumque Lares. « Aimons à sa manière , ou ne la servons plus ! On a été plus loin. Un commentateur d'Horace s'est attaché à représenter Tibulle comme un débauché, un homme sans règle et sans frein, forcé de vivre à la campagne pour fuir ses créanciers qui le poursuivaient à Rome. Mais ce n'est pas là le portrait que nous en fait le favori de Mécènes. On ne sait trop où ce commentateur téméraire a trouvé de quoi fonder une opinion si défavorable à notre poète. Il l'a confondu avec le personnage dont parle Horace, dans la Satire iv, livre Ier. Nonne vides Albi ut male vivat filius..... Magnum documentum ne patriam rem « Vois-tu la triste vie que mène le fils d’Albius? Grande » leçon pour les jeunes gens qui seraient tentés de dissiper » leur patrimoine ! » Mais est-il à croire que l'aimable Horace ait employé des expressions si outrageantes à l'égard de ce Tihulle à qui il à parle d'un ton si différent dans une épître que nous citel'ons bientôt ? Il est plus vraisemblable que le malheur des temps causa la perte de sa fortune, et que les vétérans d’Auguste le dépouillèrent, ainsi que d'autres chevaliers romains, dont le crime était de posséder de grandes richesses, et d'avoir tenu le parti de la république. Cette opinion est fondée entre autres sur ce passage du panegyrique de Messala * : Languida non noster peragit labor otia , quamvis « C'est en vain que la fortune ennemie me persécute à sa » manière; le chagrin ne saurait me jeter dans un mol en>> gourdissement. J'ai vu l'abondance régner dans ma mai» son opulente; des moissons dorées couvraient mes sil» lons , et, chacune en son temps, enrichissaient mes gre» niers qui ne pouvaient suffire à tant de biens. Sur mes » côteaux paissaient des troupeaux sans nombre. C'était » assez pour le maître , assez pour les loups et les voleurs. * Nous verrons que Tibulle en est l'auteur. |