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» Aujourd'hui je n'en ai plus que le regret. Il se renou» velle chaque fois qu'un souvenir douloureux me retrace » mes premières années. Mais, fussé-je encore plus mal» traité, et dépouillé de ce qui me reste, ma muse ne » cessera jamais de célébrer tes louanges.

>>

Ainsi Tibulle aurait été dépouillé de la plus grande partie de ses biens. On fait encore observer, à l'appui de cette opinion, qu'il ne parle jamais d'Auguste dans ses poésies. Quoique ces argumens, tirés du silence d'un auteur, soient en général peu concluans, on a lieu de s'étonner que celui qui célébra Messala avec tant de complaisance, n'ait pas dit un mot du maître des Romains, bien que l'occasion s'en soit présentée plusieurs fois. S'il n'avait pas eu à se plaindre de lui, aurait-il fait une exception si remarquable parmi les poètes de son siècle?

Au reste, sa pauvreté ne fut pas indigence. Il s'estimait pauvre, parce qu'il s'était vu très riche; mais on peut croire, sur la foi d'Horace, que, même après ses malheurs, il jouissait encore d'une honnête aisance. Que dire des personnes qui avancent qu'il écrivait pour vivre? Elles se fondent sur une mauvaise interprétation de ce vers que nous avons cité :

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Languida non noster peragit labor otia.....

Mais est-il besoin d'en expliquer le véritable sens, pour réfuter une opinion si ridicule ? Il est trop évident que la misère et la faim n'ont pas inspiré l'amant de Délie, et que ce poète si élégant, si soigné, qui a laissé un si mince recueil, n'avait pas mis son Apollon aux gages d'un libraire.

Il sauva plusieurs débris de son patrimoine, entre autres une ferme dans les environs de Pedum. Il aima la campa

gne, et s'y retira souvent. On peut se convaincre par la lecture de l'épître d'Horace, dont nous avons déjà parlé, que ces retraites n'étaient pas motivées par la nécessité de fuir des créanciers impitoyables. Voici cette épître :

Albi, nostrorum sermonum candide judex,
Quid nunc te dicam facere in regione Pedana ?
Scribere quod Cassi Parmensis opuscula vincat?
An tacitum silvas inter reptare salubres,
Curantem quidquid dignum sapiente, bonoque est ?
Non tu corpus eras sine pectore. Di tibi formam,
Di tibi divitias dederunt artemque fruendi.
Quid voveat dulci nutricula majus alumno,
Quam sapere et fari possit quæ sentiat, et cui
Gratia, fama, valetudo, contingat abunde,
Et mundus victus non deficiente crumena?
Inter spem, curamque, timores inter et iras,
Omnem crede diem tibi diluxisse supremum :
Grata superveniet quæ non sperabitur hora.
Me pinguem et nitidum bene curata cute vises,
Cum ridere voles, Epicuri de grege porcum.

« Critique sincère de ma prose mesurée, cher Tibulle, » à quoi vous occupez-vous dans les environs de Pedum? >> Faites-vous des vers à l'envi de Cassius de Parme? Ou » bien vous promenez-vous en silence dans les bois, cher>> chant sous leur ombre salutaire des vérités dignes du »sage et de l'homme de bien ? Vous n'êtes point un corps » sans âme. Les dieux vous ont donné la beauté, la ri» chesse avec le talent d'en jouir. Que peut souhaiter de plus la tendre nourrice à son élève chéri, que de savoir » penser et exprimer ses pensées, et de joindre à ces avan>> tages le crédit, la réputation, la santé, une table hon»> nête entretenue par une fortune aisée? Au milieu des » espérances, des craintes, des inquiétudes et des mécon» tentemens de la vie, regardez chaque jour comme le

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>>

» dernier qui luit pour vous. Celui qui surviendra sans >> être attendu vous en sera plus agréable. Je vous donne » l'exemple: venez chez moi; vous trouverez un homme

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brillant de santé, prenant grand soin de son existence, » enfin, pour peu que vous soyez en humeur de rire, un » pourceau de la troupe d'Épicure. »>

(Traduction de BINET.)

On a prétendu que cette pièce ne fut pas adressée à notre poète : mais à qui vont mieux ces mots : Nostrorum sermonum candide judex, et ceux-ci : Scribere quod Cassi Parmensis opuscula vincat ? Est-il probable qu'il ait existé, dans le même temps, un autre Albius qui fît aussi des vers? Ce Cassius de Parmé était un poète très fécond et peu estimé. Horace compare plaisamment ses écrits à ceux de Tibulle, qui étaient peu nombreux et très soignés. L'ensemble de la pièce, et surtout ce passage: Quam sapere et fari possit quæ sentiat, achèvent de nous convaincre. Cet heureux don d'exprimer ses sentimens avec éloquence n'appartient à personne mieux qu'à Tibulle.

D'ailleurs Horace s'adresse évidemment à lui, dans l'ode xxxm du livre Ter.

Albi, ne doleas plus nimio, memor
Immitis Glyceræ: neu miserabiles
Decantes elegos; cur tibi junior

Læsa prææniteat fide.

<< Albius, ne t'afflige pas outre mesure, en songeant à » la cruelle Glycère, et ne fais pas entendre de lamenta»bles élégies, parce qu'elle est parjure, et te préfère un jeune rival. >>

>>

Ici le genre même de la poésie est déterminé. Croirat-on qu'il ait existé, dans ce temps, deux Albius, qui tous

deux auraient composé des élégies? Horace les appelle lamentables: un enfant d'Épicure pouvait, dans un accès de gaîté, caractériser ainsi les douces plaintes de l'amour malheureux.

L'épître que nous avons citée fut donc adressée à Tibulle.

Ces mots : Di tibi formam dederunt, semblent démentir l'opinion de je ne sais quels commentateurs qui décident ridiculement qu'il était petit, parce qu'il a dit peut-être :

Vel parvum Ætneæ corpus committere flammæ.

« Je précipiterai mon petit corps dans les flammes de >> l'Etna. >>

Mais si le mot parvum est bien authentique (on en doute), marque-t-il autre chose qu'une opposition entre une chétive créature et le gouffre de l'Etna? Un petit homme peut être venustus, bellus, mais non for

mosus.

Ce vers: Non tu corpus eras, etc., et les cinq suivans, forment un éloge complet. Tibulle a les qualités solides et les qualités aimables; une âme élevée, la sagesse, l'éloquence, une manière de vivre élégante et honorable, et enfin, le complément naturel de tous ces dons, une bonne renommée.

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Horace le félicite de sa santé florissante; mais, comme le dit M. Naudet (Voyez la Biographie universelle ), après avoir lu les vers de Tibulle, on croira qu'il ne jouissait pas d'un tempérament vigoureux. Il fut attaqué, à plusieurs reprises, de maladies qui le mirent en » péril; la teinte de tristesse qui se mêle toujours à la » douceur de ses pensées, ses fréquentes appréhensions

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» d'une mort prochaine, l'idée constante que la femme >> qu'il aimait lui fermerait les yeux, toutes les habitudes » de son esprit décèlent en lui l'influence d'une complexion délicate, et la brièveté de sa vie ne confirma que » trop bien ses pressentimens. »>

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Tibulle nous apprend qu'il était pauvre, et cependant Horace parle de sa richesse, mais il est facile d'expliquer cette contradiction apparente. Le favori de Mécènes était fils d'un affranchi; il était né assez pauvre, et l'on connaît la modération de ses désirs. Il pouvait trouver Tibulle riche, quoique celui-ci ne se considérât point comme tel, parce qu'il n'avait conservé de ses grands biens qu'une modeste aisance. C'était peut-être une leçon que le poète de Vénouse donnait à son ami, qui, moins philosophe, ne savait pas toujours oublier ce qu'il avait perdu, et jouir paisiblement de ce qui lui restait.

Ces mots : Quid nunc te dicam facere in regione Pedana, déterminent la situation de cette maison de campagne, dont Tibulle nous occupe souvent dans ses élégies. Elle était aux environs de Pedum, ville des Latins qui avait disparu déjà du temps de Pline, mais que l'on place entre Tibur et Préneste, d'après des conjectures très bien fondées.

Quels peuvent être les plaisirs de notre poète à la campagne? Horace le cherche au fond des bois, où il médite sans doute sur les grandes vérités de la philosophie. On aime à penser que le tendre Tibulle conserva du moins une retraite, où il pouvait rêver en liberté.

Comme Horace, il n'aimait pas la guerre, et l'a dit plus d'une fois. Cependant il suivit Messala dans les Gaules, et se distingua dans cette expédition. L'auteur de sa vie nous apprend qu'il obtint les récompenses militaires : Militari

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