Billeder på siden
PDF
ePub

Et le flatteur plus vil, qui t'aurait adoré,
Irait percer de coups ton cadavre abhorré.

Nous n'avons les vertus ni les fureurs de Rome;
Tu

peux prétendre encore à l'honneur d'être un homme;
Tu peux vivre tranquille, et libre et généreux,
Tu peux sécher les pleurs de quelques malheureux :
Dans tes champs désolés efface au moins l'image
De ces malheurs publics qui furent ton ouvrage.
L'humanité t'excuse, et craint de te haïr;
Poursuis, fais qu'elle t'aime, et connais le plaisir.

Quels que soient les forfaits, le malheur les expie:
Ce brigand meurtrier, ce parricide impie,
Ces monstres dévoués à des tourmens cruels,
Doublement malheureux puisqu'ils sont criminels,
Je les livre, en pleurant, à la loi qui les tue;
Je les plains, je frissonne, et détourne la vue:
Mon cœur, épouvanté, respecte avec horreur
Jusqu'en un scélérat la mort et le malheur.

Mais combien d'autres maux méconnus du vulgaire !
Que je vous plains surtout, ô vous qu'on ne plaint guère,
Vous qu'on croit même heureux jusque dans vos tourmens
Aimables insensés, trop fidèles amans!

O fières passions! ô fougueuse jeunesse !
Oh! qui tempérera cette brûlante ivresse?

Vole, vieillard agile; ô tems! presse ton cours

Amène la sagesse, emporte les amours.

[ocr errors]

Mais toi, qui joins leur charme à ceux de l'innocence,
Reste de l'âge d'or, enfance, heureuse enfance,

Que ne peut-on sauver du ravage

des ans

Ton ingénuité, tes jeux intéressans!

Enfans, goûtez toujours cette volupté pure :

Votre innocente joie honore la nature;

Tous vos plaisirs sont vrais, tous vos transports sont doux,
Mais je vois l'avenir, et je pleure sur vous!
Bientôt des passions, peut-être criminelles,
Embrâseront vos sens de leurs flammes cruelles ;
Vous aimerez du moins, vous connaîtrez un jour
Le souris d'une belle et ce perfide amour!
Combien il vous vendra sa faveur passagère!
Oh! quand d'une maîtresse, insensible ou légère,
Vous pleurerez l'orgueil ou l'infidélité,

Et toi, fidèle amant d'une tendre beauté,
Quand les vils préjugés, quand la fortune altière,
Mettront entre vos cœurs une indigne barrière,
Que ce fatal secret dans le mien soit versé !

Par les mêmes tourmens ce cœur fut exercé.
O jours! ô souvenir plein d'horreur et de charmes !
Quel cœur a plus aimé? Dieux, témoins de mes larmes!
Injustice, inconstance, on peut tout pardonner;

Mais le trait de la mort ne peut se détourner.
Mes maux du sort barbare ont épuisé la rage;
J'ai vu, j'ai vu périr au printems de son âge
Le chef-d'œuvre des dieux et l'honneur des mortels;
L'amour dans tous les cœurs lui devait des autels;
Son moindre charme, hélas! fut d'être la plus belle;
Les grâces!..... Ah! ce mot, on l'eût créé pour elle.
Un air qu'on n'eut jamais et qu'on chercha toujours,
L'art piquant d'irriter, d'enchaîner les amours;
L'art brillant de parler, l'art prudent de se taire,
L'art de n'en avoir point ( est-il d'autre art de plaire?):
Nul mortel n'eût été digne de l'enflammer;

Mais son cœur indulgent était digne d'aimer.

Réglé dans tous ses vœux par un grand caractère,

(La vertu l'ordonnait ), il fut ferme et sévère;
Mais que son amitié, plus tendre chaque jour,
Savait bien imiter et remplacer l'amour!
Amans, le croirez-vous? Non, la volupté même
N'a point ces traits touchans, cette douceur suprême.
Voilà ce que j'aimais et ce que j'ai perdu;

Voilà ce qui jamais ne me sera rendu.

Et je n'ai pu mourir de ma douleur profonde!

Et le ciel me condamne à rester dans ce monde
Où tu fus malheureuse, où l'on dut t'adorer,

Ou tu n'as fait qu'aimer, que plaire et que pleurer,
Où tu n'es plus, hélas! où déjà l'on t'oublie,

Où chaque instant détruit ton idée affaiblie!

Ah! mon cœur la conserve, oui, l'amour dans mon cœur de la mort et du tems destructeur.

Te

venge

Mais qui consolera ma vie infortunée,
A de nouveaux malheurs peut-être destinée ?
S'il était un mortel dont la noble pitié
Daignât m'offrir encor les soins de l'amitié,
Que son âme exercée ait connu la tendresse,
Que sa douce vertu pardonne à la faiblesse,
Ah! cet ami charmant, ce trésor de mon cœur
Mon appui, mon espoir, mon dieu consolateur:
Si c'était une femme!..... et qu'elle fût fidelle !.....
Une femme! Ah! du moins qu'elle ne soit point belle!
Loin de moi le poison des grâces, des appas!
Qu'elle anime mon cœur et ne le trouble pas.
O fureurs de l'amour! n'agitez plus ma vie.

,

Beaux arts, douces erreurs de la philosophie,
Charmes moins dangereux, mais, hélas ! moins puissans,
Comblez ce vide affreux, et de l'âme, et des sens !

1

Et toi, fille du ciel, toi, volupté du sage,
Amitié, de mon cœur sois l'unique partage;
Donne-moi la vertu..... Dirai-je le bonheur?
O mes amis ! ô monde ! ô séjour de douleur !
Ici la mort exerce un empire suprême ;

Le bonheur peut-il être où l'on perd ce qu'on aime?

Nota. J'avais envoyé au même concours une autre pièce de vers, qui fut aussi distinguée par l'Académie française, et dont plusieurs morceaux, lus dans l'assemblée publique, eurent beaucoup de succès, nommément le trait concernant Marc-Aurèle.

Voici la pièce entière.

DOIT-ON PLEURER A LA MORT

DES OBJETS QU'ON AIME?

Quis matrem, nisi mentis inops, in funere nati

Flere vetet?

OVID.

LE

sage Lælius a perdu son ami :

Du sommeil éternel Scipion endormi

Dépose au sein des dieux son âme vertueuse.

« Ah! puisqu'il est des dieux, elle doit être heureuse : » Le juste Scipion avec eux est monté

» Au séjour de la paix et de la vérité.

» Séchons d'indignes pleurs (1), respectons sa mémoire; . C'est à ses envieux à pleurer de sa gloire.

» Rome perd son appui, Rome dans ses malheurs,
» A besoin de mon sang et non pas de mes pleurs:
» Par d'immortels exploits allons apprendre à Rome
Que l'heureux Lælius fut l'ami d'un grand-homme.
J'admire Lælius, sa vertu me surprend;
Mais..... est-il assez tendre et n'est-il pas trop grand?

Eurydice est ravie au chantre de la Thrace:

O transport! ô prodige, et d'amour, et d'audace!
Il n'attend rien des dieux; il n'attend rien du sort;
Jusque dans son empire il va braver la mort ;

(1) Cic. Lælius, seu de amicitiâ,

n

« ForrigeFortsæt »