DE VIRGILE, TRADUITES EN VERS FRANÇAIS PAR JACQUES DELILLE. AVEC DES NOTES ET LES VARIANTES. A PARIS, DE L'IMPRIMERIE DE PIERRE DIDOT L'AÎNÉ. CHEZ BLEUET PERE, PONT SAINT-MICHEL, M. DCCCVI. DISCOURS PRÉLIMINAIRE. ON N ne peut publier dans un moment plus favorable la traduction d'un ouvrage sur l'agriculture. Cette matiere est devenue l'objet d'une foule de livres, de recherches, et d'expériences. Dans toutes les parties du royaume je vois s'élever des sociétés d'agriculture. On a imaginé de nouvelles façons de labourer et de semer. Plusieurs citoyens ont eu la générosité de sacrifier des arpents de terre et des années de récolte à des essais sur l'économie rurale. L'agriculture, comme les autres arts, a ses amateurs. La mode a disputé à la philosophie l'honneur d'ennoblir ce que le luxe et l'orgueil avoient long-temps avili; et la théorie de cet art occupe presque autant de têtes dans les villes que la pratique exerce de bras dans les campagnes. Il est vrai que lorsque j'ai interrogé les cultivateurs de professiou, que nos cultivateurs de ville sont tentés de regarder comme des especes de machines un peu moins ingénieuses que celles qu'ils ont imaginées, je leur ai entendu dire que toutes ces découvertes faites dans le cabinet souffroient de grandes difficultés sur les lieux. Cependant, malgré ces observations, malgré le ridicule de l'agromanie, il faut convenir que l'agriculture ne peut que gagner aux travaux des savants: par leur secours elle sortira insensiblement des sentiers étroits que lui a tracés la routine, et des ténebres où la retient un instinct aveugle. On ne s'est pas contenté de chercher des méthodes nouvelles, on a voulu connoître celles des anciens. On sait combien l'agriculture étoit florissante et honorée parmi eux. Pour ne parler que des Romains, avee quel plaisir lisons-nous dans leur histoire les noms des consuls et des dictateurs qu'on alloit prendre à la charrue, et qui, comme dit Pline, du Capitole où ils étoient montés triomphants, retournoient dans leurs terres enorgueillies de se voir cultivées par leurs maius victorieuses. L'agriculture a exercé non seulement les plus grands héros, mais encore les plus grands écrivains de l'antiquité. Parmi les Grecs, Hésiode, qui vivoit un siecle après la guerre de Troie, a écrit un poëme sur l'agriculture; Démocrite, Xénophon, Aristote, Théophraste, en ont traité en prose. Parmi les Romains, Caton, le fameux censeur, a composé un ouvrage sur l'économie rurale, et a été imité par le savant Varron. Caton écrit comme un vieux cultivateur plein d'expérience: ses ouvrages abondent en sentences; il entremêle aux leçons d'agriculture des préceptes de morale. Varron montre dans ses écrits plus de théorie que de pratique; il se livre à des recherches sur l'antiquité, remonte à l'étymologie des mots, et nous lui devons un catalogue de ceux qui ont écrit avant lui sur l'agriculture. L'ouvrage de Columelle est le plus considérable que les anciens nous aient laissé sur ce sujet. Plusieurs souverains ont aussi honoré l'agriculture en composant des traités sur cette matiere. Si les rois sont dispensés aujourd'hui d'écrire sur cet art, ils ne le sont pas de le protéger.. Mais parmi ces écrivains, Virgile tient sans contredit le premier rang, même indépendamment de la beauté du style. Lui-même cultiva ses terres près de Mantoue jusqu'à l'âge de vingt ans. Ce fut alors qu'il parut à Rome pour la premiere fois, et qu'il fut admis à la faveur d'Auguste. La longue durée des guerres civiles avoit presque dépeuplé les campagnes, et Rome même l'étoit au point qu'Auguste se vit menacé de ne régner que sur des déserts et des tombeaux. Une grande partie des terres de l'Italie avoit été partagée entre les soldats, |