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mystères de la poésie grecque : une heureuse mélodie, quelques idées gracieuses composent toute la magie de ce poète, dont la couronne, que le temps n'a pas effeuillée, se flétrit chaque jour sous la main pesante des commentateurs.

Je ne m'arrête pas sur l'origine plus ou moins ancienne de ce petit poëme, et j'ai de bonnes raisons pour m'en tenir à l'opinion d'Aristote, qui prétend que les lois ne sont que des chansons, et qui en donne pour preuve que les unes et les autres s'exprimaient en grec par un même mot, vouos.

La chanson, parmi nous, est un petit poëme marqué d'un rhythme populaire et facile: passant de bouche en bouche, et rapide comme la renommée, il devient l'expression de tout un peuple, qui répète ses refrains joyeux ou passionnés. Comme la chanson se prête à tous les sentiments, elle emprunte aussi tous les tons. Gaie, tendre, satirique, philosophique, jamais fée n'eut dans ses mains un prisme plus variable. La seule teinte qu'elle rejette est celle du pédantisme.

Si je cherche à établir une espèce d'ordre dans un sujet qui en comporte si peu, je trouve d'abord la chanson religieuse, la chanson politique et patriotique, la chanson guerrière, la chanson philosophique, la chanson satirique ou vaudeville, dans laquelle les Français ont sur-tout excellé, et qui a fait dire que la France était une monarchie tempérée par des chansons; la chanson de table ou bachique, la chanson anacréontique ou érotique; la chanson grivoise qui est l'abus et l'excès de ce dernier genre; enfin la chanson burlesque ou parodie, qui tient de la chanson grivoise et de la chanson satirique. Il est inutile de répéter que tous ces genres rentrent assez souvent l'un dans l'autre, et qu'il est impossible d'en déterminer exactement les limites.

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LA CHANSON RELIGIEUSE.

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De tout temps l'exaltation religieuse a produit des chants, et les hymnes se sont élevées vers le ciel avec la fumée des premiers sacrifices. Sans parler des hymnes d'Orphée, des pocans ou cantiques sacrés des Grecs, de ceux des adorateurs du soleil, dont on retrouvé quelques vestiges dans les fragments du Zendavesta; sans nous occuper de ces chants hébraïques, connus sous le nom de psaumes et de phéties, passons à cet usage populaire des chants inspirés par la religion chrétienne, par cette religion qu'on peut appeler la foi du pauvre et la consolation de tous, puisqu'elle établissait sur la terre l'égalité morale. De là, ce dessein d'exprimer sous le chaume des sentiments religieux, qui n'avaient encore eu d'échos que sous les voûtes de marbre. Les villageois chantaient, à leurs veillées, cette étable honorée d'un berceau divin; et les superstitions se mêlant aux dogmes, on traduisit bientôt en paroles cadencées toutes les rêveries des imaginations faibles et ardentes.

Sans élévation comme sans grace, ces chansons, appelées cantiques et noëls, sont curieuses, comme monuments de l'esprit humain; elles n'offrent néanmoins aucuns matériaux pour l'histoire littéraire de la chanson. Pour trouver quelques traces d'une haute pensée, revêtue d'une expression heureuse, il faudrait sortir des bornes de notre sujet, et citer quelques uns des cantiques latins de l'ancienne Église. Mais, à moins de tout confondre, on ne peut ranger dans la classe des chansons le Stabat mater, le Vexilla regis, et plusieurs autres hymnes, qui portent, dans leur gothique latinité, quelque chose de la farouche énergie, et du saint enthousiasme de ces temps de barbarie et de superstition.

Les exemples ridicules seraient plus faciles à citer. La plus connue, comme la plus burlesque des vieilles chansons religieuses, est celle que le peuple adressait à l'âne, que l'on fêtait autrefois comme l'animal choisi par Dieu même pour porter son fils à Jérusalem.

Eh, sire âne! eh! chantez!
Belle bouche rechignez,
Vous aurez du foin assez,

Et de l'avoine à planrez '.

Nous verrons bientôt comment la malignité satirique, s'emparant du rhythme des anciens cantiques, transforma en épigrammes licencieuses la niaiserie des vieux noëls.

Il existe une chanson religieuse peu connue et qui mérite de l'être; c'est une espèce d'hymne que les protestants en armes chantaient au feu de leurs bivouacs. Quand ces hommes poursuivis avec tant de fureur, et qui se défendaient avec tant de courage, veillaient la nuit dans leur camp, ils redisaient en chœur les paroles suivantes, pour se défendre du sommeil :

« Grand Dieu! la nuit sortit de tes mains puissantes « pour donner le repos à l'homme, et le jour pour le con« vier au travail. Il est nuit; nous veillons pour le repos « de nos frères !

« Tu as choisi tes enfants; ne souffre pas, ô Seigneur ! « que leurs paupières se ferment, et qu'ils succombent au « sommeil. Donne-nous encore la fermeté et la vigilance, après nous avoir fait supporter tant de maux.

"

« Dans ce camp ton œil veille, ô Seigneur! fais que sous « l'ombre profonde aucune pensée lâche ou profane ne se glisse dans nos cœurs. Éclaire notre ame de tes clartés, « et guide-nous dans les ténèbres de la nuit comme dans « les ténèbres du monde!

"

En grande quantité.

« Nous te prions pour ceux qui nous persécutent; pour « le roi, dont la jeunesse est entourée d'ennemis ; pour la «reine, et pour les hommes honnêtes de son conseil1. « Inspire aux grands l'humanité pour les petits; que tous <«< ils t'implorent, te craignent, et espèrent en toi seul ; car tu «<es le juge des hommes, et le seul roi des rois! » L'histoire offre peu de traditions d'une aussi sublime simplicité.

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LA CHANSON POLITIQUE."

deux sortes de chansons politiques, celle qu'inspire l'amour du pays, et celle qui a pour objet de se venger par la raillerie des agents d'une autorité injuste ou tyrannique. L'une est à l'usage des nations libres: l'autre est l'expression d'un peuple esclave et spirituel qui joue avec ses fers qu'il n'a pas le courage de briser.

On ne trouve dans les républiques anciennes aucun vestige de cette dernière espèce de chanson.

C'est une bien misérable vengeance que de chansonner ses maîtres. Il est plus beau d'entonner en chœur l'hymne de la délivrance, et de faire retentir la salle du festin de ce " chant célébre d'Harmodius et d'Aristogiton.

« Mon épée est entourée de myrte; elle me rappelle le << souvenir de nos frères qui ont rétabli l'égalité des lois. « Harmodius et Aristogiton frappèrent d'un glaive orné « de ces feuilles verdoyantes le tyran qui opprimait la république. Mon épée, sois entourée de myrte; je te consa«cre à leur mémoire.

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« Cher Harmodius, cher Aristogiton, ombres saintes, << vous n'avez point cessé de vivre: invisibles vous présidez encore à nos destinées; vous êtes au milieu de nous, et

Ce jeune roi, c'était Charles IX, et cette reine était Catherine de Médicis.

« vous souriez à vos amis, alors qu'en votre honneur ils « couronnent leur glaive de myrte vert.

« Mon épée, sois entourée de myrte, et rappelle-moi sans << cesse le souvenir de ces deux frères immortels, qui, dans « Athènes, ont rétabli l'égalité des lois.

« C'était aux Panathénées: Harmodius et Aristogiton « s'approchèrent du tyran et le frappèrent de leur glaive « entouré de feuillage! Harmodius! Aristogiton! honneur « éternel à vos noms! soyez à jamais chers aux citoyens « d'Athènes, et que le glaive couvert de myrte soit consacré « à la liberté. »

Jusqu'à nos jours, Harmodius et Aristogiton étaient restés sans imitateurs: de pareils chants n'auraient rien dit à l'ame dans nos modernes monarchies : c'est par la raillerie que l'on s'y vengeait de l'oppression; c'est par des pasquinades, par des mazarinades, qu'on attaquait les abus du pouvoir; on chansonnait les ministres qui s'en moquaient, pourvu qu'on payát.

Je pourrais citer mille exemples de cette espèce de chanson politique, qui paraît être née en Italie, mais dont la France a fini par se réserver le privilège exclusif.

Cette sensibilité vive et presque enfantine, qui faisait dire à Duclos que nous étions tes enfants de l'Europe, s'est de tout temps exhalée en chansons. On chantait quand les Anglais démembraient le royaume; on chantait pendant la guerre civile des Armagnacs; on chantait pendant la ligue; sous la fronde, sous la régence; et c'est au bruit des chansons que la monarchie s'est écroulée à la fin du dix-huitième

siècle.

Il n'est pas un événement de notre histoire qui n'ait été marqué par des chansons; mais dans cette multitude de saillies malignes, gaies, folles, ou furieuses, on chercherait

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