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fut grande dans le camp des théologiens. Ces maudites lettres venaient les défier jusque dans leur chaire, elles éclataient de toutes parts, à leurs pieds, sur leur tête, comme ces pois fulminants que le diable se plaisait à semer, nous dit la légende, sous les pas de saint Martin. On ordonna des perquisitions, on chercha dans l'ombre l'auteur ou les auteurs voilés de l'anonyme. D'abord, les soupçons tombèrent sur Reuchlin, qui semblait le plus intéressé dans la question. Reuchlin désavouant, on se rabattit sur Erasme, qui se hâta de décliner l'honneur d'un si hardi persiflage. In siècle et demi après, Bayle cherchait encore le véritable auteur. Pourtant, il s'est révélé lui-même dans ses lettres et dans quelques vers imprimés depuis. Le coupable était, comme presque toujours alors, un jeune échappé de couvent.

Ulrich de Hutten, quatrième fils du seigneur de ce nom, voué malgré lui à la vie monastique, avait fini par escalader les murs de sa prison. Brouillé avec sa famille, pauvre, obscur, sans autre ressource que son esprit et son audace, il s'était bravement lancé à travers le monde, l'épée au côté, la plume à la main, en répétant le mot de César : alea jacta est. Vrai chevalier errant, mélange singulier de pamphlétaire, d'érudit, de duelliste et de théologien, gueux comme un poëte, libertin comme un moine sans vocation, fier et vantard comme un gentilhomme, il représente bien dans l'incohérence et le désordre de sa vie l'humeur inquiète, les aspirations vagues, l'indiscipline et le malaise. des temps nouveaux. Quand Luther eut soulevé l'Allemagne, Hutten toujours en quête de duels et d'aventures, se déclara son champion. A trente-cinq ans, vieux déjà, malade, proscrit, sans pain, sans asile, chargé des malédictions de la cour de Rome, abandonné par l'Electeur de Brandebourg son ami, il vint un jour à Bâle frapper à la porte d'Erasme, qui tit semblant de ne pas l'entendre. Un dernier duel à coups de plume mit aux prises le prudent patriarche et le fougueux chevalier de la libre pensée. Peu de temps après

Hutten mourut; mais le succès de ses lettres durait toujours.

Ce terrible libelle, qui fit passer tant de mauvaises nuits aux théologiens de Cologne, qui prépara et amassa sur leur tête le grand orage de la Réforme, attire à peine aujourd'hui les regards distraits d'un érudit. Vieille arme rouillée, enfouie, dans la poudre des bibliothèques, que lui a-t-il manqué pour vivre, pour durer autant que les Provinciales et les Lettres persanes? la popularité? non, mais une seule chose, le style. L'auteur a beau se moquer du latin des théologiens; le sien ne vaut pas mieux. Il est vrai qu'il l'emploie avec intention, parodiant et grossissant à dessein les termes barbares de l'École1. Hutten est un des plus illustres représentants du genre macaronique. Ici qu'on nous permette une courte digression.

Dans un ouvrage sur la Satire, il nous est impossible de passer sous silence un genre auquel le savant Naudé a consacré quelques-unes des meilleures pages de son Mascurat. L'emploi du latin burlesque est fréquent au seizième siècle. Dans cette époque d'effervescence, au milieu de ce travail de fermentation, qui marque la naissance des littératures modernes, il constitue une sorte d'idiome intermédiaire entre la langue du peuple et celle des savants. Représentons-nous l'embarras des hommes d'alors réduits à couvrir de mots anciens des idées nouvelles, aux prises avec des idiomes encore informes, rebelles à rendre toutes les nuances et les finesses de la pensée. Supposez un Anglais, un Flamand, un Hollandais, un Allemand, rieur, gausseur, en qui déborde la séve, l'extravagance et la gaieté. Il s'agit un matin de trouver, d'improviser pour le besoin du moment un style

1. « Ideo volo a dominatione vestra interrogare unam quæstionem theologicalem, quam vos bene potestis determinare, quía estis bonus artista, et scitis bene prædicare, et habetis unum bonum zelum, et estis conscientiosus. »

2. Le nom de Macaronique donné à cette langue vient, selon les uns, du mot italien Macarone, lourd, grossier, ignorant; selon les autres, de Macaroni, mets composé de plusieurs ingrédients comme la Macaronée elle-même est composée de plusieurs idiomes.

de combat, prompt, flexible, exempt d'entraves, qui puisse servir de truchement à tout un monde. D'un côté s'offre la roideur et la barbarie du latin théologique, de l'autre la dignité laborieuse de la phrase cicéronienne, ou bien les lenteurs et les tâtonnements de la création. Ainsi s'explique la vogue du latin burlesque, héritage éloigné de Plaute, rameau tardif né au printemps de la Renaissance sur le vieux tronc épuisé de la langue romaine. Même parmi ceux qui avaient d'autres ressources, des hommes d'un vrai mérite, de savants théologiens comme de Bèze', de graves jurisconsultes comme Hotman', des poëtes élevés à l'école de Ronsard comme Remy Belleau, ne dédaignaient point de s'en servir. L'Italie, déjà dotée d'une langue littéraire par le génie de Dante, accueillit avec faveur ce latin de carnaval, chargé d'impudents solécismes et de barbarismes aussi monstrueux que la bosse du seigneur Polichinelle. Il forma bientôt un genre à part qui eut ses poëtes, Folengo, Caporali, Tassoni. La Macaronée de Folengo, plus connu sous le nom de Merlin Coccaie, eut l'honneur, dit-on, d'inspirer en plus d'un endroit le Gargantua de Rabelais. Quoi qu'il en soit, le style macaronique ne pouvait être qu'un jeu ou une arme de fantaisie, incapable de s'élever à la dignité d'une langue littéraire, et destiné à périr comme tout ce qui est de circonstance et de convention. Hutten eut le pressentiment de cet abandon, et traduisit lui-même son livre en langage vulgaire mais l'allemand n'était pas encore ce qu'il devint quelques années plus tard, grâce au génie du chef de la Réforme. Néanmoins une séve de jeunesse circule sous cette lourde écorce du latin gothique: image exacte de ce qui se passe alors dans ces heures de transformation, où l'idée moderne couve et bouillonne sous le froc du moine et sous l'armure du chevalier.

1. Epistola Benedicti Passavantii.

2. Matagonis de Matagonibus.

3. Dictamen metrificum de bello Hugonotico.

SII. LA LIBRE PENSÉE EN FRANCE.

-

MARGUERITE DE VALOIS l'Heptameron. CLEMENT MAROT: Poésies
satiriques épigrammes, épîtres, coq à l'âne, etc.

Tandis qu'un souffle d'opposition remuait tout autour

d'elle, la France toujours si vive, si mobile, si curieuse de

nouveautés, ne pouvait rester étrangère à ce mouvement.

Déjà la querelle de Louis XII et de Jules II, la liberté lais-

sée au théâtre, les appels faits par le souverain à l'opinion

publique pour justifier sa lutte contre le pape, avaient excité

dans les esprits une certaine fermentation. Auxiliaires de la

royauté, les Basochiens et les Enfants sans soucy s'étaient

mis de la partie, sans trop savoir où ils allaient, pas plus

que le bon Louis XII lui-même. Contents de rire et de vivre

au jour le jour, ils ne songeaient guère ni à détruire ni à

réformer, menant gaiement le deuil du moyen âge et s'in-

quiétant peu de l'avenir. Le grand jour de la Renaissance

vint les surprendre encore tout enfarinés de la veille, sur

les tréteaux des halles, seuls debout au milieu d'un monde

en ruines. La vue de la potence dressée par ordre de Fran-

çois Ier suffit pour les disperser. D'autres rieurs plus intré-

pides allaient prendre leur place, au risque de la prison, de

l'échafaud et du bûcher.

A côté de cette joyeuse arrière-garde, qui clôt pour nous

l'histoire de la Satire au moyen âge, s'était formée sans
bruit une petite société d'épicuriens sceptiques, de raison-
neurs aventureux, hommes d'imagination, d'étude et de
plaisir, épris d'abord du philosophisme de la Renaissance et
bientôt des hardiesses de la Réforme. Cette confrérie de
beaux esprits se trouvait placée sous le patronage d'une
femme, dont les grâces séduisantes, l'humeur spirituelle et
chimérique devaient encourager et couvrir bien des témé-
rités c'était Marguerite de Valois, sœur de François Ier.

Son humble royaume de Navarre, à l'abri des perquisitions de la police, des anathèmes de la Sorbonne et des prises de corps du Parlement, devint le berceau de la libre pensée et son refuge au jour de la persécution, Là se rencontrèrent le bon et candide Lefèvre d'Étaples, savant modeste et réformateur tempéré, qui, au milieu de la cour la plus galante de l'Europe, mourut vierge à l'âge de cent ans; Bonaventure Despériers, valet de chambre de Marguerite, son pourVoyeur de contes et joyeux devis, moins facétieux encore que libertin; Clément Marot, le gentil page de François Ier, aussi vacillant, aussi léger en amour qu'en religion; Étienne Dolet, écrivain et imprimeur, toujours errant, toujours en lutte contre les hommes et la Fortune; l'austère et sombre Calvin, avec sa parole acérée, sa logique impitoyable; enfin le docte, l'universel, l'incomparable Rabelais. Hommes de nature, d'opinion, de fortune très-diverses, que rapprochait alors une passion commune, l'amour des nouveautés. Cette soif de l'inconnu, ce besoin de mouvement, de voyages, de découvertes, qui entraînait d'Espagne et de Portugal tant de hardis aventuriers sur les pas de Colomb, de Pizarre et de Gama, emportait alors aussi dans les champs illimités de la pensée, à la suite d'Érasme, de Mélanchton et de Luther, une foule d'esprits désœuvrés, indécis ou mécontents. Les deux grandes tentations du jour, la Renaissance et la Réforme, attiraient les regards vers l'Allemagne et l'Italie. Le plaisir de la médisance, le goût du paradoxe, l'éternelle séduction du fruit défendu venaient s'ajouter à cette inquiète activité. Le fond d'humeur moqueuse et agressive particulier à nos conteurs et à nos chanteurs de tous les temps, se compliquait ici et s'aggravait d'un secret instinct de destruction. Le monde était alors tourné à l'émancipation et à la révolte, comme il l'avait été jadis à l'obéissance et à la foi.

Au milieu de cette fièvre générale, la race gauloise apporta ses qualités et ses défauts. Alors, comme toujours, elle courut aux aventures et aux périls, avide de voir, de batailler, quitte à revenir plus tard sur ses pas. Pour un logicien

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