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Celui-ci a écrit d'un ftyle plus fage, plus réguHier & plus poli. Mais s'il ne rend jamais Virgile plat & ridicule, il le rend toujours froid & ennuyeux. Ce n'est pas un Poëme qu'il nous fait lire, c'est un Roman infipide, une Histoire, ou quelquefois même une Gazette. Sa profe trifte, lourde & languiffante éteint tout le feu poétique de fon original. C'eft prefque partout une paraphrafe fans génie, fans goût, fans art, d'un style foible & fouvent entortillé. Il eft communément affez fidéle au fond des penfées, mais il ne rend jamais les images, ou les rend mal. Le P. Catrou fçavoit mieux le latin que l'Abbé de S. Remy ; mais celui-ci fçavoit un peu mieux le françois. On ne trouve donc ni termes populaires, ni phrases barbares, ni expreffions comiques dans fa traduЯtion; mais on y remarque quelques contrefens, qui lui font échappés, faute de capacité ou d'attention. Ses Notes placées au bas des pages n'éclairciffent presque aucun des endroits difficiles les remarques mythologiques & géographiques font triviales ; il semble avoir épuisé toute son érudition fur de petites étymologies grecques, qu'on trouve dans tous les Dictionnaires, & qui paroiffent ici très-fuperflues.

Comme la traduction du P. Fabre eft peu con

nue,

& que d'ailleurs ce Traducteur de Virgile eft encore vivant, je ne dirai rien de la médiocrité de fon Ouvrage, peu capable de former le goût de la Jeuneffe. A l'égard de quelques autres Traducteurs de Virgile en entier ou en partie, ceux qui auront la curiofité de les connoître, pourront lirè le fixiéme volume de la Bibliothéque Françoise de M. l'Abbé Goujet. Il eft inutile de faire mention d'une certaine Paraphrase, en manuscrit, de l'Enéide, dont je n'ai vû que le premier Livre, qui eft d'un goût détestable.

Si je parle ainfi de tous ceux qui m'ont précédé dans la carriére que je cours, ce n'est point dans la vue de profiter de leur ruine, ni de facrifier leur réputation à la mienne. Le caractére de leurs ou vrages a fait naître le mien. S'ils ont réussi, j'ai tort d'avoir travaillé après eux. En les faisant connoître, je me justifie. Quiconque travaille fur une matiére après plufieurs autres Ecrivains, est toujours cenfé ne les pas eftimer. C'est une politeffe affectée & une modeftie infipide, que de leur donner des éloges dans une humble Préface.

Toutes ces verfions, fans en excepter aucune, ont deshonoré le Prince des Poëtes latins, dans l'efprit d'une infinité de perfonnes, incapables d'en juger immédiatement par elles-mêmes, en le li

fant dans fa langue. Ainfi, graces aux Traducteurs, la haute eftime de tous les gens de Lettres pour cet Auteur a peut-être paffé chez plufieurs pour un préjugé de Collége. Cependant celui qui entend & goûte le plus les vers de Virgile, convient avec l'ignorant, que les Œuvres de cet Auteur ne font pas fupportables en françois ; mais il foutient en même tems que ce n'est pas la faute de ce grand Poëte, plus heureux en Italie & en Angleterre par les traductions d'Annibal Caro & de M. Dryden.

Certainement Virgile ne cédera jamais le rang fupréme qu'il tient parmi les Poëtes. Malgré les progrès de l'ignorance & du mauvais goût, il eft encore aujourdui, de l'aveu de tous ceux qui se connoiffent en poëfie, le plus grand Auteur que le Parnaffe ait jamais produit. Pourquoi donc a-t-il paru jusqu'ici en françois fous de fi mauvais auspices? Dira-t-on que notre idiome eft incapable d'exprimer fes penfées délicates ou fublimes, d'approcher de la nobleffe & de la force de ses expreffions, & de rendre la magnificence de fes images? Mais notre langue eft-elle donc fi foible & fi indigente? Que d'excellens Ouvrages en tout genre n'avons-nous pas produits, de l'aveu des nations étrangéres! Elle a certainement de la force, de l'agrément, & de l'harmonie ; & les Romains du fiécle

d'Augufte auroient accordé eux-mêmes leur estime à nos célébres Orateurs & à nos fameux Poëtes, Ce n'eft donc pas la faute de notre langue, fi nous n'avons pu jufqu'ici fupporter en françois ce que nous admirons en latin. Il faut s'en prendre nécessairement à nos Traducteurs.

Dire que nous fommes aujourdui plus éclairés, plus délicats, plus inftruits des propriétés & du vrai mérite de la Poëfie, qu'on ne l'étoit à Rome fous Augufte, ce feroit une abfurdité', qui justifieroit mal nos traductions de Virgile & d'Horace, & qui rendroit ridicules les imbécilles contempteurs de ces divins Originaux. On fçait que tous ceux qui ont fait de bonnes études dans leur jeunesse, & qui ont l'efprit jufte & le goût délicat, ne se lassent point de les lire & de les admirer, & que nos grands Ecrivains n'ont fait cas de leurs propres écrits, qu'autant qu'ils approchoient de ces modéles. Ainfi ont pensé les Corneilles, les Racines, les la Fontaines, les Fénelons, les Defpreaux, les Rouffeaux. Ainfi pensent encore dans notre fiécle ceux qui contribuent à nous confoler de la perte de ces Auteurs illuftres.

Convaincu donc que notre langue peut en quelque forte s'élever jusqu'à la grandeur & à la majesté de la langue Romaine, & en égaler la douceur &

l'énergie, qu'elle a fon harmonie & fes graces, & qu'enfin la belle antiquité n'a rien qu'elle ne puifse rendre heureusement, j'ai eu la hardieffe d'en faire l'effai fur le plus élégant & le plus fublime des Poëtes latins, & fur le genre d'écrire le plus augufte, qui eft l'épopée. Pour concevoir ce dessein, il m'a fallu oublier ma foibleffe, & j'ai dû témérai rement me fuppofer des talens. Une forte d'ivreffe m'a infpiré cette présomption, que j'ai moi-même plus d'une fois condamnée, en me repentant d'avoir entrepris un ouvrage fi long, fi pénible & fi audeffus de mes forces. Des alternatives de présomption & de modeftie, de courage & de défiance, d'opiniatreté & de laffitude, ont enfin produit cette nouvelle traduction de toutes les Œuvres de Virgile, qui m'a coûté plus de travail qu'aucun de mes autres écrits; puifqu'il n'y a prefque aucune partie de cet Ouvrage que je n'aye fait de trois ou quatre maniéres. Deux fois j'ai écrit de ma main l'Ouvrage entier, & deux fois je l'ai fait copier au net. Les épreuves ont encore effuyé à l'Impreffion tant de corrections & de changemens, qu'elles pourroient passer pour autant de copies nouvelles. Ce font ces nombreuses épreuves, dont les derniéres détruifoient toutes les précédentes, qui ont retardé une édition, dont le Public m'a reproché le

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