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ne laissent aucune impression; il faut un point de vue sur lequel l'attention puisse se reposer: ici les regards s'arrêtent agréablement sur Mélibée et sur son troupeau; bientôt le poëte précise encore davantage ses idées; le lecteur oublie le troupeau lui-même, pour ne voir qu'une chèvre qui vient de mettre bas deux petits. Nous pourrions faire ici de savants raisonnements sur la nature de l'art ; mais cet exemple suffit pour nous faire entendre. On n'a qu'à relire attentivement le morceau que nous venons de citer. Le cœur est faiblement ému par la première phrase, undiquè totis; il est plus touché de la seconde, en ipse capellas; mais c'est pour la troisième partie de ce petit tableau que le poëte réserve ses plus vives couleurs, et le lecteur tout son attendrissement. On suit de l'œil cette chèvre qui se traîne avec peine; on voit les coudriers et la pierre nue sur laquelle elle a mis bas ses petits chevreaux ; l'idée d'une mère et de ses deux petits, donne à cette description une couleur plus sentimentale et plus animée.

(3) page 64, vers 2.

Sæpè malum hoc nobis, si mens non læva fuisset,
De cœlo tactas memini prædicere quercus;

Sæpè sinistra cavâ prædixit ab ilice cornix.

L'idée de ces vers est bien dans la nature; le malheur est superstitieux. Ces sortes de présages, tirés des phénomènes naturels, sont parfaitement dans le goût pastoral; rien ne peint mieux d'ailleurs l'innocence et la simplicité des bergers, qui ignorent les causes des guerres civiles, et qui doivent être portés à ne voir que les coups d'un incompréhensible destin dans les ravages causés par l'ambition. Cette résignation religieuse de Mélibée est attendrissante. Elle rappelle quelque chose de cette fatalité dont les anciens tiraient leur pathétique le plus touchant dans la tragédie.

(4) PAGE 64, VERS 6.

Urbem quam dicunt Romam, Melibœe, putavi,

Stultus ego, huic nostræ similem, quò sæpè solemus,
Pastores ovium teneros depeliere fœtus:

Sic canibus catulos similes, sic matribus hædos
Nôram; sic etc.

Tityre ne parle pas de la ville de Rome, mais de la ville qu'on appelle Rome, quam dicunt Romam; ce détour exprime le respect et la vénération du berger pour la ville, que la Muse épique de Virgile appelle la ville éternelle : les comparaisons qui suivent rendent à merveille la surprise qu'un berger a dû éprouver en voyant pour la première fois la capitale du monde romain. Jamais on ne fit un plus grand éloge de Rome, et cependant le poëte n'emploie que des images presque communes. Tout ce morceau respire la naïveté la plus aimable; le style naïf consiste souvent à exprimer les choses les plus élevées par les idées les plus simples.

Marot a traduit en vers cette première églogue; voici com ment il a rendu le passage que nous venons de citer:

Je sot cuidois, que ce que l'on dit Romme

Fust une ville ainsi petite, comme

Celle de nous là où maint aignelet

Nous retirons, et les bestes de laict.
Mais je faisois semblables à leurs peres,
Les petitz chiens et aigneaux à leurs meres
Accomparant, d'imprudence surpris,
Chose petite à celle de grand prix ;
Car pour certain, Romme noble et civile,
Leve son chef par sus toute autre ville,
Ainsi que font les grans et hauts Cyprez

Sur ces Buyssons, que tu veois icy près.

Ces yers sont loin, comme on voit, de rendre l'élégance, l'harmonie, et même le sens de Virgile. Dans le poëte latin, on admire surtout l'art du style; ses beautés ne pouvaient être rendues dans une langue qui n'était pas encore formée.

(5) PAGE 66, vers 6.

Mirabar quid moesta Deos, Galatea, vocares;

Cui pendere suâ patereris in arbore poma:

Tityrus hinc aberat. Ipse te, Tityre, pinus,
Ipsi te fontes, ipsa hæc arbusta vocabant.

Il règne dans ces vers la plus douce mélancolie; les sentiments religieux attribuées à Galatée, donnent à ce morceau une expression de tendresse dont l'âme du lecteur est touchée. Les idées religieuses s'allient toujours aux sentiments tendres; le second vers exprime bien la tristesse de la bergère; le mot patereris, qui se traîne longuement, offre l'image de la langueur. Les mots ipsa pinus, ipsi fontes, ipsa arbusta, en frappant l'oreille des mêmes sons, et en égarant la pensée sur plusieurs images à la fois, inspirent une douce rêverie. Rollin cite ces répétitions parmi celles qui sont propres à reveiller les passions et les sentiments.

(6) PAGE 68, vers 5.

Fortunate senex! hic, inter flumina nota
Et fontes sacros, frigus captabis opacum.
Hinc tibi, quæ semper vicino ab limite sepes
Hyblæis apibus florem depasta salicti,
Sæpè levi somnum suadebit inire susurro;
Hinc altâ sub rupe canet frondator ad auras :
Nec tamen intereà raucæ tua cura, palumbes,
Nec gemere aëriâ cessabit turtur ab ulmo.

Il serait difficile de trouver quelque chose de plus parfait que ce tableau des plaisirs simples de la vie champêtre; tout y est grâce et harmonie; plus on le relit, plus l'esprit et l'oreille en sont charmés. Nous en indiquerons les principales beautés.

L'épithète nota est fréquemment employée par les poëtes latins, et surtout par Virgile; mais il nous semble qu'elle est placée ici plus heureusement que partout ailleurs. Mélibée, qui parle, est exilé de sa patrie; il ne verra plus que des lieux et des fleuves inconnus; le mot nota a dans sa bouche une signification touchante; elle exprime à la fois ses regrets

et le bonheur de Tityre. Frigus opacum, pour dire la fraîcheur de l'ombre, est une expression hardie et forte. Rivarol l'a rendue par ces mots : la fraîche obscurité. Les sons inégaux qu'on remarque dans ces vers:

Hyblæis apibus florem depasta salicti.

font voir à la fois le vol incertain des abeilles qui voltigent autour des haies, et le bruit léger qu'elles font en suçant le calice des fleurs. Dans le vers suivant, l'harmonie est encore plus expressive: Sæpè levi somnum suadebit inire susurro.

Tibulle, dans sa première élégie, a peint aussi les charmes du sommeil, mais dans une autre situation :

Quàm juvat immites ventos audire cubantem,

Aut gelidas hybernus aquas cùm fuderit auster,
Securum somnos, imbre juvante, sequi!

Les deux poëtes ont exprimé des idées différentes sur le même sujet : le berger de Virgile peint un bonheur qu'il regrette; Tibulle, en parlant de la pluie et de l'orage qui retentissent autour de lui sans pouvoir l'atteindre, exprime un sentiment qu'on pourrait appeler le plaisir de la sécurité. Les vers de Tibulle ont quelque chose de doux et de mélancolique ; on y retrouve le ton de l'élégie; ceux de Virgile ont plus d'harmonie, et semblent plus appartenir à la poésie descriptive.

Cette harmonie si douce, qui peint à la fois le bourdonnement des abeilles et les charmes d'un sommeil paisible, prend une expression plus vive dans le vers qui suit :

Hinc altâ sub rupe canet frondator ad auras.

Le son est gradué; il est moins vif, moins aigu dans les premières syllabes; il se relève au second hémistiche; il monte à la fin jusque dans le plus haut des airs, avec la voix dų bûcheron,

Dans les deux derniers vers, le poëte s'est peut-être surpassé. On remarque quelque chose de plus rauque dans ces mots : intereà raucœ, tua cura, et quelque chose de plus doux dans ceux-ci : nec gemere aëriâ, turtur ab ulmo. Ceux qui ont longtemps vécu à la campagne, savent que le roucoulement des pigeons est plus rauque et plus sourd, entendu de près, et qu'il s'adoucit lorsqu'on l'entend de loin. Les vers de Virgile, par la seule harmonie, font distinguer la voix des ramiers qui chantent dans la cour du pasteur, et celle des colombes qui chantent un peu plus loin sur les ormeaux.

(7) page 68, vers 20.

En unquàm patrios longo post tempore fines,
Pauperis et tugurî congestum cespite culmen,
Post aliquot, mea regna videns, mirabor aristas?

Le sentiment exprimé dans ces vers est heureusement pris dans la nature. L'espoir de revoir la patrie nous suit toujours dans l'exil. Ecoutez ces plaintes des Hébreux :

O rives du Jourdain! ô champs aimés des cieux!
Sacrés monts, fertiles vallées,
Par cent miracles signalées,

Du doux pays de nos aïeux
Serons-nous toujours exilées ?

(ESTHER, trag.)

Combien de fois les malheureux Français, que la révolution avait proscrits, n'ont-ils pas jeté leurs regards vers la France! Ils portaient partout l'espoir de revoir leur patrie, et tous étaient animés du même sentiment que Mélibée. On trouve encore, dans ce discours de Mélibée, un sentiment qui n'est pas moins touchant que l'amour de la patrie; c'est la modération des vœux du berger. Un toit de chaume est tout ce qu'il regrette; mais combien l'objet de ses regrets n'acquiert-il pas de prix par ces mots : mea regna videns? Les

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