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PRÉCIS

HISTORIQUE ET LITTÉRAIRE

SUR VIRGILE.

A3 1819

MARTIAL a dit : Sint Mœcenates; non deerunt, Flaccé;
Marones. « Qu'il existe des Mécènes, nous ne manquérons pas
» de Virgiles. » Sans donner à cette idée poétique, et peut-
être intéressée, plus de valeur et de confiance qu'elle n'en
mérite, il est certain que l'heureux concours de circonstances
qui fit naître à la même époque, Auguste, Mécène, Pollion,
Varus et Virgile, servit beaucoup à développer le génie de
ce grand poëte, celui de tous les auteurs qui a le plus honoré
et embelli la langue latine, et dont les ouvrages, éternels
modèles du bon goût, présentent à la fois le plus de sagesse
dans leur conception, le plus d'élégance dans leur exécution,
et souvent les idées les plus morales, comme les sentiments
les plus nobles et les plus touchants. Ces titres justifient l'in-
térêt que doivent inspirer les moindres détails que l'on a pu
recueillir sur la naissance, la vie, les ouvrages et la destinée
de Virgile. L'histoire d'un personnage célèbre est sa plus
ressemblante image; c'est en effet, comme le dit Plutarque,
dans les particularités les plus petites, et les plus communes de
la vie et de la fortune d'un homme, que l'on peut retrouver
les causes qui ont déterminé la tournure de son esprit et
le
genre de ses travaux.

On doit s'attendre que, dans un ouvrage de la nature de

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ce précis, quelques faits moins certains paraîtront se mêler à des faits plus avérés ; mais une certitude rigoureuse, après un espace de près de deux mille ans, ne peut guère exister à l'égard d'un personnage très-illustre à la vérité dans l'histoire des lettres, mais qui n'a que légèrement occupé l'histoire générale de son siècle. Dans le nombre des traditions si différentes qui nous sont parvenues sur Virgile, il semble donc, après une époque si reculée, que l'on soit libre de choisir les plus piquantes et les plus susceptibles d'intérêt. Celles dont on a fait usage, accréditées par des auteurs anciens ou modernes, sont presque toutes adoptées par le célèbre Dryden, qui, devant une partie de sa gloire à une traduction de Virgile, s'est profondément occupé de ce qui avoit rapport à son modèle. Les événements les moins authentiques de la vie de Virgile, il faut en convenir, sont naturellement ceux de son premier âge; mais qui pourrait se résoudre à les retrancher de son histoire? Ils ont quelque chose de moral et d'encourageant pour les lettres. Un homme isolé, sans appui, forcé de subir les humiliations du malheur, jeté sans ressource au milieu des passions les plus féroces et des plus grands troubles de sa patrie, s'élevant par son génie seul à la plus haute fortune, et, ce qui vaut mieux sans doute, à la plus haute considération, offre certainement un spectacle qu'il ne faut pas repousser, et sur lequel on doit, avec satisfaction, attacher ses regards. N'est-ce pas dans cette circonstance que la fiction même, en supposant qu'elle existe, peut se placer utilement auprès de la vérité ?

Publius Virgilius Maron naquit le quinzième jour d'octobre,

l'an de Rome 684, sous le consulat de Pompée et de Crassus, dans un petit village aujourd'hui connu sous le nom de Petuta, autrefois nommé Andès, et très-proche de Mantoue, capitale de la nouvelle Étrurie, ville plus ancienne de trois. cents ans que Rome, au rapport même de Virgile, suivant ces vers du dixième livre de l'Énéide :

Ille etiam patriis agmen ciet Ocnus ab oris,
Fatidica Mantûs et Tusci filius amnis:

Qui muros, matrisque dedit tibi, Mantua, nomen;
Mantua dives avis, etc.

« Ocnus, le fier Ocnus, quitte aussi sa patrie.

» La prêtresse Manto, du fleuve d'Étrurie,

>> Eut cet enfant divin, ct lui-même, dit-on,

» De sa mère, à Mantoue a donné le beau nom;

>> Mantoue, ouvrage heureux de plus d'un chef illustre. »

(DELILLE.)

Il rappelle également et constate le lieu de sa naissance dans le second livre des Géorgiques, par ce vers touchant :

Et qualem infelix amisit Mantua campum.

« Va dans ces prés ravis à ma chère Mantoue. »

(DELILLE..)

Les historiens sont peu d'accord sur la profession du père de Virgile. Les uns prétendent qu'il était fils d'un potier de terre; les autres, que son père était aux gages d'un certain Magus, messager public, qui, pour récompenser son industrie, le reçut dans sa famille et l'adopta pour gendre. Intéressé par son beau père à l'exploitation de ses propriétés, il en augmenta si bien la valeur, que, de sa part dans leur produit, comme dans celui des troupeaux, et du profit de ses abeilles, il parvint à acheter des bois qui augmentèrent son aisance. On ajoute qu'il mourut aveugle après une longue vieillesse.

D'autres assurent que son père, nommé Vergilius, était le compagnon d'un astronome ambulant, qui se mêlait d'exercer la médecine ou plutôt l'astrologie, sciences alors inséparables et pratiquées par un grand nombre de Grecs ; ce qui ferait conjecturer que le père de Virgile pourrait avoir été de cette nation : le nom de Maron autoriserait cette idée, et permettrait de le croire issu de l'un des compagnons de LéonidasOn sait que parmi les trois cents Spartiates qui se sacrifièrent

au passage des Thermopyles, on en compte un fort célèbre, qui portait le même nom que le père de Virgile.

Sa mère s'appelait Maïa; elle était de famille praticienne et parente de Varus. Devenue veuve, elle eut un autre époux, et donna bientôt à Virgile un frère appelé Proculus. Quelques historiens assurent au contraire que Maron, père du poëte, fut le second mari de sa mère. Le seul fait sur lequel il n'y a point d'incertitude, c'est que Virgile naquit dans un séjour ainsi que dans une condition très-obscurs; comme si le sort eût pris plaisir à montrer le contraste le plus frappant entre son origine presque inconnue et l'éclat de sa renommée que le nombre des siècles agrandit encore, loin de l'avoir affaiblie.

On ne peut s'occuper des récits fabuleux qui nous sont parvenus sur la naissance de Virgile, que pour faire sentir le rapport singulièrement remarquable qui existe entre Homère et lui, comme il s'en trouve dans les sujets de leurs poëmes. Homère est né dans l'indigence; les parents de Virgile étaient également pauvres : l'un vit le jour au bord d'une rivière; l'autre, dans un fossé. Un peuplier prit racine au lieu même où Virgile naquit, et l'on attribuait à cet arbre des vertus surnaturelles ; Hérodote nous apprend qu'Homère eut également son peuplier qu'on visitait avec beaucoup de vénération. A ne considérer que ces conformités, on se persuaderait, si l'on y attachait quelque croyance, que les mêmes astres influèrent sur la naissance de l'un et de l'autre, et produisirent un même résultat. Mais tout ce qu'il y a de vraisemblable dans ces inventions de l'antiquité, c'est que les historiens latins crurent convenable de répéter, d'après Hérodote, ce qui pouvait donner une apparence de merveilleux à la chronique imaginaire de leur compatriote.

Il paraît constant que Virgile reçut une éducation soignée, et qu'il annonça de bonne heure autant de goût pour l'étude, que d'heureuses dispositions à s'instruire. On l'envoya, dès

l'âge de douze ans, à Crémone ; il y resta jusqu'à sa seizième année. Il se rendit alors à Milan, et ensuite à Naples, où la philosophie et les belles-lettres avaient des écoles et des maîtres renommés. Virgile y perfectionna son instruction, et donna beaucoup de soins à l'étude des meilleurs auteurs de la Grèce et de Rome. Le voisinage de Marseille lui facilita la connaissance des premiers; car cette ville déjà fameuse à cette époque, et célèbre également aujourd'hui par son goût reconnu pour les arts et les lettres, conservait alors toute la pureté de l'harmonieux langage de la Grèce, au milieu des nations barbares dont elle était environnée.

La physique et les mathématiques furent en même temps les sciences favorites de Virgile, et captivèrent principalement son application. Ce fut à ce genre d'étude qu'il dût cette régularité de pensée, cette justesse d'expression, cet ordre enfin dans la conduite de ses sujets, qui font le caractère particulier de son talent. Il s'attacha d'abord à la philosophie d'Épicure, dans l'école de Scyron cité deux fois dans les ouvrages de Cicéron, qui fait également l'éloge de son savoir et de sa vertu.

C'est dans l'école de ce philosophe, pour qui Virgile conserva une estime et une affection constantes, et près duquel on le verra chercher un asile dans les troubles de sa patrie, que commença la liaison de ce grand poëte avec Varus, alors son compagnon d'études. Le goût des vers les unissait plus étroitement encore; on assure même que, par une suite de son attachement pour Varus, Virgile voulut qu'il se fit honneur d'une tragédie qu'il avait composée, et que celle.complaisance de l'amitié fut la première cause qui lui valut, dans la suite, l'utile et puissant appui de ce protecteur.

Après que Virgile eut terminé ses études à Naples, tout porte à croire qu'il fit un premier voyage à Rome. Cette opinion, confirmée par nombre d'historiens, semble approcher de la certitude par quelques vers qui seront rapportés plus

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