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« Des jours de mon ami frêle dépositaire,

» Conserve de mon cœur la moitié la plus chère :

» Rends-le nous; tu le dois.

(DARU.)

Il est probable que ce fut pendant son séjour en Grèce que Virgile, toujours occupé des Géorgiques, son ouvrage de prédilection, ajouta au troisième livre ce morceau de l'effet le plus sublime et de l'harmonie la plus majestueuse, dans lequel il annonce qu'à son retour il aura mis la dernière main à l'Enéide, et qu'il pourra la publier. C'est ainsi qu'il doit ramener les neuf Soeurs de leur Permesse; c'est là le temple superbe qu'il a résolu d'élever à la gloire d'Auguste, monumentum ære perennius; l'empereur doit en être la première divinité; les statues de ses ancêtres environneront son image. Il fait ainsi connaître qu'ils seront les premiers personnages mis en action autour de son héros, et que le tableau de ses victoires achèvera d'orner ce glorieux travail.

Auguste, à son retour d'Orient, rencontra Virgile à Athènes: il se crut obligé de revenir en Italie avec l'empereur; mais, dans la route, une indisposition subite, que l'agitation du vaisseau ne fit qu'augmenter, le força de se faire déposer à Brindes, et c'est là que le chantre d'Enée mourut le vingtdeuxième jour de septembre, dans la cinquante-deuxième année de son âge.

Quelle haute opinion ne se fera-t-on pas de sa modestie et de la rigueur avec laquelle il se jugeait lui-même, en pensant qu'à son lit de mort, ne trouvant pas que l'Eneide eût la perfection qu'il avait dessein de lui donner, il demanda que son poëme fat brûlé? Ses amis refusèrent heureusement de lui obéir; ce fut alors que, par son testament, il confia ce dépôt à Plautius, à Tucca et à Varius, à condition de remplir ses derniers vœux, ou de corriger son ouvrage, avant de le mettre au jour. Tucca et Varius retranchèrent, dit-on, quelques vers, mais ne se permirent aucune addition, pas même pour ache

ver les hémistiches qui se trouvaient imparfaits; et l'empereur fit à cette occasion ces vers célèbres qui révèlent à la postérité l'estime qu'il avait pour l'Enéide et pour son auteur:

Ergòne supremis potuit vox improba verbis
Tam dirum mandare nefas? ergò ibit in ignes.
Magnaque doctiloqui morietur Musa Maronis !
Sed legum servanda fides: suprema voluntas
Quod mandat fierique jubet, parere necesse est.
Frangatur potiùs legum veneranda potestas,
Quàm tot congestos noctuque diuque labores.
Hauserit una dies!

« Quoi! Virgile a prescrit de livrer à la flamme
» Ce frnit de tant de soins, ce poëme enchanteur,
» Où doit vivre à jamais le héros de Pergame!
» Qui pourrait de ses vœux respecter la rigueur ?
» Des mourants, nous dit-on, la volonté suprême
» Est la première loi que l'on doit accomplir :
» Ah! périssent nos lois et Thémis elle-même,
» Que son temple s'écroule avant que d'obéir!
» La justice est affreuse alors qu'elle est extrême;
» Et tout sera permis, plutôt qu'un feu cruel

» Dévore, en un moment, un ouvrage immortel. »

Virgile mourut avec tant de courage et de tranquillité, qu'il put dicter sa propre épitaphe contenue dans les vers suivants:

Mantua me genuit, Calabri rapuêre, tenet nunc
Parthenope; cecini pascua, rura, duces.

«Les dieux près de Mantoue ont placé mon berceau;
» Dans la riche Calabre ils reprennent ma vie.
» J'ai chanté les bergers, les champs et ma patrie,
» Et déjà Parthénope élève mon tombeau. »

Les restes de Virgile furent, suivant son désir, portés à Naples, et renfermés dans le monument que l'amitié lui fit élever, et dont les ruines se reconnaissent encore à quelque distance de cette ville.

Virgile avait le teint brun; il était d'une taille élevée, comme il dépeint Musée, dans le sixième livre de l'Eneide.

Museum antè omnes......

atque humeris extantem suspicit altis.

Sa poitrine était faible, et sa constitution délicate; il était sujet aux maux de tête, à la toux et aux hémorrhagies. Trèssobre dans son régime, il faisait un usage modéré du vin. La tempérance et la régularité distinguaient ses mœurs: on n'a pas craint de les attaquer, en l'accusant d'un penchant peu naturel. Les sentiments exprimés dans plusieurs de ses églogues, et surtout dans la seconde, ont, sans raison, motivé ce reproche; comment l'accorder avec l'honorable surnom de Parthénias, « le Pudique », que lui donnaient les habitants de Naples? Est-ce d'ailleurs un fait reconnu que les poëtes et les écrivains soient toujours soumis aux passions qu'ils retracent? Ce serait tirer une absurde conséquence d'un faux principe. On accuserait donc également Virgile de sortilège, pour avoir si bien décrit, dans sa huitième églogue, les enchantements d'Alphésibée? C'est le cas d'appliquer à cette imaginaire inculpation, ces vers très-justes d'Ovide :

Nec liber indicium est animi, sed honesta voluptas,

Plurima mulcendis auribus apta ferens.

Accius esset atrox, conviva Terentius esset;

Essent pugnaces qui fera bella canunt.

<< Nos mœurs et nos écrits ne se ressemblent pas,

>> Et l'on n'est point guerrier pour chanter les combats. »

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Virgile était si modeste, qu'on le voyait se réfugier dans les maisons de Rome pour se dérober aux regards des curieux qui souvent le suivaient en foule. Sa voix était harmonieuse et son élocution singulièrement juste et touchante. D'un caractère sérieux ct mélancolique, il parlait peu, aimait la solitude et la méditation; et son âme, tendre et sensible, semblait formée pour les jouissances délicates de l'amitié. Sa fortune était

véritablement immense : il possédait en Sicile une campagne délicieuse, et sa maison de Rome, voisine de celle de Mécène, dans le quartier des Esquilies, était magnifique et ornée d'une précieuse bibliothèque. Juvénal dit très-bien que nous n'aurions pas les vives peintures et les tableaux animés de l'Enéide, si Virgile n'avait pas été favorisé des biens de la Fortune et de toutes les aisances qui font le charme de la vie.

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Nam si Virgilio puer, et tolerabile deesset

Hospitium, caderent omnes à crinibus hydri:

Surda nihil gemeret grave buccina.

‹ Virgile, sans esclave et mal logé, n'eût point entortillé de serpents les >> crins de la furie, et ce monstre infernal n'aurait point fait gémir son fu>> nèbre cornet. » (DUSAULX.)

Virgile revoyait ses vers avec une judicieuse sévérité. Il employait la matinée à les dicter en grand nombre, et consacrait le reste du jour à les corriger ou à les supprimer. Il se comparait lui-même à l'ours des forêts, qui décide avec sa langue la forme de ses petits.

Les différences que l'on peut établir entre Homère et Virgile, ont souvent occasionné des discussions bien vives: ce que l'on peut dire avec vérité, c'est que l'un est le premier des poëtes pour le jugement, et l'autre pour l'invention. Pope a comparé ces deux immortels écrivains aux héros qu'ils ont célébrés. Homère est comme Achille; il entraîne tout devant lui: c'est un orage qui s'étend de toutes parts, et les éclairs se succèdent sans relâche. Virgile est comme Enée, qui s'avance au milieu du combat sans en être troublé; qui répand l'ordre autour de sa personne, et achève ses victoires avec tranquillité. Les deux poëtes ressemblent également à leurs dieux. Homère est terrible comme Jupiter quand il ébranle le monde, qu'il agite ses foudres et embrase le ciel; Virgile est ce même dieu dans le sublime de sa bonté, toujours calme quand il préside l'Olympe, soit qu'il fonde les bases des empires, soit qu'il distribue l'ordonnance majestueuse de l'univers.

On ne s'étonnera point, après ce que l'on connaît du caractère, des mœurs et du génie de Virgile, qu'il ait joui d'une prodigieuse réputation pendant sa vie, ni de l'espèce de vénération que l'on conserva long-temps pour ce grand poëte: elle approcha de l'idolâtrie. Silius Italicus avait non seulement chez lui l'image de Virgile, mais il en célébrait la naissance avec la plus grande solennité. Cette époque était pour lui, chaque année, un jour de fête : il se rendait à Naples, et il visitait le tombeau de son poëte chéri comme le temple d'une divinité. Son indignation fut si vive, en voyant qu'un misérable pâtre était seul commis à la garde de ce monument, que, pour en empêcher la dégradation déjà remarquable alors, il acheta le terrain qui le renfermait : ce qui lui valut ces vers de Martial:

Jam propè desertos cineres et sancta Maronis
Nomina qui coleret, pauper et unus erat !
Silius optatæ succurrere censuit umbra;

Silius et vatem, non minor ipse, colit.

Cette superstition fut imitée depuis par Sincerus Sannazar, qui poussa plus loin son enthousiasme. Il avait une campagne dans le voisinage du tombeau de Virgile, pour être à même de le visiter plus souvent; et sa dernière volonté fut qu'on l'inhumât dans les jardins de cette maison, près d'un autel où, de son vivant, il avait placé les statues de Minerve et d'Apollon. Ce fait est consacré par les vers suivants, d'une exagération forte:

un peu

Dat sacro cineri flores hic ille Maroni

Sincerus, Musâ proximus et tumulo.

A ces restes sacrés, offrez, donnez des fleurs !

>> Et les mêmes talents et leur dernier asile

>> Rapprochent dans ces lieux Sannazar et Virgile :

» Sur leurs tombeaux voisins unissons nos douleurs. »

Alexandre Sévère conservait aussi dans son palais une image

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